L’éthique et la pauvreté font-elles bon ménage en RD Congo ?
Si la notion d’éthique renvoie à la moralité et à l’honnêteté, les conditions de vie dans lesquelles vivent une majorité de Congolais, responsables ou pas, conduisent à toutes sortes de malhonnêtetés et au non-respect des biens publics.
Que de surprises, pour les nouveaux venus et visiteurs dans les grandes villes de la RD Congo, notamment Kinshasa , Lubumbashi, Kisangani, Bukavu ou Goma. Les personnes venant de l’étranger ou de coins reculés du pays sont souvent étonnées des achats qu’ils effectuent pendant leur descente sur les marchés et dans les magasins. Ceux qui ont de la chance sont d’emblée informés par les membres de leurs familles ou par des amis qu’il faut faire attention aux produits vendus, en cours de route, par les commerçants ambulants qui leur présentent soit de faux produits de beauté, de fausses chaussures, de faux produits pharmaceutiques, de faux habits. Mais plusieurs visiteurs et habitants des villages tombent souvent dans leurs filets, soit par ignorance, soit en raison des fausses apparences que ces vendeurs prennent devant les acheteurs.
Les produits, allant des parfums aux produits pharmaceutiques, ne sont ni de la contrefaçon ni des copies, mais des faux produits, au sens strict du terme. Pour les parfums ou produits pharmaceutiques, dans la bouteille ou l’emballage du parfum, le contenu n’est que de l’eau ou du solvant.
Pour les produits phamaceutiques, il n’est pas rare que les produits pour sécher les plaies, tels le mercurochrome ou la poudre de plaie, soient remplacés par les colorants rouges ou de la farine de manioc.
Aux alentours du marché de Bukavu ou Kisangani, certains comprimés, comme l’aspirine, vendus en vrac, sont mélangés avec des cossettes de manioc taillées sur mesure, pour augmenter la quantité des comprimés vendus. Les acheteurs ne s’en prendront qu’à eux-mêmes quand ils constateront que malgré la prise de ces médicaments, les maux de tête ne s’estompent pas.
Les produits de beauté vendus, parfums ou lotions, ne sont tels que par leur emballage, l’intérieur est soit de l’eau, du solvant, soit de la bouillie de blé ou de manioc.
Et les vendeurs de ces faux produits ne sont pas des bandes organisées et bien structurées, à l’image de celles qui font le commerce de produits de contrefaçon ou de copies des produits fabriqués par la mafia nigériane ou asiatique. Ce qui se passe aux alentours des marchés des grandes villes de la RD Congo, ce sont des actes menés par des personnes désespérées, qui viennent, dans la plupart des cas, des zones très pauvres de la ville de Kinshasa. Ce personnes sont le produit de l’exode rural, que l’Etat est incapable de prendre en charge. Ces personnes aussi ne sont pas des ignorants, parce qu’elles sont, pour la plupart, passées par les bancs de l’école ; et elles viennent des familles nombreuses, et ont tenté par tous les moyens de chercher un emploi, en vain.
Ces personnes ne font pas ce travail comme un métier, à l’instar des contrefacteurs connus, elles sont souvent dans l’incapacité et l’impossiblilité de trouver une alternative pour leur vie.
Souvent, elles sont influencées par leurs amis et proches, qui ont tenté le coup et réussi.
Ces vendeurs ambulants aux alentours de grands marchés, aux allures de beaux gosses, parviennent quand même à soudoyer les visiteurs. Pendant certaines rafles effectuées par la police, quelle fut la surprise, de remarquer qu’au sein de ces groupes, existaient des personnes bien formées et éduquées, attestant faire cette basse besogne que pour avoir de quoi manger le soir.
Avec l’apparition de nouvelles religions en RD Congo, à l’instar des autres pays africains, qui se développent dans tout le pays et gagnent les coeurs de plus de 80% de la population, les prédications qui passent regulièrement sur les chaînes de télévisions à travers tout le pays sont centrées sur l’amour du prochain et la compassion envers les malades et infirmes ; certaines personnes n’hésitent pas alors à jouer la comédie en se rendant handicapées pour bénéficier de l’aumône aux alentours des marchés.
Au marché central de Bukavu, les enfants n’ont-ils pas eu une mauvaise surprise, de rencontrer leur père au bord d’une foule, aveugle d’un jour, en train de demander de l’aumône pour nourrir sa famille ? Ce père de famille est enseignant, mais comme ce métier ne suffit pas à faire vivre une famille nombreuse de dix enfants, il lui arrivait de faire l’aveugle, pour avoir quelques sous.
Cette situation, des personnes qui se font passer pour infirmes alors qu’elles ne le sont pas, est fréquente dans les grandes villes du pays.
Au plus haut sommet de l’Etat, il est aussi fréquent qu’un responsable politique profite de sa place pour s’enrichir personnellement au détriment des autres. Dans ce pays où la majorité d’hommes politiques restent insatisfaits des biens qu’ils possèdent et veulent toujours avoir plus, la pression des familles pauvres et nombreuses qui les entourent, n’est pas étrangère à ce comportement irresponsable. Le besoin de satisfaire tout le monde devient comme une obligation, et ils oublient leur mission suprême de responsabilité sociale envers les personnes qu’ils gouvernent.
Dans un pays où l’honneur tient parfois à la possession des richesses dont on dispose, le responsable est contraint toujours de soutirer des fonds de l’Etat afin de s’attirer la sympathie et l’amour de sa famille et de ses proches. Il n’est pas rare non plus de constater que dans une famille aisée, on trouve plusieurs personnes dépendant largement d’un seul responsable. Parfois, il s’avère vraiment difficile de distinguer le pauvre du riche, dans ce pays où tout le monde veut avoir plus, quelle que soit l’origine des fonds acquis. L’essentiel est de parvenir à nourrir sa famille et à assouvir ses désirs. La morale dans la gestion de la chose publique est souvent rejetée au second plan.
Les dirigeants et responsables politiques, qui devraient servir d’exemples à leurs concitoyens, brillent par leur seul souci d’assurer la survie de leur nombreuse famille, au détriment de la population . Les salaires et avantages dont ils disposent paraissent, à leurs yeux, insuffisants, tant que leurs familles, proches ou lointaines, ne sont pas satisfaites.
Finalement, ces avantages consentis aux dirigeants de ce pays, pour leur permettre de ne se concentrer que sur leur travail et de servir la nation en dehors de tout souci et toute préoccupation quotidienne, deviennent l’unique moyen de placer leurs proches, amis et connaissances aux plus hautes responsabilités de l’Etat, non pas pour servir la nation, mais pour s’affirmer en tant individus, tribus, ou clans par rapport aux autres ; pour enrichir leurs familles respectives et leurs proches.
En bas du tableau aussi, c’est la même chose : dans certains bureaux des ministères, les matériels de bureau, tels stylos, papier, sont vendus sur le marhé pour permettre au responsable du bureau de disposer du carburant du week-end. Les responsables de églises, gardiens de la morale publique, un exemple de modèle pour la société, utilisent souvent leurs fidèles pour assouvir leurs besoins. Les offrandes perçues sont devenues le moyen les plus sûr de s’enrichir et de s’affirmer.
Dans un pays où plus de 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour, où plus de 60 % de la population active est au chômage, et où le reste vit de petits boulots ou occupe les postes politiques sans lendemain et fragilisés par des crises incessantes, obtenir un emploi constitue un exploit et le don d’un Dieu.
Souvent, l’obtention d’un emploi est bien fêtée par la famille et tous les proches, et cet emploi doit être protégé, le soit-il par la magie ou par la sorcellerie, pourvu que l’on y reste et pour longtemps afin d’aider sa famille, ce qui compromet souvent la mission première de servir l’Etat.
Dans ce pays de la débrouillardise, où il est facile de s’enrichir ou de s’appauvrir, tout le monde veut s’accrocher, surtout que les occasions sont rares d’avoir ce dont on a besoin.
Quand les occasions se présentent, c’est le sauve-qui-peut, c’est maintenant ou jamais, comme disent la plupart des personnes qui disposent des postes de responsabilité ; pourvu que l’on ne retourne pas d’où l’on est venu, parce que l’on vient de loin.
Commes les bouches à nourrir sont plus nombreuses que les moyens dont disposent les pouvoirs publics, et qu’il est pratiquement impossible que les ressources disponibles satisfassent toute la population, chacun se replie sur soi-même, sur sa tribu ou sur son clan pour asseoir son pouvoir ou son identité.
Dans ces conditions, le respect, le souci du bien public revient au second plan ; l’affirmation de soi devient l’objectif primordial de tout un chacun, en dehors d’un minimum d’éthique.
Bien que le pays dispose des ressources naturelles susceptibles de satisfaire les besoins vitaux de toute la population, les dirigeants manquent d’imagination et de créativité pour mettre à profit tout ce que la nature leur a donné. Ils s’accrochent à ce qu’ils trouvent et se contentent de ce qu’ils voient.
Les responsabilités sociales de leur mission, ils les limitent à eux-mêmes, à leurs familles et à leurs proches, tandis que le reste de la population croupit dans la misère.
Pour la plupart des gens qui ont eu la chance de disposer des postes de responsabilités dans l’administration ou dans les autres secteurs de la vie nationale, la fin justifie les moyens, et les règles éthiques sont reléguées au second plan, et considérées comme utopiques, dans ce pays où il n’existe pas de barrière entre biens publics et biens privés, et où le rêve de plus de 80% de la population est de succéder, un jour ou l’autre, à ceux qui occupent des postes juteux, pour enfin devenir comme les autres.