La « Fraternité » : comment l’utiliser pour aveugler et manipuler les foules
La « Fraternité » est un talisman. Tout comme la « Générosité », « l'Ouverture », la « Solidarité », et toutes les autres valeurs « Humanistes ». Si vous souhaitez faire faire quelque chose à une foule occidentale d'aujourd'hui, brandissez l'un ou l'autre de ces objets de sa vénération, et expliquez-lui que c'est en leur nom, qu'il faut qu'elle fasse ce que vous voulez qu'elle fasse.
Le caractère sacré, ou la très haute vénérabilité du talisman brandi à sa face, intimidera la foule, qui n'osera critiquer vos propos, de peur de manquer de respect au talisman au nom duquel vous dites parler. La timidité des individus composant la foule, les fera craindre aussi de passer aux yeux des autres pour des hérétiques en critiquant vos propos.
La lumière émise par le talisman aveuglera la foule, et les ondes qu'il dégage l'exciteront, de sorte qu'elle perdra son sens critique, et deviendra incapable de voir qu'en vérité, le talisman ne lui commande pas de faire ce que vous dites qu'il lui commande. Elle ne verra pas non plus le profit que vous tirerez de l'action que vous lui aurez fait faire, alors que ce profit est la seule véritable raison pour laquelle vous lui aurez dit de faire cela.
Expliquer qu'un objet de vénération comme la « Fraternité », peut être utilisé à des fins bassement matérielles voire cyniques, c'est déjà faire un acte légèrement sacrilège. Comme ce serait un acte sacrilège, d'utiliser l'eau bénite pour épancher sa soif ou se rafraichir le visage, de transformer une église en centre commercial, d'utiliser une croix de Jésus comme porte-manteau, ou de passer la serpillère avec le Saint Sépulcre.
Que les foules occidentales actuelles soient aussi crédules que les anciennes, et qu'on puisse les manipuler avec des techniques qui semblent ancestrales, en adaptant simplement ces techniques aux objets modernes de vénération, cela paraît peut-être aussi incroyable.
Souvent enfin, les discours qui peuvent apparaître aujourd'hui comme des manipulations utilisant des talismans modernes, soulèvent des problèmes moraux complexes, auxquels personne peut-être n'a de solution « miracle », pas même ceux qui croient voir ces manipulations. De plus, beaucoup des grands prêtres qui diffusent ces discours semblent y croire très sincèrement, et leurs disciples y croient surement aussi : il y a donc peut-être, au moins quelque chose d'authentique dans ces discours.
Du caractère mensonger de ces discours, on peut donc difficilement être totalement sûr, et c'est pourquoi quand on croit en avoir débusqué un, il vaut peut-être mieux se contenter de faire l'hypothèse provisoire qu'il est mensonger, dans le seul but de voir si cela se tiendrait, et à quelle vision du monde cela nous conduirait.
Cela fait maintenant assez longtemps que confusément, je ressens comme une mystification de cette sorte, le discours qui par la « Fraternité », « l'Ouverture », et toutes les autres valeurs « Humanistes », justifie la désactivation totale des frontières par rapport aux mouvements de personnes, marchandises et capitaux.
Je perçois depuis longtemps de « graves failles morales » dans ce discours, qui constituent ce que j'appelle « sa fausseté ». A mes yeux, ce discours n'est pas « faux » comme il est « faux » que la Terre est plate ou que le soleil tourne autour d'elle, mais il est « moralement faux ». C'est avant tout « mon cœur » qui me dit qu'il est faux, et non « ma tête » et « mes yeux », même si je suis capable d'expliquer de manière très rationnelle et étayée par les faits, en quoi ce discours va contre ce que je vois comme des « principes moraux », ou des choses auxquelles je suis affectivement attaché, ou encore des positionnements dans la vie que j'ai pris.
Je crois aussi avoir identifié des gens qui ont intérêt à ce que les foules croient en ce discours, et fassent ce que selon lui, la « Fraternité » et autres valeurs « Humanistes » leur commandent de faire.
Je n'avais pourtant jamais essayé d'envisager avec fermeté, même momentanée, que ce discours n'ait aucune raison d'être vrai, tout simplement parce qu'il ne serait pas fait pour être vrai, mais pour servir des intérêts. Ce qui aurait comme conséquence collatérale que ceux qui croient en ce discours avec sincérité, et en sont les plus ardents défenseurs, en seraient les premières victimes, trahies par une instrumentalisation machiavélique des valeurs qui leur sont les plus chères.
Mais dès lors que j'ai envisagé cela, plus rien ne m'a empêché de voir clairement qu'utilisées par le discours qui justifie la désactivation totale des frontières, la « Fraternité » et les autres valeurs « Humanistes » permettent d'aveugler les foules sur trois points importants.
D'abord, la lumière éblouissante qu'émettent ces talismans nous empêche de voir en quoi les gens d'un même pays se comportent de manière immorale les uns envers les autres, quand ils désactivent totalement leurs frontières, indépendamment de la plus ou moins grande « Générosité » envers le reste du monde de cette désactivation.
Ensuite, cette lumière nous fait oublier de voir toutes les autres manières qui existent d'être « Généreux » avec le reste du monde, aujourd'hui très oubliées, alors qu'on en parlait beaucoup plus il y a seulement quelques années.
Enfin, cette lumière nous aveugle sur le fait que même pour le reste du monde, la désactivation totale des frontières n'est pas forcément un acte si bénéfique que cela. Pourquoi le serait-elle, si sa véritable raison d'être est de servir certains intérêts bien particuliers ?
L'immoralité des gens d'un même pays les uns envers les autres, quand ils désactivent totalement leurs frontières.
Pour comprendre en quoi les gens d'un même pays peuvent, en désactivant totalement leurs frontières, se comporter de manière immorale, il faut avoir recours à un concept de « solidarité nationale », étendu comme j'avais essayé de le faire dans un autre texte, au cas actuel où les économies sont très « ouvertes », c'est à dire font avec le reste du monde des échanges très importants.
Originellement, la « solidarité nationale » consiste principalement en ce que les gens d'un même pays mettent, en fonction de leurs moyens, de l'argent dans une caisse commune, c'est à dire paient un impôt, qui est ensuite utilisé pour la collectivité, ou pour les individus mais plus seulement en fonction de l'argent qu'ils ont donné, mais aussi en fonction de leurs besoins. La solidarité nationale organise donc un transfert de richesses entre les gens du pays, et garantit que chacun pourra disposer d'un minimum de choses indépendamment de ses moyens, et selon aussi ses besoins.
Dans un contexte d'échanges internationaux importants, la « solidarité nationale » pourrait être aussi, que les gens d'un même pays décident de s'engager collectivement dans leur relation au reste du monde, et décident de se répartir équitablement, selon les moyens de chacun, le coût ou l'effort que cette relation impliquera d'autant plus, qu'elle sera « Généreuse » et « Ouverte » envers le reste du monde. De même qu'ils se répartissent équitablement leur effort de garantir à chacun d'entre eux un minimum, en payant un impôt équitablement réparti selon les moyens de chacun. Une telle forme de solidarité entre les gens d'un pays ne les empêche nullement d'être aussi « Généreux » qu'ils le veulent avec le reste du monde. Il peuvent même donner 90% de la richesse que leur pays produit au reste du monde, tout en faisant cela de manière solidaire entre eux : il suffit pour cela qu'ils se répartissent équitablement le coût de ce don, en y contribuant chacun grosso modo par 90% de son revenu.
Or donc, et comme je l'avais montré dans encore un autre texte, si on envisage cette désactivation totale des frontières de la France, comme une manière pour elle « d'aider » et de « s'ouvrir » au reste du monde, et si on se demande à qui en France cette « aide » et « ouverture » coûte ou demande un effort, et à qui éventuellement elle profite, on se rend compte que le coût et l'effort de cette « aide » et « ouverture » ne se répartit pas du tout équitablement aux français.
La désactivation des frontières par rapport aux marchandises profite aux détenteurs du capital, à travers le meilleur rendement des placements dans les pays émergents où le travail est moins cher, et à travers les meilleures marges que font les entreprises grâce au bas cout du travail des pays émergents, de l'entreprise qui a délocalisé sa production, à l'entreprise de grande distribution qui vend des produits à bas cout des pays émergents. Cette désactivation profite aussi aux travailleurs non exposés à la concurrence des pays émergents, à travers le plus bas cout des produits qu'ils achètent quand ils sont faits dans les pays émergents. Par contre, les travailleurs exposés à la concurrence des pays émergents, et les chômeurs qui n'ont pas un diplôme leur permettant d'accéder à des marchés de l'emploi protégés, pâtissent considérablement de cette concurrence. Par le chômage de masse, puisque cette concurrence est aussi une entrave décisive à la réussite d'un plan de relance qui nous ferait revenir au plein emploi, comme je l'ai montré dans un autre texte. Et par les pressions à la baisse qui s'exercent sur les revenus des travailleurs exposés à la concurrence, par trois canaux : le chômage de masse qui fait accepter aux travailleurs de plus bas salaires au moment de l'embauche et qui les affaiblit ensuite en les rendant facilement remplaçables ; le fait que l'État protège moins le travail par peur de le rendre trop coûteux et donc pas assez compétitif ; et enfin l'intériorisation par les travailleurs eux mêmes de cette idée que s'ils revendiquent trop ils deviendront trop coûteux et donc pas assez compétitifs.
La désactivation des frontières par rapport aux capitaux profite aux détenteurs du capital, à travers le meilleur rendement de capitaux libres d'aller là où ils sont le mieux rémunérés, et disposant de la possibilité d'exiger des entreprises de hautes rémunération sous peine d'aller voir ailleurs. Par contre cette désactivation nuit à nouveau aux travailleurs exposés à la concurrence des pays émergents, dont les entreprises sont non seulement mises en concurrence vis à vis des consommateurs par la liberté de circulation des marchandises, mais aussi vis à vis des investisseurs par la liberté de circulation des capitaux. Les conséquences de la liberté de circulation des capitaux sont à nouveau le chômage de masse, et les pressions à la baisse sur les revenu des travailleurs exposés à la concurrence des pays émergents, puisqu'une entreprise a non seulement besoin pour vivre de vendre ses produits aux consommateurs, mais aussi de trouver des investisseurs.
L'ouverture des frontières aux personnes peut elle aussi être instrumentalisée au profit de certains et au détriment d'autres. Dans les activités non délocalisables, comme la grande distribution, l'hôtellerie-restauration, l'agriculture, la construction, la sécurité privée, ou le nettoyage, pour des emplois demandant peu de qualification et donc que presque chacun peut occuper, et dans le contexte actuel de chômage de masse, si les entreprises rencontraient une pénurie de main d'œuvre, il leur suffirait d'augmenter les salaires qu'elles offrent pour trouver finalement des gens sur place prêts à occuper les emplois qu'elles proposent. Le salaire serait simplement le résultat de l'offre et de la demande sur le marché du travail. Mais pour échapper au mécanisme du marché, les entreprises peuvent avoir recours à une main d'œuvre peu qualifiée venue des pays pauvres, et acceptant des salaires aussi bas que possible, si cela leur est permis. Cela profite alors aux détenteurs du capital, dont les placements dans des entreprises payant moins cher une main d'œuvre immigrée ont de meilleurs rendements, et parce que les marges de ces entreprises sont améliorées. Cela profite encore aux travailleurs non exposés à la concurrence des travailleurs immigrés, à travers le plus bas cout des biens et services qu'ils produisent pour moins cher. Mais à nouveau, dans le contexte actuel de chômage de masse, cela nuit aux chômeurs qui ne disposent pas d'un diplôme les protégeant de cette concurrence, dont beaucoup auraient peut-être un emploi dans ces activités. Et cela nuit aux travailleurs non immigrés de ces activités, puisque les entreprises de ces activités n'ont pas eu à augmenter les salaires pour trouver des gens sur place pour occuper les emplois qu'elles proposent.
« L'aide » au reste du monde que serait la désactivation des frontières, coûte donc considérablement, en premier lieu aux chômeurs ne disposant pas d'un diplôme les protégeant de la concurrence des pays pauvres et émergents, puis aux travailleurs non protégés de cette concurrence. Par contre elle ne coûte rien et même profite, un peu aux travailleurs non exposés à la concurrence des pays émergents, et beaucoup aux détenteurs du capital. Le coût de cette « aide » se répartit donc bien en fonction des moyens aux gens du pays, mais dans le sens inverse du sens qui serait équitable.
D'autres manières pour les gens d'un même pays, d'être « Généreux » envers le reste du monde.
Or en vérité, il serait tout à fait possible pour notre pays de continuer à « aider » le reste du monde, mais d'une manière dont le coût se répartisse équitablement à nous. On peut imaginer de combiner plusieurs méthodes pour faire cela, dont chacune aurait un coût ou supposerait un effort qui se répartirait équitablement. Par rapport à la désactivation totale des frontières qui ne demande aucun effort aux plus riches d'entre nous et qui même leur profite, chacune de ces méthodes leur demanderait donc un effort beaucoup plus important, ou autrement dit, nuirait à leurs intérêts. Et comme par hasard, ces méthodes alternatives sont aujourd'hui quasiment oubliées du débat public, même par les plus sincères adeptes de la « Fraternité » et des autres valeurs « Humanistes ».
Préalablement, il faut préciser que notre pays devrait continuer à faire des échanges avec le reste du monde, mais simplement des échanges contrôlés pour éviter qu'ils aient chez nous certaines conséquences négatives. Du protectionnisme et un contrôle des mouvements de capitaux, pour réduire la pression de la concurrence sur le coût du travail avec les pays émergents, dans la mesure seulement où cela est indispensable pour sortir l'économie française du chômage de masse et de la pression à la baisse sur certains revenus. De telles mesures conduiraient simplement nos échanges commerciaux et financiers à devenir réciproques, et non déséquilibrés comme aujourd'hui. Un tel type d'échanges internationaux où le coût du travail dans un pays, ou ses autres choix de vie et particularités, quels qu'ils soient, n'empêcheraient pas ce pays de garder un équilibre de sa balance des paiements, est celui qui était prévu par les propositions avortées du Bancor de Keynes et de la Charte de la Havane, faites dans un cadre international à la sortie de la deuxième guerre mondiale. Un certain contrôle des mouvements de personnes devrait aussi être fait, pour éviter autant que possible que ces mouvements soient instrumentalisés par les entreprises des activités non délocalisables, pour maintenir les salaires au plus bas. Tout cela bien sûr couterait très cher aux détenteurs du capital, et dans une moindre mesure, aux travailleurs non exposés à la concurrence des pays pauvres et émergents.
Dans le même temps notre pays pourrait commencer par augmenter aussi considérablement qu'il le veut son aide financière au développement, en prêtant ou donnant de l'argent, et avec une agence prenant garde que l'argent soit le mieux utilisé. Notre aide financière au développement ne représente en moyenne que 0,5% de nos revenus, soit en tout 10 milliards d'euros. En contrepartie de la disparition de la concurrence sur le coût du travail avec les pays pauvres et émergents, et de tous ses effets bénéfiques pour notre économie, nous pourrions par exemple envisager sérieusement de donner 12% du revenu des plus riches et 4% du revenu des plus pauvres d'entre nous, ce qui ferait en tout en gros 120 milliards d'euros ? A quelqu'un qui est au chômage à cause de la désactivation des frontières, celle-ci coûte la différence entre une allocation chômage et le revenu d'un travail correctement payé, soit bien plus que 12% de ce revenu : au moins 40%. A quelqu'un qui a un travail et qui subit une pression à la baisse sur son revenu à cause de la concurrence avec les pays pauvres et émergents, cette pression coûte à nouveau bien plus que 12% de son revenu : au moins 20%. 12% du revenu des plus riches n'est pas un chiffre plus « démagogique » que 20% ou 40% du revenu des plus pauvres. Nous ne représentons qu'1% de la population mondiale, et il y a très certainement dans le reste du monde beaucoup plus de manières de donner ou prêter utilement de l'argent, que nous n'en avons la possibilité ou l'envie, même en étant très « Généreux ». Le coût de cette aide se répartirait équitablement puisqu'il serait assumé par un impôt, et donc cela couterait d'autant plus cher aux plus riches que cette aide serait importante et que cet impôt serait progressif.
Notre pays peut aussi décider que toute une gamme de produits issus des pays pauvres ou émergents, devraient quand ils sont vendus en France, satisfaire des normes semblables à celles garanties par les labels du « commerce équitable » : garantissant que les travailleurs des pays pauvres ou émergents qui ont produit ces marchandises que nous consommons, soient plus correctement payés. Cela ne nous couterait par si cher que cela, puisque la part de supplément pour le producteur ne représente qu'une petite partie du prix d'un produit labellisé « commerce équitable ». De plus on pourrait décider de soumettre à moins de normes le panier moyen du pauvre que celui du riche. Aujourd'hui le type de produits où le « commerce équitable » est le plus répandu est le café, et les paquets de café « commerce équitable » ne représentent que 5% des paquets de café vendus en France. Imposer une norme garantissant ce que garantit ce label, pourrait donc avoir un effet important, si par exemple on l'appliquait à 100% des produits (et non seulement 5%) de tous les types agricoles exotiques (et non seulement le café) que nous importons : café, chocolat, sucre, riz, bananes et autres fruits exotiques, jus, biscuits, coton et habits, meubles... De telles normes pourraient aussi concerner d'autres produits... Voilà encore une mesure dont le coût se répartirait équitablement selon le pouvoir d'achat de chacun, et qui nuirait aux intérêts des détenteurs de capital, grandes entreprises de produits exotiques par exemple.
Notre pays pourrait encore décider d'accorder aux pays pauvres et émergents le droit d'utiliser chez eux certains brevets protégeant par exemple nos inventions de médicaments ou d'autres choses utiles au développement. Voilà une mesure qui coûterait surtout aux détenteurs du capital.
Notre pays pourrait aussi rester ouvert à la venue d'étudiants étrangers, voire faciliter leur venue et augmenter autant que nous le voulons leur nombre, dans la mesure où les savoirs qu'ils acquièreraient seraient utiles au développement de leur pays. Encore une fois le coût de cette aide se répartirait équitablement par l'impôt qui finance nos structures éducatives.
Notre aide au développement pourrait aussi être humaine en plus d'être financière : nous pourrions organiser un service civique ouvert pourquoi pas à d'autres personnes que seulement des jeunes, mobilisant éventuellement les compétences particulières des gens, et tourné vers l'aide au développement. Les besoins en aide humaine ne manquent pas dans le reste du monde, et parfois même ce qui paraît une compétence sans valeur peut en avoir dans le reste du monde : par exemple le simple fait d'avoir un baccalauréat peut suffire pour enseigner dans une école primaire dans un pays qui manque de moyens éducatifs. Une telle aide serait surement aussi bonne pour nous que pour le reste du monde, en renforçant notamment notre cohésion, et mobilisant nos énergies pour leur donner un sens positif. A nouveau le coût de cette aide se répartirait équitablement, chacun riche ou pauvre pouvant y participer, et les moyens financiers nécessaires provenant à nouveau de l'impôt.
Le caractère douteux des bénéfices pour le reste du monde, de la désactivation totale des frontières.
Le talisman « Fraternité » peut donc nous aveugler sur le fait qu'il aurait pu exister d'autres sortes d'échanges internationaux, d'autres modes de développement du monde, que celui basé sur la désactivation totale des frontières et les déséquilibres commerciaux et financiers. Mais il nous aveugle aussi finalement, sur tous les mauvais côtés pour le monde dans son ensemble, de cette désactivation totale des frontières. Cette désactivation est dans l'esprit du néo-libéralisme, puisqu'elle promet le bien-être par les échanges purement intéressés, c'est à dire qu'elle promet de transformer les égoïsmes en sources de bonheur.
Mais en premier lieu, sommes-nous bien sûrs qu'elle ne conduit pas aussi le monde dans un état de désertification affective et de guerre ?
En mettant les pays en compétition commerciale comme elle le fait, ne nourrit-elle pas un esprit guerrier entre les États, et entre les habitants du monde ? Plutôt que de permettre le développement d'une amitié mondiale ?
Les seuls liens qu'elle crée entre les hommes du monde, sont des relations purement intéressées, où chacun voit l'autre comme un simple instrument. On fait venir des immigrés non pas par intérêt pour ce qu'ils sont, mais juste parce qu'ils acceptent de travailler pour pas cher chez nous : les immigrés ne sont alors pour nous que des instruments. Les immigrés eux-mêmes ne viennent pas par amour pour nous, mais juste parce qu'ils espèrent gagner plus d'argent en venant : notre peuple et notre territoire ne sont pour eux que les instruments de leur enrichissement. On achète des choses aux pays émergents parce qu'ils acceptent de travailler pour pas cher : à nouveau notre seule relation à eux est qu'ils sont des instruments augmentant notre pouvoir d'achat. Idem pour les capitaux qui ne viennent dans un lieu que lorsqu'il est l'instrument de leur rendement. Est-ce vraiment sur des relations de ce type que nous espérons créer des relations amicales entre les peuples ? N'est-ce pas plutôt au mieux de l'indifférence, au pire de la rancune pour « celui qui m'a exploité », « celui qui m'a fait faire le sale boulot pour pas cher » que nous risquons de créer ?
Enfin, cette désactivation totale des frontières a peut-être tort de vouloir qu'on puisse entrer dans un pays comme dans un moulin. Même s'il doit être possible de rentrer dans un pays, il faut peut-être que s'engage alors un processus de dons réciproques entre le nouveau venu et le pays d'accueil, plutôt qu'une indifférence mutuelle. Les lieux sont habités et on n'entre peut-être pas dans un lieu habité par un peuple sans respecter certains protocoles. Un peuple devrait aussi peut-être respecter certains protocoles d'accueil.
Et en second lieu, cette désactivation totale des frontières n'a finalement pas d'autre motivation profonde que de servir certains intérêts bien particuliers, principalement ceux des détenteurs du capital. A nouveau, mais cette fois sur le pur plan économique, sommes-nous bien sûr que l'alchimie promise par le néo-libéralisme opèrera, et que le plomb de cette motivation égoïste, peut se changer en l'or de la meilleure croissance possible pour le monde ?
Le libre échange et la liberté de circulation des capitaux ont surement accéléré la croissance de certaines zones. Mais cette croissance économique aurait peut-être pu se faire autrement, et elle n'est pas toujours le bonheur : sortir de la misère est une bonne chose, mais des hommes ne peuvent-ils être heureux en ayant des modes de vie différents du mode de vie occidental, et différents du mode de vie des ouvriers des usines dans les pays émergents ? Et surtout, beaucoup d'autres zones ne se sont pas développées, alors que peut-être qu'elles se seraient mieux développées avec d'autres modes d'interactions entre nations. En particulier, payer correctement le travail des producteurs de produits exotiques comme le café et autres produits qui peuvent être labellisés « commerce équitable », ou permettre l'utilisation de brevets, ou faire des aides humaines et financières beaucoup plus importantes au développement, ou mieux accueillir les étudiants étrangers, aurait pu impulser du développement dans les pays du reste du monde. Et il suffit surement de lire des essais « alter-mondialistes » ou concernant l'histoire géopolitique mondiale depuis la deuxième guerre, pour trouver d'autres exemples de choses autres que la désactivation totale des frontières qui auraient pu impulser du développement.
Quant à la liberté de circulation des personnes, elle ne contribue pas au développement des pays d'origine des immigrés, et n'est donc peut-être pas la meilleure forme d'aide que nous puissions apporter au reste du monde.