samedi 20 juin 2020 - par C’est Nabum

La lente évolution de l’espèce

Du « Moi, je… » au « Nous, on … »

Converser avec ses semblables , c'est prendre le risque de tourner en rond, d'aller d'une anecdote à l'autre sans vraiment s'écouter, sans tout à fait se comprendre, sans rien attendre des autres échanges. Les participants à une formation, une réunion ou un congrès s'installent dans la connivence feinte, le sous-entendu abscons et la méta-communication inféconde.

J'use à dessein de l'expression obscure qui sied en pareilles occasions, de celles qui font plus le fripon que le larron. Le locuteur ratiocine, son interlocuteur détourne le propos à son propre compte, des auditeurs pratiquent l'aparté discret quand quelques uns persiflent ostensiblement. Personne ne s'écoute tout à fait, tout le monde s'en moque vraiment !

Ce monde se vante d'être celui de la communication, il serait plus convenable d'évoquer la multiplicité des échanges inféconds. Les gens se trouvent face à face, ils se parlent médiocrement jusqu'à ce qu'un portable sonne. La première conversation s'éteint puisque le sonné n'hésite pas une seconde et répond favorablement à l'appel d'un lointain tiers. Cette fois, il s'enflamme, a beaucoup à dire et oublie bien vite son vis à vis réduit au rang de comparse silencieux mais indiscret.

Le portable s'insinue également dans les réunions publiques, les stages et les interventions officielles. Il instaure un ordre de priorité absolu. Le distant est plus important que le présent. L'imprévu est préféré aux obligations, le familier prime sur le professionnel, l'intime s'impose au public. Curieusement, lorsque la situation s'inverse, que le récepteur se trouve dans son cadre intime, il renverse les rôles et ses priorités.

Le portable est l'expression absolue de la dilution du verbe dans le paraître. Les mots n'ont plus d'importance ce qui, paradoxalement leur confère cette urgence insupportable au détriment de la vie réelle… La communication s'inscrit alors dans cet étrange va et vient entre deux expressions pathétiques et égocentriques.

Adolescent ou adulte, homme ou femme, chacun s'installe dans cet enfantin « Moi, je … » qui réduit l'autre au rang de simple témoin de son immense importance. Parfois, le porteur de portable fait un pas plus grand vers l'altérité et déclare modestement « Nous, on … ».

Dans le premier cas, la redondance pronominale reste singulière et éclaire vraiment la personne la plus importante pour notre beau parleur. Dans le second, les pronoms s'entrechoquent, allant d'un pluriel assumé à un singulier multiplie. Ce « on » insipide qui se doit d'être une somme de « Je » qui s'ignorent, n'est finalement qu'une bien pâle illusion du collectif …

Les parleurs vont alors d'un particulier local à un général bancal. Si peu d'opinion, beaucoup de futilité, une collection d'idées préconçues, des banalités météorologiques ou localisatrices, des réitérations incessantes. Voilà à quoi servent ces forfaits exorbitants, ces appareils rutilants, cette grossièreté permanente.

Le truisme téléphonique tue l'intelligence. Celle-ci s'est noyée dans ce délayage verbal de l'insipide, du banal, de l'inutile qui rassure, qui vous donne l'air d'avoir l'air. Les esprits sont préoccupés par ces échanges vides de sens et ne s'occupent plus de l'essentiel.

Ça tombe à merveille, cette société du futile fait le lit d'un pouvoir qui montre l'exemple. Notre grand président se pavane avec l'insupportable au creux de l'oreille : du ton sur ton d'un meilleur effet. Il communique par SMS et donne de ses nouvelles sur Faceboock. Il est le Prince du « Moi, je … » et je peux vous assurer que lui, ne dira jamais « Nous, on … ».

Pauvre on. Qu'allons-nous devenir dans ce monde privé d'intelligence, de débat et de raison !

Moijeonnement vôtre.

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