vendredi 8 mai 2020 - par Eric de Trévarez

L’argument scientifique et la manipulation de l’information

La manipulation de l'information se sert souvent d'arguments scientifiques. Cela fait des decennies que les sciences molles se sont servies des sciences dures pour faire passer d'autres objectifs que ceux qu'elles prétendent poursuivre. Cette appellation de dure et de molle est métaphorique, c’est une périphrase. Les sciences molles n’étudient évidemment pas les choses de faibles consistances et les sciences dures les matériaux durs. Non, la dénomination dure et molle parle de l’exactitude et de la précision d’une science. Par exemple les sciences de la communications, comme beaucoup de sciences humaines peuvent être qualifiées de sciences molles. Les sciences dures représentent les sciences de l’exactitude. Par exemple les mathématiques sont une science dure. A travers des théorèmes, des justifications, des démarches, on arrive à un résultat qui est soit vrai, soit faux. Il n’existe que deux alternatives, il n’y a pas de juste milieux qui est le domaine de prédilection des sciences humaines.

Alors qu'en est-il de la recherche, des hauts commités en tous genres, des experts de tous poils, des conseillers scientifiques de tous bords ? Sans les passer en revue, et sans focaliser sur la méthode scientique qu'ils revendiquent haut et fort, il convient, il me semble, de connaître les contextes dans lesquels ils évoluent et l'influence sur leurs activités, de ces contextes. Cette seule remarque nous écarte complètement de la condition d'honorabilité des mathématiques, qui se traduit par le fait qu'une proposition est soit vraie ou soit fausse. Cependant que ce soient la recherche, les hauts comités, les experts et les conseillers, ils bénéficient tous de l'auréole des sciences dures. Il est évident qu'ils en usent et abusent, avec un succès qui pour une fois, n'a pas été au rendez-vous. Que vaut une recherche soumise à la loi de la performance des laboratoires pharmaceutiques ? Fait-elle partie des sciences dures ou plus simplement de la dureté des marchés ?

Je vais partir d'un exemple simple, d'une relation mathématique et des lois strictes qui la régissent, pour montrer que les métaphores et les mots qui utilisent les mathématiques et les sciences dures posent problème. Il s'agit de la relation mathématique d'égalité dont la métaphore a fait fortune en sciences humaines. Je m'en excuse auprès de certains, car en plus de l'honorabilité dont j'ai parlé, il y a des phénomènes de sacralisation qui bénéficient à certains mots dont font partie, la recherche et l'égalité. 

En mathématiques(1), l’égalité est une relation binaire entre objets (souvent appartenant à un même ensemble) signifiant que ces objets sont identiques, c’est-à-dire que le remplacement de l’un par l’autre dans une expression ne change jamais la valeur de cette dernière. Etendre une quelconque proposition mathématique valable pour deux objets a et b, à un troisième objet c, n'est possible que par la transitivité, qui est une extension de la relation binaire de deux en deux. On est loin du ternaire des sciences humaines qui fonctionnent en thèse, antithèse et synthèse. En fait, il s'agit de domaines de définition très différents, et le risque est de faire des métaphores trop extensives avec les mathématiques, et qui, du coup, pourraient induire une part d'inexactitude. Avec une idée voisine de la précédente, la manipulation de l'information se sert souvent d'arguments scientifiques.

La relation d'égalité en mathématique est une similitude pure et stricte. Elle intervient sur les objets mathématiques qui sont, on le rappelle, des logico-symboles, résultant de l'abstraction et souvent de la valeur numérique intrinsèque. Les objets mathématiques font toujours intervenir de la logique stricte, c'est à dire uniquement de l'abstraction logique. 

La relation d'égalité mathématique a trois propriétés intrinsèques et pour que l'égalité soit vraie, ces trois propriétés doivent être vérifiées. Ces propriétés sont la réflexivité, la symétrie et la transitivité

 

La réflexivité

Nous considérons trois objets mathématiques a, b et c

Vérifions (si a, b et c sont égaux) 

La réflexivité a = a

           b = b

           c = c

Pour qu'un objet mathématique puisse être comparé à un autre, il faut première condition que cet objet soit rigoureusement identique à lui-même. On peut pressentir la difficulté que peut poser l'extrapolation de cette propriété mathématique de l'égalité, en sciences humaines. 

 

La symétrie

La propriété à vérifier est que si a = b nous devons avoir aussi que, b = a 

On sent dans cette proposition que "la position" n'intervient pas. Evidemment il s'agit d'une image, lorsque l'on parle de "position" (ce qui en mathématiques pose toujours problème et peut entrainer des erreurs de logique par subjectivisation(2)). A remarquer que le concept de symétrie géométrique est une application du concept algébrique stricte. 

 

La transitivité

La propriété à vérifier est que si a = b et si b = c, cela implique que a = c

On peut ainsi déterminer un ensemble illimité d'éléments égaux dans le sens d'identiques. Mais la méthode ne permet pas les extension en dehors de la comparaison de deux par deux. C'est de cette constatation qu'est nait le terme de transitivité pour cette propriété.

 

Conclusion

Les métaphores avec les mathématiques, qui sont souvent induites par le mot égalité dans d'autres sciences, portent toujours en elles une très grande part d'inexactitude et peuvent induire en erreur. Le problème provient du fait que les mathématiques et la vie courante partagent les mêmes mots qui en mathématiques ont un sens très précis et bien délimité. D'autre part toute métaphore (ou analogie) avec un concept mathématique apporte une honorabilité de rigueur et d'exactitude, qui peut inciter à en faire, là où il serait plus rigoureux de procéder différemment. La métaphore peut être très subtile, et relever que du vocabulaire par lequel, elle est entré en oubliant la métaphore originelle. Avec une idée voisine, la manipulation de l'information se sert souvent d'arguments scientifiques. Les sciences dures peuvent être un passeport vers l'exactitude, mais tout dépend des autorités qui délivrent le passeport...

 

(1) Les mathématiques (ou la mathématique) sont un ensemble de connaissances abstraites résultant de raisonnements logiques appliqués à des objets divers tels que les ensembles mathématiques, les nombres, les formes, les structures, les transformations, etc. ; ainsi qu'aux relations et opérations mathématiques qui existent entre ces objets. Elles sont aussi le domaine de recherche développant ces connaissances. En cela les mathématique sont l'introspection de objectivité la plus stricte...

(2) Philo. Qui est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul. individuel, personnel. Caractère subjectif de la connaissance ; aspect subjectif de la culture ; considérer la vérité comme subjective. On appelle, dans la philosophie allemande, idées subjectives celles qui naissent de la contingence de notre intelligence et de ses facultés, et idées objectives toutes celles qui sont le résultat de la tentative de la plus stricte objectivité.

 



9 réactions


  • Francis, agnotologue JL 8 mai 2020 17:45

    Il s’est bien fait plaisir en écrivant ça, le petit garçon ?


  • rogal 9 mai 2020 02:30

    « La relation d’égalité mathématique a trois propriétés intrinsèques et pour que l’égalité soit vraie, ces trois propriétés doivent être vérifiées. Ces propriétés sont la réflexivité, la symétrie et la transitivité »

    Passons sur « intrinsèques »...

    Réflexivité, symétrie et transitivité sont des propriété de la relation d’égalité en soi, comme elles le sont de la relation de parallélisme entre droites de l’espace (sans préciser celles-ci) et comme elles le sont de toute autre relation d’équivalence, par définition de cette notion-ci.

    À ce niveau, dire que ces propriétés sont « vérifiées » n’apporte rien.

    Si deux objets sont en relation (3² = 9 ou bien telle droite est parallèle à telle autre), on dit que la relation en question (l’égalité, le parallélisme) est vérifiée par ces objets : il est vrai que 3² = 9. Mais de l’égalité particulière

    3² = 9 il n’y a pas à se demander si elle est réflexive, symétrique et transitive. Si l’on veut = est une relation, tandis que 3² = 9 n’en est pas une ; du point de vue de la logique mathématique, c’est une proposition.


    • Eric de Trévarez 9 mai 2020 04:07

      @rogal Effectivement la relation de parallélisme est la meilleure pour la relation d’équivalence, la classe d’équivalence et finalement le vecteur. L’égalité numérique, parfois est classe d’équivalence, comme avec les fractions. Finalement l’égalité du langage courant relèverait plus de la proposition. Cependant la proposition mathématique est claire comme dans votre exemple, c’est rarement le cas dans les sciences molles. Un monde sémantique sépare les sciences dures, des sciences molles. Les sciences humaines ressemblent à la littérature, leurs sciences relèvent du maquillage. Elles utilisent le vocabulaire de la science, mais ce dernier est toujours métaphorique. Votre intervention très précise sur l’égalité pourrait confirmer mon hypothèse. 


    • Francis, agnotologue JL 9 mai 2020 10:19

      @Eric de Trévarez
       
       ’’Réflexivité, symétrie et transitivité sont des propriété de la relation d’égalité ...’’
       
       En l’occurrence, ce terme ’propriétés’ ne s’appliquent pas à une relation mais à des opérations. Nuance.
       
      la réflexivité ce n’est pas a = a, c’est absurde !
       
      en revanche, on peut écrire a + b = b + a parce que l’addition est une opération réflexive. De même pour la multiplication : a * b = b * a
       
      la division ne l’est pas :  a / b est différent de b / a


    • rogal 9 mai 2020 11:42

      @JL
      Il est à craindre que vous ne confondiez la commutativité des opérations avec une des propriétés des relations binaires (réflexivité ou symétrie).


    • Francis, agnotologue JL 9 mai 2020 12:18

      @rogal
       
      au temps pour moi, j’ai confondu commutativité, transitivité et distributivité des opérations avec réflexivité, symétrie et transitivité des relations binaires. Aïe !

       


    • Francis, agnotologue JL 9 mai 2020 12:34

      Une relation d’équivalence sur un ensemble E est une relation binaire sur E qui est à la fois réflexive, symétrique et transitive.

       
      Ma confusion vient de ce que l’auteur a utilisé le signe = (signe égal) en lieu et place de (symbole d’équivalence).
       
       écrire que x x n’a pas le même sens que x = x.


  • Francis, agnotologue JL 9 mai 2020 15:11

     

    x équivaut à x n’a pas le même sens que x = x

     


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