mercredi 12 octobre 2016 - par C’est Nabum

Le cloître en folie

Signe des temps ?

Que s’est-il passé sur le cloître Saint Aignan le samedi en fin d’après-midi et en soirée ? Nul ne peut le dire vraiment. Toujours est-il qu’un vent de folie a soufflé sur les participants, les visiteurs occasionnels, les chalands impromptus et les spectateurs assidus. La belle équipe d’ABCD lançait son Festival de Travers et les plus nostalgiques retrouvèrent la douce euphorie grisante de la fête du cochon.

La foule, profitant sans doute d’une soirée printanière en cet automne débutant s’est laissée prendre par la gourmandise et le bonheur d’être là de profiter de la place, d’être ensemble et de partager cet air de liberté qui se conjugue si bien avec un petit air d’accordéon. Nul policier en arme, ni soldatesque armée jusqu’aux dents, deux vigiles à la bonhomie rassurante ont permis de retrouver l'exubérance insouciante d’un temps où l’urgence n’avait pas envahi l’état.

Le bonheur était sur la place, c’était manifeste, une évidence qui sautait aux yeux ; des visages rayonnants, des joues empourprées, des yeux qui pétillent, l’envie de se parler, de flâner, de jouir d’un temps qui risque de ne plus être aussi bienheureux à l’avenir. Il y avait cette envie de croire que la musique et la convivialité resteront à jamais les symboles forts d’un art de vivre à la française.

Puis l’observateur attentif s’interroge. Cette foule joyeuse et hédoniste n’est pas si diversifiée qu’il n’y parait. On devine une homogénéité sociale, une connivence idéologique, une unité de pensée. Les bourgeoisiaux ne viennent pas se mêler à la horde, trop populaire, trop excessive, trop poussiéreuse, trop tout ce qu’ils ne sont pas en somme. On y boit dans des verres en plastique, des vins naturels et de la bière, c’est si commun. On y mange des huîtres et des frites, mon dieu c’est si vulgaire !

La diversité elle aussi est un peu étrangère à la fête. Rares sont les communautés présentes, il y a quelque chose de l’entre-soi que je constate sans vraiment le déplorer. C’est ainsi, cette fête porte sans doute en elle la tradition de la foire ancestrale et de ce cochon qui ne fait pas l’unanimité. Pourtant, loin des organisateurs la volonté de limiter le public, de chercher une unité qui est loin d’être désirée.

C’est bien cette conception particulière de la fête qui crée des barrières, qui creuse les fossés sociaux. Pourtant, faut-il se priver de ce plaisir sous prétexte qu’il n’est pas partagé ? La musique entraîne le public dans sa sarabande, elle est joyeuse, jubilatoire, éruptive. Elle pousse à boire et à manger, à se libérer des lourdeurs du moment.

Au cœur de la place, un manège merveilleux monté sur ressorts, mû par la seule force de l’animatrice qui se fait passeuse de rêves, de son compère qui provoque la tempête sur les petits bateaux de bois en favorisant le roulis. Les enfants sont aux anges, les parents sourient, la mécanique tristounette des carrousels a laissé place à la fantaisie d’un bricoleur de génie. Est-ce ce manège enchanteur qui a fait basculer la fête dans un autre monde ?

À moins que ce ne soit la fanfare hilarante et heureuse qui ait provoqué cette montée d’adrénaline parmi les présents. Elle pousse les spectateurs à la consommation, elle leur montre le chemin, elle scande la folie de l’instant. Tout est en harmonie sur la place, les concerts ne brisent pas le charme, ils se succèdent avec en fil conducteur, l’envie de bouger et de libérer son énergie.

Les stands sont eux aussi au diapason. Ils accueillent les badauds, font d’eux les acteurs de la furia du jour. Des trognes hilares sortent des tentes, tout est conçu pour qu’ils n’aient nulle envie de quitter la place. Alors on s’y installe, on s’y restaure, on s’y désaltère au delà du nécessaire. C’est si bon un peu de déraison dans ce monde si terne …

Les bénévoles se multiplient pour répondre aux demandes, toujours plus nombreuses, toujours plus pressées d’un public pris de frénésie. Le sourire aux lèvres, un bon mot en guise d’entrée en matière, ils s’agitent, se démènent, courent, se mettent en quatre pour satisfaire les uns, régaler les autres, amuser les plus jeunes, divertir et nourrir, réjouir et plaire cette foule innombrable.

Que puis-je saisir de cette malicieuse bacchanale musicale ? J’avoue que j’écris ce billet du fond de ma guitoune, de cet accoudoir devenu un bateau ivre, une cursive où s’échouent les naufragés du gosier. Le couteau à la main, le tablier autour du cou, des heures durant, j’ai ouvert des huîtres comme jamais je n’avais fait. La frénésie des acheteurs était telle ? que l’air était emprunt des embruns de la Bretagne. Je vais retourner sur la place, j’espère que le dimanche sera du même tonneau même si, il faut l’avouer, les réserves ont été bien mises à mal.

Frénétiquement vôtre.

L'Armada Manège sur une autre fête

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