Le DIF : Argumentaire présenté à l’Assemblée Nationale
LA RÉFORME DE LA FORMATION 2009 - LE DIF
Rappel : la Réforme de 2004
I – Le DIF est une invention des partenaires sociaux en 2003, reprise par la Loi de 2004
- La formation tout au long de la vie devenant essentielle dans la société de la connaissance,
- Le développement des formations pour les moins qualifiés,
- Une formation redevenant « école de la seconde chance »,
- Une co-responsabilité inédite entre entreprise/salariés sur l’employabilité,
- La sécurisation des parcours professionnels,
- L’amélioration de la compétitivité des entreprises.
II - Les résultats cinq ans après le vote de la Loi
- Un taux de réalisation toujours faible : < 5 % par an (bien moins de 1 % pour les intérimaires et les CDD)
- Un détournement du DIF par certains employeurs (y compris lors de période de chômage partiel)
- Une incapacité des syndicats comme des entreprises à promouvoir le DIF
- Une déresponsabilisation des entreprises face à l’avenir professionnel de leurs salariés
- Une désillusion des salariés qui découvrent un droit difficile et périlleux à mettre en œuvre
- Des lourdeurs administratives empêchant la généralisation du DIF (OPCA et contrôle de l’Etat)
III - Les conséquences
Pour les salariés
- Difficulté de se reconvertir ou de rebondir en cas de rupture professionnelle
- Absence de sécurisation professionnelle entraînant défiance et désillusion face à la formation (le DIF n’est pas encore l’assurance employabilité de chacun)
- Sentiment d’avoir été abusé par le terme droit à la formation dont la réalisation est vécue comme un parcours du combattant.
Pour les entreprises
- Un risque financier important (de 1 à 6 % de la masse salariale) : la bombe à retardement décrite dès 2004 puis en février 2009 (par la Cour des Comptes)
- Un risque organisationnel : comment déployer le DIF avec un service formation insuffisant (ratio de un responsable formation pour 2 000 salariés en moyenne) ?
- Un risque social : comment faire face dès 2010 aux demandes pressantes des salariés et des syndicats alors que les budgets formations sont restreints du fait de la crise ?
- Un risque juridique : l’absence de prise en compte de l’employabilité des salariés va entraîner un contentieux important
Pour le pays
- L’Incapacité à faire évoluer un modèle économique et social hexagonal en fin de cycle
- Une conflictualité et une désespérance sociale prévisible du fait de la crise
- Un épuisement rapide des budgets et des capacités d’accompagnement des services publics de l’emploi
- L’impossibilité de tenir nos engagements européens sur l’entrée dans l’économie de la connaissance
Les points d’alerte
- 24 milliards d’euros sont consacrés à la formation, 60 % des salariés n’y accèdent jamais (Françoise Fillon, 3 juillet 2007)
- La crise économique entraîne de fortes réductions des budgets formation (la formation est encore considérée comme un coût, la crise provoque attentisme ou sidération)
- Notre pays n’aura peut être pas une troisième opportunité de réformer sa formation, il faut préparer la société post industrielle du XXIème siècle
- Les personnels les plus précaires n’ont pas accès à la formation (CDD, Intérimaires, Saisonniers..)
- 80 % des salariés souhaitent se former et évoluer professionnellement, cette demande est souvent niée par les entreprises (sondage Ipsos/AFPA - avril 2008)
- 33 % des salariés envisagent une reconversion professionnelle dès 2010 (sondage Ipsos/AFPA - avril 2009)
- L’Illettrisme touche près de 3 millions de salariés (source Ancli )
- La fracture numérique : 50 % environ des salariés ne maîtrisent ni Internet ni l’informatique
- Langues : 80 % des salariés ne maîtrisent aucune langue étrangère
IV - Trois hypothèses sont possibles en 2010
1 - Le faible développement du droit à la formation
- Une incapacité à anticiper les changements individuels et collectifs,
- Un risque de disqualification professionnelle pour 20 ou 30 % des salariés,
- Un dispositif restant inapplicable et inappliqué dans les entreprises les plus fragiles (petites ou en difficultés).
2 - Le raz de marée DIF
- 20 % des salariés réclamant leur 120 h de DIF (avec un coût individuel de 2 000 à 6 000 euros)
- 20 à 30 % des salariés réclamant 20 h de DIF (celles qu’ils ne peuvent capitaliser au délà de 120 h)
- Une demande forte et déstabilisante pour l’univers de la formation avec un stock d’un milliard d’heures de DIF à réaliser
- Faute de préparation et d’anticipation un abandon du plan de formation au seul profit du DIF
3 - Le DIF revu, corrigé et ajusté
- La sécurisation professionnelle pour tous
- Un Droit à la formation devenant aussi naturel et simple que les congés payés
- L’entrée dans la société de la connaissance et de l’information via un processus d’apprentissage permanent
- Quatre mesures simples pour rendre la réforme efficace
1- Sécurisation des parcours professionnels
- Transférabilité intégrale des heures de DIF via un Compte épargne formation géré par l’UNEDIC ou un organisme public
2- Sécurisation de la demande du salarié
- Accord sous 30 jours
- Réalisation sous 3 mois
- En cas de désaccord (qui devrait toujours être motivé par écrit) organisation obligatoire et sous 3 mois d’entretiens professionnels et proposition d’un projet alternatif de formation
3 - Sécurisation des entreprises
- Contribution formation ne concernant que le DIF, le plan de formation sortant du contrôle de l’Etat.
- Obligation de verser tous les ans 20 h de DIF sur un Compte Epargne Formation quelque soit la taille de l’entreprise (les PME règlent les congés payés de leurs salariés, elles doivent aussi payer le DIF de leurs salariés (sur une base de 2 fois le montant des contrats de pro soit 18 €/h) = DIF provisionnable.
- En regard de cette dépense DIF, abandon de la contribution obligatoire de 0,55 ou 0,9 % du plan de formation
4 - Des publics prioritaires à favoriser : les travailleurs précaires
- CDD, Intérimaires, temps partiel subi, saisonniers, seniors…
- Travailleurs peu qualifiés ou sans formation depuis 3 ans
- Indépendants : auto entrepreneurs, portage, libéraux, artisans
En préambule de la Loi
- Le Droit à la Formation est un Droit fondamental pour toutes les personnes actives, il a pour mission de permettre aux travailleurs de s’adapter aux besoins de l’économie, de changer d’emploi, de secteur d’activité ou de métier tout au long de leur vie.
- Le Droit à la retraite n’éteint pas le Droit à la formation tout au long de la vie
- L’employeur est responsable du maintien de l’employabilité de ses salariés.
V - Annexe : Les trois impasses ou oublis actuels du projet de Loi
1 - La portabilité impossible instaurée par les ANI de 2008 et 2009
- Une portabilité complexe, lourde et longue à mettre en œuvre : Les OPCA sont liés aux branches, aux syndicats et alourdissent la gestion de la formation. Le DIF doit aussi sortir de la logique des branches professionnelles, les entreprises doivent gérer en direct le DIF
- Le mécanisme imaginé par les partenaires sociaux de portabilité du DIF sera difficile et long à mettre en oeuvre (transfert de fonds d’un OPCA à l’autre durant plusieurs années, accord d’un conseiller pôle emploi lors du chômage, perte du DIF en cas de désacord chez le nouvel employeur..).
2 - Le financement
- La base retenue de 9,15 € par heure de DIF est trop faible (la Cour des Comptes estime le coût actuel des formations DIF à 42 €/h).
- Le refus DIF demeure renvoyé, après 2 ans de désaccord, devant les FONGECIF. Ce refus doit être exceptionnel et ne pas pouvoir porter sur le financement du DIF (les Fongecifs ne pourront par ailleurs traiter des centaines de milliers de demandes).
3 - Les promesses non tenues et les catalogues de bonnes intentions
- Loi de Mai 2004 : La mise en place d’un titre formation évoquée par la Loi de Mai 2004 pour simplifier la prise de commande et la réalisation du DIF (« Art. L. 933-4……. L’employeur peut s’acquitter de ses obligations relatives aux frais de formation par l’utilisation d’un titre spécial de paiement émis par des entreprises spécialisées. Sa mise en oeuvre par accord de branche s’effectue dans des conditions fixées par décret ») Jamais mis en œuvre !!!
- Le Bilan d’étape professionnelle : Article 6 de l’ANI du 11 janvier 2008 : « Une nouvelle prestation simple dénommée le bilan d’étape professionnelle….doit être accessible aux salariés…..les partenaires sociaux détermineront par avenant au présent accord avant fin 2008 les conditions de mise en œuvre des dispositions ci-dessus » : jamais mis en œuvre !!!
- ANI du 7 janvier 2009 : Les dispositifs du DIF et CIF Concernant le DIF et le CIF, un groupe de travail paritaire est chargé de formuler des propositions pour optimiser ces dispositifs pour que chaque salarié puisse vraiment être acteur de son évolution professionnelle. Ce groupe doit être formé avant le 31 janvier et rendra ses conclusions le 30 avril. Les premières « discussions » se sont tenues le 14 avril, on ignore s’il en sortira un quelconque résultat
- Le DIF des CDD : Depuis avril 2007 des « discussions » se tiennent entre partenaires sociaux pour assurer le financement du DIF des salariés en CDD et le cumul des droits acquis par les salariés.
- Le DIF des intérimaires : Tout est fait pour que les intérimaires ne l’utilisent pas : il leur faut avoir cumulé 2 700 h de travail au cours des 24 derniers mois dont 2 100 heures dans l’entreprise de travail temporaire où ils font la demande. C’est à l’intérimaire de réunir toutes les pièces pour justifier de ses droits. Il faudrait en théorie que l’intérimaire travaille 85 % des heures d’un contrat de travail à temps plein pour pouvoir bénéficier d’un DIF. Les plus précaires n’ont pas de droit à la formation en France
- Les motifs de refus d’un DIF en intérim (outre les motifs des autres salariés)
i) l’absence de fonds disponibles. L’entreprise d’interim examine les demandes de DIF « dans la limite des fonds disponibles ». C’est donc un régime très défavorable pour les intérimaires puisqu’aucune restriction de ce type n’existe pour les salariés en CDI.
ii) le salarié est en mission au moment de la réalisation de l’action (pas de chance s’il a retrouvé une mission et souhaite travailler, il perd son DIF)
Mais il y a encore mieux, si par extraordinaire le salarié réussit malgré tout à réaliser son DIF, le DIF éteint tous ses droits à la formation. (s’il prend 20 h et avait cumulé 60 h il perd tout parce qu’il s’est formé !)
Le salarié doit demander sa formation au plus tard dans les trente jours suivant sa dernière mission.
Enfin s’il obtient par chance un CDI ou un CDD sa demande sera annulée (il n’a plus besoin de se former évidemment).
Deux exemples de « réalisations » DIF en France
Société Ma…. ,région sud ouest en 2007 : 20 000 intérimaires au total, 165 DIF ! soit 0,7 %
Société Ad… France, en 2008 : 39 000 intérimaires en formation, 159 DIF ! soit 0,4 %
Pour conclure :
Les partenaires sociaux discutent (à raison d’une fois par mois en général) de l’avenir de la formation professionnelle depuis septembre 2007. Ils ont conclu un premier accord en janvier 2008 et un second, à peu près semblable, en janvier 2009. La réforme de la formation sera votée en juin 2009 pour une application en 2010. Durant ces deux ans et demi notre pays aura perdu sans doute plus de 1,5 millions d’emplois, les salariés auront perdu des dizaines de millions d’heures de Droit à la formation.
Nous traversons cette crise avec des handicaps énormes et nous réagissons face à la crise à la vitesse de la vapeur alors qu’il faut reconstruire notre modèle social et d’apprentissage au plus vite.
Si cette réforme de juin 2009 échoue une nouvelle fois la France n’aura sans doute pas de troisième chance de réformer sa formation professionnelle. Il faut donc que cette réforme aboutisse à une vraie refondation, les partenaires sociaux en sont incapables, seul le parlement peut rebattre les cartes et rendre la formation équitable avec des mesures simples et justes et rapidement mises en œuvre par les entreprises (petites comme grandes).
Didier Cozin
Auteur des ouvrages
Histoire de DIF et Reflex DIF