Le mythe égalitaire de la culture
Depuis 30 ans, c’est le vieux rêve de Jack Lang. L’éternel combattant y croit toujours. Le mythe de la culture s’ingénie encore plus ; il nous le dit assez, la culture a gagné bien des couches nouvelles de la population, voire de l’Europe entière. C’est tout simplement le mythe de l’égalité, la confusion des genres entre l’égalité en droit - tout à fait respectable - et l’égalité de fait, une égalité économique.
L’autoritarisme ambiant n’ose pas le dire mais l’égalité est aussi absente de la culture qu’elle l’est de la nature. Peu l’ont compris. La grande déculturation est en marche. D’une inégalité inacceptable pour les bonnes consciences, on passe à une inégalité inverse, teintée des plus beaux sentiments, nivellant par le bas, refusant toutes hiérarchies. C’est le credo de la gauche mais aussi de la droite bien-pensante. Partout on assimile la culture à un privilège de classe. Le sylllogisme se fait alors limpide : puisqu’elle est ce privilège, abolissons-le, donc abolissons la culture.
La culture est pourtant par essence non-démocratique ; se cultiver, c’est se rendre inégal à soi-même mais aussi se rendre inégal aux autres - non pas en droit mais en esprit. Et s’élever culturellement ou par l’éducation, c’est aussi s’élever socialement. La société actuelle n’accepte pas ce genre de raisonnement dès lors que la supériorité envisagée pourrait avoir un caractère social. C’est cependant une triste réalité, si triste soit-elle.
La culture est privilège car elle est hérédité : héritage, patrimoine, transmission, tels sont les mots qui y gravitent autour. La culture est la culture des morts, du peuple, de la nation. Et c’est cela qu’on entraîne dans sa chute.
La religion des défavorisés n’y est pas étrangère. On fantasme par le prisme de la victime, des milieux désavantagés. La réussite devient presque tabou. L’antiracisme dogmatique se pose en avocat des faibles. La culture se présente comme un déjà-jugé, un corpus de jurisprudence. L’antiracisme refuse cette jurisprudence en alléguant qu’ils n’ont pris aucune part à l’élaboration, ce qui est absolument vrai. Mais la culture est comme la constitution d’un Etat : elle n’a de sens que d’être arrêtée une bonne fois pour toutes, quitte à être enrichie au fil du temps. Si les articles sont incessament remis en cause, il n’y a plus de constitution et il n’y a plus de culture.
L’antiracisme et les pourfendeurs d’un "tout se vaut" culturel ne veulent pas de hiérarchie, or la culture est toute hiérarchie. L’antiracisme se moque des origines, or elle n’est que tâtonnements autour de l’origine.
La culture, sans une classe pour la représenter, pour la faire vivre et l’incarner, est désarmée. Elle n’a plus le prestige, l’aura nécessaire pour la rejoindre. Il n’y a plus de classiques, de références. Maintenir un patrimoine, la structure de cette hiérarchie qui faisait leur essence est balayé d’un revers de main au nom de "mépris", suprême condamnation. Habile argument ou comment cautionner le mépris - réel celui-là, indirectement avec les médias - de la véritable culture au sens noble.
Si la culture est question d’héritage, elle est aussi une question de temps avec soi-même. Le règne du "tout, tout de suite", les médias abrutissant de plus belle le commun des mortels chaque soir, les dictatures idéologiques rendent difficile ce qui paraît la quintessence, la jouissance de se cultiver : la médiation personnelle, le travail sur soi-même. Le désir n’existe plus, il pourra venir après. D’abord l’acte, dans l’espoir de susciter le désir, alors que tout art demande d’ être approché de sa propre initiative pour le comprendre au plus juste de son état.
La culture de masse fait rage. L’inculture ennuie, elle a toujours besoin de nouveautés, culturelles si l’on veut. Mais c’est la nouveauté qui prime sur la culture. Tout se confond. C’est le musée où Renan Luce a droit à la même classification que Bach : la musique. Mais ce serait évidemment pinailler que de parler pour l’un de variété et pour l’autre de musique. Les petits lits font les grandes rivières. Les nuances, le mérite, le don, les différences de niveau de qualité ont leur importance, tout cela confère à une égalité vers le bas dès lorsque l’on tue cette hiérarchisation.
Chateaubriand voyait des liens entre l’égalité et la tyrannie, il avait déjà raison. Si les fondamentaux sont tyrannie, d’un "autre temps", Jack Lang gagnera son combat. Mais l’homme ne peut pas faire table rase sur tout un patrimoine qui a fait ses preuves depuis des millénaires. Il ne tient qu’à nous d’allier intelligence et réalité.
A lire en complément : La grande déculturation, Renaud Camus, Fayard, 2008