L’UMP, Patrick Devedjian et la fin d’un électorat « attaché »
S’il est une leçon des récentes élections municipales et cantonales, mais aussi des campagnes qui les ont précédées, ainsi que des sondages d’opinion que l’UMP et ses dirigeants ont du mal à encore admettre, c’est que l’année 2008 a marqué la fin d’une époque pour les partis dits « de droite » : celle où l’électorat qui se revendique de ce champ politique, lui-même assez vague au demeurant, était fidèle, discipliné et avalait toutes les dérives des élus de son camp sans broncher. La liste des élus UMP qui, ayant cru en l’éternité de ce principe, ont mordu la poussière en mars 2008, est là pour en attester. A l’évidence, l’électorat UMP actuel n’est plus prêt à avaler les conduites « discutables » de certains de ses élus au nom de l’intérêt du « camp ». Une page se tourne. Même l’électorat UMP se rebelle et fait en quelque sorte son Mai-1968 à lui.
Patrick Devedjian et la direction de l’UMP face à la rébellion de leur électorat
Pour le commun des citoyens, Patrick Devedjian, député, maire par procuration d’Antony, dans les Hauts-de-Seine - le fameux Sarkoland - est surtout aussi président du Conseil général des Hauts-de-Seine et Secrétaire général de l’UMP.
Avec tous ces mandats électifs et responsabilités politiques, on peut imaginer sans peine que cet avocat de profession est fort occupé et qu’il ne se fait pas que des amis autour de lui.
D’autant que si l’UMP subit défaite sur défaite dans les élections et perd ses adhérents comme le Petit Poucet ses cailloux sur le chemin, certains lui reprochent d’en être la cause unique.
Qu’en est-il exactement ? Quelle analyse se dégage des récentes élections locales, particulièrement de la part de l’électorat UMP ? Des ruptures de comportement sont-elles en cours dans cet électorat et quels enseignements généraux peuvent en être tirés ?
Ces questions semblent susciter des réponses diverses, voire contradictoires au sein de l’UMP et de sa direction.
Certains pensent répondre aux changements observés par une réaffirmation vue comme rassurante du dogmatisme formel de « camp » (ce qu’ils pensent être la demande politique de leur électorat), d’autres plaident pour une plus grande finesse et une écoute plus souple d’un électorat « de droite » déboussolé et parfois carrément remonté contre la politique du gouvernement Sarkozy-Fillon.
Patrick Devedjian, par son rôle de Secrétaire général de l’UMP, est au carrefour des divergences et des tensions générées par ces débats. Il paie d’un certain point de vue son mandat au sein de ce parti par des critiques, parfois dures, souvent injustes à son égard, car il n’est que le chef du "parti du président", pas le chef de l’exécutif ou du gouvernement.
Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Patrick Devedjian assume de facto le rôle ingrat du bouc émissaire des échecs de l’UMP, voire des révoltes de ses députés, sénateurs et élus locaux, face aux décisions souvent « imposées » en provenance du « Château » du 8e arrondissement de Paris, que les élus savent bien rejeter par la majorité des électeurs, dont les leurs.
De fait, le patron de l’UMP nationale et altoséquanaise a de vrais ennemis, qui ne sont pas tous, à l’évidence, originaires de partis opposés au sien.
Car, si depuis quelques couacs retentissants et des affrontements en coulisses à Neuilly avant les élections de mars 2008, puis avec l’offensive des Balkany contre lui au Conseil général après la défaite à ces scrutins locaux avec enjeu de test national - dont nul n’ignorait que la main qui les soutenait avec discrétion était à l’Elysée -, Patrick Devedjian essaie de coller à son « ami » Nicolas Sarkozy par les communiqués officiels, certains continuent à critiquer, ici et là, l’esprit frondeur, voire rebelle, du Secrétaire général de l’UMP.
L’UMP : un parti qui n’a d’union que le nom avec un patron qui compte les divisions
Tout un chacun connaît le fameux dicton sur « l’hôpital qui se moque de la charité ».
A l’UMP, cette phrase de la sagesse populaire est à la « Une » en permanence. Pas un jour, ses chefs et sous-chefs ne cessent, d’ailleurs avec justesse, de fustiger les querelles au sein du PS, querelles qui sont mises en évidence et non cachées dans cette formation politique. Mais, ces persifleurs ne devraient-ils pas regarder ces mêmes travers qu’ils ont chez eux aussi à profusion ?
A l’UMP, on a l’esprit plus cachottier et plus huppé.
Les divergences se règlent (ou pas) dans les coulisses et non sur le devant de la scène. Ce qui ne signifie pas que les querelles y sont moins vives qu’au PS ou les divisions moins graves et profondes que dans le parti que l’UMP s’est choisi comme concurrent officiel.
L’exemple de l’UMP 92, dont le patron est aussi de facto Patrick Devedjian, est illustratif de ces processus nationaux, car il a un aspect avant-gardiste passionnant pour qui veut analyser en profondeur les processus en cours dans l’électorat UMP et en tirer des leçons utiles.
Dans ce département phare de l’UMP sarkozyste, il s’avère que les électorats UMP, mais aussi du MoDem, n’hésitent plus à sanctionner, par leur vote ou leur abstention très nette, les élus de leur sensibilité en cas de dérives manifestes constatées.
Pour dire les choses avec clarté : l’esprit de vote discipliné, soumis, fidèle, aveugle aux problèmes, se meurt dans l’électorat UMP et MoDem. Les citoyens émettent des votes plus « volatiles » et n’hésitent pas à sanctionner eux-mêmes « leurs » élus en cas de nécessité ressentie.
Et, ce processus nouveau qui apparaît, Patrick Devedjian est en première ligne pour le constater dans son propre département. Et donc devoir y apporter des réponses pertinentes, si cela est possible.
L’UMP 92 ou la dislocation lente du Sarkoland avec un électorat rebelle
Dans les Hauts-de-Seine, le bilan électoral de l’UMP de mars 2008, en faisant table rase des remous internes à Neuilly – un symbole très fort du processus général que les aléas tragi-comiques ne devraient pas masquer –, a été plus que sombre : Clamart n’a pas été reconquise au PS, tout comme Clichy, Nanterre est restée au PCF, Colombes, qui était passée du PC à l’UMP, est reprise par le PS, Puteaux est resté à l’UMP, mais la crise y est profonde et de plus en plus incontrôlable...
Cependant, le plus terrible et retentissant échec de l’UMP 92, en même temps le plus hautement symbolique de la capacité de rébellion de l’électorat UMP, a été ressenti à Asnières : cette ville que les stratèges en élection de l’UMP, dont son ex-maire, Manuel Aeschlimann qui se présentait comme tel, voyaient comme un bastion inattaquable de l’UMP, a basculé du fait d’une union « atypique » PS- divers droite-MoDem.
Asnières était la ville – type UNR-UDR-RPR-UMP depuis des décennies. Ce parti et ses ancêtres y faisaient et défaisaient les élus à leur guise. Même le célèbre SAC- Service d’Action Civile – de l’UDR y avait son adhérent carte n° 1, selon un ancien élu local. C’est dire si le fief semblait acquis à l’UMP pour toujours !
La gifle pour l’UMP 92, donnée par son propre électorat, est donc ici la plus sensible : à tout le moins, ce désastre annonciateur de la fin d’une acceptation ou d’une tolérance par les électeurs UMP traditionnels des pratiques « départementales » anciennes de certains élus de l’UMP devraient ouvrir un débat parmi les responsables du 92 et au niveau national de ce parti.
Il apparaît qu’une fraction importante de l’électorat UMP traditionnel a abandonné le candidat de ce parti aux deux tours du scrutin municipal tandis qu’une autre partie basculait dans l’abstention, qui n’est aussi que l’expression du rejet du maire sortant sous une autre forme : dans un cas, les électeurs UMP ont signé leur révolte ouvertement, dans l’autre, ils ont lâché le candidat UMP et l’ont abandonné à sa défaite.
Bref, c’est tout le Sarkoland qui est menacé à terme de dislocation et l’UMP qui est en danger de perdre ce département qui lui est si « cher ».
En résumé, les villes où les élus UMP ont cru pouvoir se permettre des pratiques « anciennes » discutables ont été sanctionnées ou sont menacées à court terme.
Les autres, qui ne font pas parler d’eux, à Bois-Colombes ou Coubevoie par exemple, sont réélus sans difficulté par leur électorat. Il est donc évident que les électeurs, à la notable exception très spécifique de Levallois, ne pardonnent plus les dérives de leurs élus et qu’y compris les votants UMP et assimilés n’hésitent plus à sanctionner les élus qu’ils ne jugent pas dignes de les représenter.
La prise en compte de ce processus engagé, qui ne peut que se développer, conditionne la survie future de l’UMP en tant que telle.
C’est encore à Asnières que tout va se jouer pour l’UMP face à ses électeurs
Quelle réponse apporteront les dirigeants de l’UMP dont Patrick Devedjian à cette problématique ? Celle-ci pourrait encore bien venir dans les jours prochains de et... à Asnières !
Dans cette ville, l’UMP a explosé après sa déroute sans précédent du 16 mars 2008, le conseiller général UMP Cyrille Dechenoix s’estimant soudain trahi par son ancien maire et toujours député, Manuel Aeschlimann.
Ce dernier, au nom de cette UMP divisée et en crise, a invité Patrick Devedjian à venir le soutenir, en quelque sorte, lors d’un « pot amical » le 5 juin prochain. Il n’est un secret pour personne dans le 92 que l’ancien maire d’Asnières est perçu aujourd’hui par beaucoup à l’UMP comme un paria ou un pestiféré, n’apportant que des ennuis audit parti UMP. En atteste avant le 16 mars 2008 l’absence de soutien des grands noms de la même UMP à sa tentative de garder la mairie...
D’une certaine manière, Patrick Devedjian, secrétaire général de l’UMP, est placé devant l’alternative suivante par cette invitation :
-
sachant que l’invitant est un maire UMP qui a été battu, donc un perdant de bastion UMP réputé imprenable ; qu’il est mis en examen depuis le 1er septembre 2006 dans une affaire de marchés publics ; qu’il a déjà été entendu par les enquêteurs de la police financière dans au moins, selon la presse, 3 autres dossiers assez ennuyeux ; que sa gestion de la commune a été sévèrement critiquée par la Chambre régionale des comptes ; que son système de pratiques publiques a été dénoncé largement dans les médias ; qu’il symbolise les méthodes que les électeurs UMP rejettent de plus en plus massivement et clairement, se rendre à cette invitation de cet élu-là reviendrait à ne pas entendre, écouter et comprendre le message lancé par les électeurs UMP.
-
à l’inverse, se positionner comme un dirigeant qui a reçu et bien noté le message des urnes, et de plus intégré que ce processus parmi les électeurs UMP n’est qu’à ses débuts et va s’amplifier avec le temps, impliquerait de consacrer son temps libre à élaborer une stratégie de réponse à ce processus afin de le prévenir, l’anticiper et assurer son devenir politique.
Asnières est devenue et est appelée à devenir encore plus le symbole de la révolte NATIONALE des électeurs, y compris ici UMP, contre les dérives qu’ils jugent inacceptables de la part de leurs élus.
Il y a là des leçons évidentes à tirer pour tout dirigeant politique.
Nous verrons bien le 5 juin prochain en tournant les yeux vers Asnières si Patrick Devedjian les a comprises ou ignorées.
En tout état de cause, nous faisons nôtre cette citation de Danton : « l’ignorance n’a jamais servi de rien à personne ». Ce que nous compléterons par ce commentaire en forme d’appel à un véritable esprit civique des élus d’un citoyen d’Asnières :
« la surdité aux souhaits et aspirations des citoyens n’est pas une solution, leur écoute attentive, oui. Ceux des élus qui ne savent pas entendre les aspirations des citoyens ne peuvent pas les comprendre et bâtissent ainsi leur propre perte. Les votes et non-votes des Asniérois les 9 et 16 mars 2008 contre l’ancien maire UMP l’ont bien démontré. Il importe que la leçon, qui a valeur nationale et générale, soit comprise par tous ».