lundi 7 septembre 2015 - par Boogie_Five

La théorie du complot américain : le tombeau de la critique anticapitaliste

Sur l’histoire : les USA, la guerre en Orient et le terrorisme :

Dans les médias internet libres (plus souvent de gauche), parmi les articles et les commentaires postés, dès lors que les sujets évoqués sont la guerre en Syrie et en Irak, et par extension la question des réfugiés, la réponse européenne aux conflits du Proche et Moyen-Orient, le terrorisme dit « islamiste », les cœurs s’emballent très vite et font des USA le grand ordonnateur de tous ces conflits et de leurs conséquences. Ce qui est le plus souvent dit est qu’il existe une alliance implicite entre les organisations terroristes se réclamant du fondamentalisme islamique et les intérêts américains pour dominer la région, que l’Europe est entièrement soumise aux intérêts américains et donc final les USA cherchent à dominer le monde politiquement, militairement et culturellement (avec l’aide d’Israël, comme c’est récurrent dans cette grille d’analyse), en favorisant des groupes d’assassins pour brimer des populations qui souhaitent s’émanciper pacifiquement, que ce soit sous une bannière laïque moderne soit sous une forme plus traditionnelle d’un islam libéral.

Bien sûr, tout cela n’est pas faux, mais je crains que le jeu géopolitique soit bien plus complexe et ne se déploie pas d’une manière aussi mécanique qu’il est souvent prétendu. Il est important de localiser les bonnes cibles lorsque nous voulons critiquer la position d’un acteur, et les attaques idéologiques globales contre un État aussi étendu que les États-Unis ne doit dispenser de faire une autocritique de notre propre position par rapport à ce même acteur, notamment quand il s’agit d’une puissance mondiale dont les actions diverses ont des effets multidimensionnels directes et indirectes, avec une ampleur qui rendent bien difficiles l’identification exacte de ce qui appartient aux uns ou aux autres.

Je trouve qu’il y a beaucoup de confusion (peut-être organisée à cet escient, me diriez-vous) dans tous ces débats sur les guerres en Orient, l’Islam, l’anti-terrorisme et le terrorisme, et je pense qu’à force d’en faire trop sur tous ces sujets, nous augmentons plus que nous diminuons les chances d’apaiser tous ces conflits. Sur Agoravox, c’est le deuxième article que j’écris à ce sujet. Je ne suis pas particulièrement intéressé par toutes ces questions, de loin seulement, parce dans le fond je pense que le problème est ailleurs. C’est pourquoi, lorsque je lis les articles et les commentaires qui parlent de tout cela, je peux être en accord avec certains constats et certaines lectures historiques du rôle néfaste qu’a eu la politique extérieure américaine, tandis que d’autres raisonnements et opinions me froissent, biaisent la vérité historique en dressant des procès virtuels où les accusés sont tenus de faire leurs aveux, confondant vérité juridique, historique et idéologique. Dans ces procédés rhétoriques, assez bien connus dans la pensée politique, la force de persuasion s’appuie sur des faits historiques réels pour dire d’une part que nous sommes capables, grâce à la grille de lecture que nous avons prise, de lire dans le futur, et d’autre part de conduire la pensée et l’action en conséquence. Le principe est : puisque nous sommes en état de vous montrer une continuité historique, il n’y a pas de raison qu’à l’avenir cette continuité change, et donc la seule possibilité qu’il nous reste, puisque nous sommes opposé à ce processus, est d’anéantir ou sinon de briser l’ensemble de cette continuité, en étant sûr et certain que le futur en deviendrait meilleur. C’est donc une lecture historique rétroactive qui interprète le passé selon une destinée future révélée en avance, et c’est là, au temps présent, que peut se produire la négation du réel. Les faits historiques sont extirpés de leurs contextes et prennent place dans le futur comme des symboles politiques qui doivent conduire l’action.

En fait, cette lecture de l’histoire est très classique et très massivement répandue (et je pèse très lourdement mes mots). Nous pouvons même avancer que l’histoire elle-même depuis au moins deux siècles s’auto-réalise et s’est nourrie elle-même de cette vision historique, dans un mouvement de va-et-vient entre ce qui se déroule réellement et ce que nous en disons. Moi-même je le fais très souvent en parlant à des amis, mais là ce n’est plus de l’histoire, c’est du théâtre en format réel.

Cependant, il est toujours possible de retracer les pistes « matérielles » de ce qui s’est effectivement passé, et c’est assez important de savoir de quoi nous parlons exactement, d’identifier correctement les processus historiques, car sans cela nous faisons que de la conjecture spéculative (ce qui est pas mal aussi, mais c’est mieux dans d’autres domaines que celui de l’histoire, lorsqu’elle n’est pas romanesque, et encore…). Mais pour gagner en acuité, en précision, il est nécessaire de perdre de vue la question politique et idéologique dans un premier temps, avant de la retrouver en conclusion, une fois que toutes les « preuves » en quelque sorte, soient bien restituées dans leurs contextes et réunies dans le fil continu d’évènements qui se répondent les uns aux autres, et sans plaquer une interprétation personnelle qui sorte de ces mêmes contextes dans la description de cette continuité historique.

Je ne suis pas docteur universitaire et je ne respecte toujours ce que je dis et de plus je ne fais pas beaucoup d’histoire, mais étant donné que j’ai vu beaucoup d’abus de langage, dont certains ne cachaient même pas un antisémitisme latent, il m’a semblé nécessaire de donner quelques repères pour éviter certains dérapages, ou au minimum que les abus de langage respectent une certaine vérité de fait, en ne poussant pas trop dans la fausse caricature, c’est-à-dire une propagande qui ne dit pas son nom.

Et cette propagande spontanée est regrettable à deux points de vue :

Tout d’abord elle enferme la critique du nouveau capitalisme (et donc une grande partie de la gauche et même une partie de la droite) dans une quête identitaire liée à des intérêts individuels privés ou à des propagandes religieuses et nationalistes, qui, aussi respectables soient-elles quand elles n’appellent pas au crime, sont des dynamiques qui dispersent les forces de la contestation globale et renforcent dans un second temps les positions de ceux-là même qui sont critiqués.

Deuxièmement, lorsque ceux qui sont critiqués répondent à ceux qui critiquent, ces propagandes donnent des matériaux réels pour mettre en relation objective (et non du point de vue des acteurs) ces discours avec les faits de violence perpétrés par des étrangers ; la prime revenant évidemment à l’acte terroriste qui donne l’occasion à tous les conservateurs d’attaquer toute la gauche pour son laxisme, avant même que les résultats d’une enquête viennent étayer un seul de ces soupçons.

Cela n’empêche pas de dire que si la propagande religieuse et nationaliste héritée des histoires coloniales ne préemptait pas autant les occasions de critiquer le modèle dominant en général (qu’une grande majorité de gens disent subir au plan économique avant tout) , il y aurait beaucoup moins de confusion et les acteurs compétents en la matière pourraient s’exprimer clairement sur les questions sociales et culturelles sans être forcément inclus dans l’enjeu culturel quand il parle de l’enjeu social, et inversement. Et aussi sans avoir le but de faire de la surenchère politicienne pour continuer à être au-devant de la scène et finalement suivre une logique mercantile qui répond plus à des intérêts individuels (qui peuvent être satisfaits ailleurs et d’une autre manière).

À bas les identités factices toutes préfabriquées par la culture de masse ! Et à bas les intérêts mercantiles qui les exploitent et répandent la police des comportements ! Y compris ceux qui croient émanciper des minorités en renforçant leurs identités alors qu’ils ne font que reproduire la logique de domination – et ceux-là se retrouvent dans toutes les strates de la société.

L’émancipation n’a pas de couleur ou de religion, elle est l’essence de ce qu’est un être humain, et donc elle est une vocation universelle et transcendantale, innée et transhistorique. Sans émancipation, il ne reste plus qu’un animal incapable d’augmenter sa conscience réflexive.

 

 

Sur ce que je pense des relations Europe-USA, en rapport avec la crise au Proche-Orient :

Un commentaire que j’ai posté sur le site de Marianne en réaction à un autre commentaire, ayant suscité un certain nombre de réactions, qui répondait à un article au sujet des migrants : http://www.marianne.net/migrants-il-ne-suffit-pas-etre-100236558.html. Dans cette partie le style est plus familier et ce n’est pas une analyse historique à proprement dit, juste mon opinion

 

Bon, Ok ! Les USA ont utilisé le jihad pour abattre le régime soviétique et les Etats laïques. Ok ! Les USA veulent imposer un libre-échange intégral selon leurs intérêts. L’hyperpuissance américaine a maintes fois été analysée et critiquée, à juste raison, dans ses interventions militaires et diplomatiques.

Cependant, leur puissance est liée à celles des pays qu’ils cherchent à dominer : si tous les pays européens s’effondrent à cause de la barbarie qu’ils ont soutenue pour anéantir toute forme d’opposition au modèle libéral américain, soit ils seront obligés d’intervenir massivement dans les pays alliés (investissements économiques et soutien militaire), soit ils s’affaiblissent en même qu’eux. Les USA ne peuvent pas gagner sur tous les tableaux. C’est plus l’Europe qu’il faut accuser d’inertie que les USA qui ont suivi la même politique étrangère depuis la seconde guerre mondiale, même si ils ont abandonné leur rôle de prêteur en dernier ressort dans l’économie international. Et les contradictions sont là : en libéralisant à tout va, leur puissance ne repose plus que sur les interventions militaires. Or aujourd’hui, dans l’univers d’une économie globale détachée de l’économie réelle, le contrôle militaire des territoires n’est pas aussi décisif qu’auparavant. En d’autres termes, les USA continuent une veille stratégie de domination classique qui n’arrive pas à remplir les objectifs : les USA sont en fait paralysés face l’évolution du monde : il suffit de voir comment ils ont perdu la main sur l’Amérique latine, leur chasse gardée depuis le 19ème siècle, comment depuis la guerre du Vietnam, les conflits qu’ils engendrent s’enlisent et aboutissent à des catastrophes. N’importe quel dirigeant politique un peu sensé regarde à deux fois avant de négocier avec les américains, non pas parce qu’ils cherchent à dominer, mais parce qu’ils se trompent.

Malheureusement, les Européens les rejoignent dans cette mascarade, mais autant pour des raisons économiques que pour des raisons culturelles. Pas besoin de supers espions pour dominer la France ou la Pologne, il suffit d’aller au Mcdonald’s, d’aller voir le dernier Marvel ou de manger un bol de Corn Flakes pour accroître la puissance des américains. Mais les citoyens veulent-ils vraiment changer leurs habitudes, et sont-ils prêts à s’engager dans la guerre économique envers les américains ? Là est toute la question. Et finalement, dans ce rapport de force éventuel, l’anti-américanisme d’un certain nombre de pays musulmans est-il plutôt une aubaine ou un danger encore plus grand d’être soumis à une dictature encore plus féroce ? Et à votre avis, les français préfèrent-ils la rigueur néolibérale qui met un tiers de la population dans la précarité voire le paupérisme, avec une petite dose d’islamophobie et de xénophobie une ou deux fois par mois ou alors le moralisme salafiste qui culpabilise incessamment la moindre critique religieuse, le moindre écart intellectuel ou le moindre comportement qui n’est pas culturellement convenable, avec une petite dose de châtiment corporel une ou deux fois par mois ? Question difficile, réponse difficile.

Aucun pays au monde n’a pas connu de guerre ou n’a pas entrepris de massacre envers des populations minoritaires qui s’opposaient à eux (et j’adorerais dire le contraire). Les USA ont été spectaculaires dans leurs attaques, parce qu’ils sont justement la première puissance mondiale et cherchent à le rester. Mais à bien des égards les pays européens ont été bien pires vis-à-vis des pays anciennement colonisés, et que voulez-vous, entre grands nostalgiques de la domination occidentale, les USA et l’Europe sont solidaires dans leur compassion narcissique mutuelle. Il n’y a pas de hiérarchie culturelle entre les deux régions.

L’Europe subit aujourd’hui le contrecoup de l’affaiblissement de la puissance américaine, qui n’arrive plus à réguler les relations internationales. Ceux qui croient que les USA dominent encore l’Europe sont assez naïfs, car le temps de l’hyperpuissance a été révolu à partir du moment où ils voulu tout libéraliser en espérant s’agrandir un peu plus, c’est-à-dire depuis les années 1970. Endettés jusqu’au cou, contestés en Asie et en Amérique du sud, revenus au temps des troubles raciaux et anarchistes, il n’y a plus que certains geeks, hipsters ou quelques curieux américanophiles qui pourraient encore croire que le modèle américain est exempt de toute critique et est au-dessus de tout ce qui peut exister, à la pointe du progrès et du bonheur de vivre. Le rêve américain s’est évaporé, et une bonne partie de la puissance politique qui allait avec.

 



7 réactions


  • Clark Kent Rascar-Capac 7 septembre 2015 09:35

    Article bavard dont le résultat est de proposer une explication « tarte à la crème » après avoir expliqué en long, en large et en travers que la pâtisserie n’est pas bonne pour la santé !


    • CorsairePR CorsairePR 7 septembre 2015 09:43

      @Rascar-Capac ah ah je suis d’accord !


    • Boogie_Five Boogie_Five 7 septembre 2015 09:59

      @Rascar-Capac

      Surtout quand c’est la même pâtisserie qui nous est servie depuis des années, ce n’est plus pour des raisons de santé que je m’inquiète, mais parce que j’en suis écoeuré et ça commence à me gaver. 

  • CorsairePR CorsairePR 7 septembre 2015 09:42

    Tu regarderas la courbe de la dette américaine au cours des 20 dernières années et tu regarderas aussi celles de leurs investissements militaires.
    Les deux ont explosé, en clair ils s’endettent auprès de nous pour que nous continuions de trembler devant leur puissance militaire...
    Non, les Américains ont encore quelques beaux jours de domination mondiale mais comme tu le constates toi-même, cet pax americana qui dure depuis 50 ans ne tiendra pas et c’est tant mieux. On ne peut vraiment que les blâmer pour la manière excécrable dont ils ont géré le monde.


  • Robert GIL Robert GIL 7 septembre 2015 13:36

    On a besoin d’un complot quand on ne voit pas que l’essentiel est transparent. Les complots de services secrets et autres, même s’ils existent, n’expliquent rien à qui se donne la peine de comprendre avec un point de vue de classe sans compromis, y compris avec ceux qui, sincères, sont bernés aujourd’hui ou se réveilleront tôt ou tard avec la gueule de bois, parce qu’ils se sont sentis « récupérés », « manipulés »…Les mensonges, la désinformation et les manipulations réelles par les médias, une fois dévoilées, n’expliquent rien de plus. Elles aboutissent au fond aux mêmes questions : pour quelles raisons font-ils ça ? Comment fonctionne le capitalisme aujourd’hui ? ... lire la suite


  • doctorix, complotiste doctorix 7 septembre 2015 16:03

    Bla-bla-bla pénible.

    Diarrhée verbale.
    Je pense que... J’estime que... 
    Quand on n’a rien à dire on ferme sa gueule.
    Quand je pense que les rédacteurs d’Agora ont plussé ça...

Réagir