mardi 17 mars 2009 - par Frédéric Degroote

Le mythe égalitaire de la culture

Depuis 30 ans, c’est le vieux rêve de Jack Lang. L’éternel combattant y croit toujours. Le mythe de la culture s’ingénie encore plus ; il nous le dit assez, la culture a gagné bien des couches nouvelles de la population, voire de l’Europe entière. C’est tout simplement le mythe de l’égalité, la confusion des genres entre l’égalité en droit - tout à fait respectable - et l’égalité de fait, une égalité économique.
L’autoritarisme ambiant n’ose pas le dire mais l’égalité est aussi absente de la culture qu’elle l’est de la nature. Peu l’ont compris. La grande déculturation est en marche. D’une inégalité inacceptable pour les bonnes consciences, on passe à une inégalité inverse, teintée des plus beaux sentiments, nivellant par le bas, refusant toutes hiérarchies. C’est le credo de la gauche mais aussi de la droite bien-pensante. Partout on assimile la culture à un privilège de classe. Le sylllogisme se fait alors limpide : puisqu’elle est ce privilège, abolissons-le, donc abolissons la culture.

La culture est pourtant par essence non-démocratique ; se cultiver, c’est se rendre inégal à soi-même mais aussi se rendre inégal aux autres - non pas en droit mais en esprit. Et s’élever culturellement ou par l’éducation, c’est aussi s’élever socialement. La société actuelle n’accepte pas ce genre de raisonnement dès lors que la supériorité envisagée pourrait avoir un caractère social. C’est cependant une triste réalité, si triste soit-elle.

La culture est privilège car elle est hérédité : héritage, patrimoine, transmission, tels sont les mots qui y gravitent autour. La culture est la culture des morts, du peuple, de la nation. Et c’est cela qu’on entraîne dans sa chute.

La religion des défavorisés n’y est pas étrangère. On fantasme par le prisme de la victime, des milieux désavantagés. La réussite devient presque tabou. L’antiracisme dogmatique se pose en avocat des faibles. La culture se présente comme un déjà-jugé, un corpus de jurisprudence. L’antiracisme refuse cette jurisprudence en alléguant qu’ils n’ont pris aucune part à l’élaboration, ce qui est absolument vrai. Mais la culture est comme la constitution d’un Etat : elle n’a de sens que d’être arrêtée une bonne fois pour toutes, quitte à être enrichie au fil du temps. Si les articles sont incessament remis en cause, il n’y a plus de constitution et il n’y a plus de culture.
L’antiracisme et les pourfendeurs d’un "tout se vaut" culturel ne veulent pas de hiérarchie, or la culture est toute hiérarchie. L’antiracisme se moque des origines, or elle n’est que tâtonnements autour de l’origine.

La culture, sans une classe pour la représenter, pour la faire vivre et l’incarner, est désarmée. Elle n’a plus le prestige, l’aura nécessaire pour la rejoindre. Il n’y a plus de classiques, de références. Maintenir un patrimoine, la structure de cette hiérarchie qui faisait leur essence est balayé d’un revers de main au nom de "mépris", suprême condamnation. Habile argument ou comment cautionner le mépris - réel celui-là, indirectement avec les médias - de la véritable culture au sens noble.

Si la culture est question d’héritage, elle est aussi une question de temps avec soi-même. Le règne du "tout, tout de suite", les médias abrutissant de plus belle le commun des mortels chaque soir, les dictatures idéologiques rendent difficile ce qui paraît la quintessence, la jouissance de se cultiver : la médiation personnelle, le travail sur soi-même. Le désir n’existe plus, il pourra venir après. D’abord l’acte, dans l’espoir de susciter le désir, alors que tout art demande d’ être approché de sa propre initiative pour le comprendre au plus juste de son état.

La culture de masse fait rage. L’inculture ennuie, elle a toujours besoin de nouveautés, culturelles si l’on veut. Mais c’est la nouveauté qui prime sur la culture. Tout se confond. C’est le musée où Renan Luce a droit à la même classification que Bach : la musique. Mais ce serait évidemment pinailler que de parler pour l’un de variété et pour l’autre de musique. Les petits lits font les grandes rivières. Les nuances, le mérite, le don, les différences de niveau de qualité ont leur importance, tout cela confère à une égalité vers le bas dès lorsque l’on tue cette hiérarchisation.
Chateaubriand voyait des liens entre l’égalité et la tyrannie, il avait déjà raison. Si les fondamentaux sont tyrannie, d’un "autre temps", Jack Lang gagnera son combat. Mais l’homme ne peut pas faire table rase sur tout un patrimoine qui a fait ses preuves depuis des millénaires. Il ne tient qu’à nous d’allier intelligence et réalité.


A lire en complément : La grande déculturation, Renaud Camus, Fayard, 2008



11 réactions


  • fredleborgne fredleborgne 17 mars 2009 11:57

    Certaines personnes sont "vides culturellement", n’ayant pas bénéficié d’une éducation digne de ce nom. La "culture de masse" vise à combler ce vide par du moins que rien, au lieu de rendre ce vide insupportable pour que l’homme désire le combler pas ses goûts comme des choix conscients. La vraie culture est synonyme de liberté. L’anti-culture rend l’homme dépendant d’un besoin ("nouveauté") qu’il doit payer, parfois sans s’en apercevoir (publicité, taxes spécifiques, subventions prises sur les impots).
    C’est triste, d’autant plus triste que les crétinisateurs sont au pouvoir


  • plancherDesVaches 17 mars 2009 12:22

    Demandez-vous pourquoi existe :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil
    Et pourquoi se fait-elle tant attaquée.


  • Senatus populusque (Courouve) Courouve 17 mars 2009 15:03

    Jack Lang a toujours confondu la culture et le spectacle.


  • Senatus populusque (Courouve) Courouve 17 mars 2009 15:06

    « En toute période de transition, on voit surgir cette racaille qui existe dans toute société et qui, elle, non seulement n’a aucun but, mais est même dépourvue de toute trace d’idée […] Les individus les plus abjects avaient soudain pris le dessus, s’étaient mis à critiquer ouvertement ce qui est sacré, alors qu’auparavant ils n’osaient même pas ouvrir la bouche. »

    F. Dostoïevski, Les Possédés, III, i, 1.


  • La Luciole 17 mars 2009 18:02

    Il est plus facile en effet d’abolir les privilèges en éradiquant les privilégiés que de faire en sorte que tout le monde puisse prétendre à l’obtention de ces privilèges. Plus facile de combattre l’injustice de la domination d’une classe de riches en conduisant tout le monde à la pauvreté, plutôt que de tirer par le haut et ouvrir les clés de la richesse au plus grand nombre. Dans cette démarche de facilité on aura reconnu la pratique de la gauche socialiste française depuis plusieurs décennies, en digne héritière de la révolution française qui avait œuvré par la violence et la Terreur, en faisant le vide du passé, la tabula rasa… terre stérile et donc réfractaire à toute culture. 
    Le but d’une démocratie, contrairement à sa pâle version démagogique, c’est tout le contraire d’un nivellement (que ce soit d’ailleurs par le haut ou, plus facile, par le bas). La démocratie c’est donner sa chance à chacun, quelles que soient ses origines ou son hérédité, en faisant un atout de l’originalité et de la diversité, et non suivant un profil déterminé de culture savante et stéréotypée.
    Donner sa chance veut dire permettre d’accéder de façon rectiligne au départ de la course et non décréter l’égalité de tous à l’arrivée, ce qui anihile toute dynamique. La véritable démocratie a vocation à donner sa chance à tout le monde, mais elle n’ignore pas qu’on ne doit attribuer les médailles qu’aux plus méritants.
    Par contre, la noblesse d’esprit ne s’achète pas ni ne s’acquière de façon héréditaire. L’intelligence et la culture ne sont réservées à aucune classe sociale, et ne sont le privilège d’aucune élite prédestinée.
     

    • plancherDesVaches 17 mars 2009 20:10

      Vous : "Donner sa chance veut dire permettre d’accéder de façon rectiligne au départ de la course"
      En réservant le SAVOIR aux plus riches ????
      Vous : "Wikipedia, je serais plutôt tentée de classer ça dans de l’anti-culture"

      Je n’ai fait que vous citer dans votre discours élitiste, trés chère....Mais élitiste de façon trés subtile, je reconnais.
      Beaucoup peuvent maintenant savoir grâce à Wikipédia. Qui sera naturellement corrigée par des lecteurs connaisseurs réagissant à une donnée parfois non fondée ou pas assez proche de la réalité.

      En tant que gosse de riche, je reconnais avoir fait des études assez poussées. Mais que vaut mon parcours face à cet ami, étudiant comme moi, dont les parents se faisaient expulsés de leur logement à chaque printemps... ?
      On peut ainsi aussi plus facilement comprendre pourquoi les chercheurs généticiens sont tant sponsorisés afin que les enfants des classes "supérieures" ne puissent naitre qu’intelligents.


    • La Luciole 18 mars 2009 00:36

      Ben moi, bien que gosse de pauvres je n’ai eu aucune difficulté pour accéder aux études, et mêmes universitaires, d’autant que l’enseignement est gratuit en France.
      Mais sans doute aussi grâce à mes parents qui, bien que simples ouvriers, ont toujours payé leurs factures et n’ont jamais été expulsés.
      J’ai même pu accéder à des encyclopédies de type académique, élitistes et payantes, plutôt que celle-ci démagogique et gratuite.


    • foufouille foufouille 18 mars 2009 10:57

      @ luciole
      gratuit ?
      uniquement les cours pas le reste


  • pragma 18 mars 2009 10:25

    Quel grand mot, la culture !
    Quel alibi pour distribuer force subventions un peu partout, pour entretenir - c’est le mot- une majorité de soi-disant créateurs, et pour engraisser indirectement quelques hauts fonctionnaires et grands groupes de communication !
    Accessible, la culture ?
    Essayez donc d’obtenir, dans les grandes villes, une place à un concert de vraie musique, ou à un opéra ! S’il y a encore de la place, le prix en est véritablement repoussant !
    Et les places prises le sont par des "personnalités" qui n’ont pas payé, ou qui ont eu les moyens de s’offrir ou de se faire offrir des abonnements à l’année hors de prix !
    Ce cher Jack Lang, au sens financier du terme, aura fait en sorte que le livre reste cher, lui aussi, et aura créé ce formidable défouloir, négation même de la culture, qu’est la Fête de la Musique.

    Au fait, quand on voit la gabegie qui est la caractéristique principale du ministère de cette culture, et l’inutilité patente de nombre de ses services, ne pourrait-on pas simplement envisager de le supprimer ?


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