Le veuvage au Burundi, une vie insupportable
Au Burundi, il n’est pas agréable de perdre son conjoint. Si, en droit pénal, la présomption d’innocence est un droit inaliéable, la cause de la disparition de l’un des conjoints est, a priori, due au virus du Sida, et la veuve ou le veuf doit toujours faire face aux difficultés de se refaire une nouvelle vie dans la société.
Avec les publications incessantes et régulières des décès dus au VIH/Sida à travers les médias au Burundi, il n’est pas agréable de perdre son conjoint. Les informations sont publiées souvent par les organisations internationales et nationales qui luttent contre la propagation du virus du Sida, notamment l’Organisation des Nations unies qui lutte contre le Sida( Onusida) et le Centre national de lutte contre le sida (CNLS), sur le taux de prévalence de VIH/sida au Burundi, et la majorité de la population du Burundi est convaincue que la seule cause de la mortalité, c’est le Sida. Pour renforcer encore une fois la sensibisation contre cette maladie, les grands hôpitaux du pays publient chaque semaine les statistiques sur les causes de décès dans leurs institutions, surtout en médecine interne, où plus de 60% de décès sont dus au VIH/Sida. Et cette maladie, selon les professionnels de la santé, touche surtout la population dont l’âge varie entre vingt et quarante-cinq ans. Cette situation devient insupportable pour des personnes ayant perdu l’un des conjoints. Désormais, il n’existe plus au Burundi d’autre cause de décès, en dehors du VIH/Sida.
Les maladies endémiques, comme le paludisme, la dissenterie, la tuberculose, sont devenues, dit-on, des prétextes pour cacher la vraie cause de la maladie. A la disparition de l’un des conjoints, la famille du disparu ou les proches voisins doivent faire un retour dans le passé pour interpréter les causes du décès et ce ne sont pas les informations qui vont manquer.
Dans ce pays où il n’existe pas de limite entre la vie privée et la vie publique, tout le passé du disparu sera disséqué et analysé par les proches parents et amis. Il s’agira de voir les lieux fréquentés par le disparu ou le veuf, la vie de ses anciens amis ou copains vivants ou morts. Si l’un des conjoints fréquentait des lieux tels que les boîtes de nuit, les bars, ou des personnes expatriées travaillant dans les organisations humanitaires, les suspicions deviendront grandes. En plus de cela, si l’un des conjoints avait perdu un enfant ou avait fait une fausse couche avant de se marier, la confirmation deviendrait de plus en plus évidente que la cause du décès n’est autre que le virus du Sida.
Le veuvage devient maintenant insupportable. Le veuf ou veuve ne pourra pas, par exemple, nouer de nouvelles relations amoureuses au grand jour, parce qu’il sera taxé de criminel, et accusé de vouloir faire une autre victime. Le veuf ou la veuve ne pourra pas tomber malade, et si tel est le cas, il ne faudrait pas que la maladie perdure, au risque de renforcer encore une fois la suspicion ; en plus, la maladie contractée doit être passagère et non longue, pour éviter des suspicions supplémentaires.
Au moindre accrochage avec les voisins ou la famille, les veufs sont souvent hués, arguant qu’ils ont tué leur conjoint.
Les veufs doivent éviter tout contact avec les gens qui ne sont pas tendres avec eux, sous peine d’être humiliés publiquement et considérés comme criminels.
Le motif de décès par une maladie autre que le Sida pour les personnes dont l’âge varie entre 20 et 40 ans, est considéré comme faux ou complaisant ; les nouvelles nécrologiques sont suivies à la loupe pour entendre la cause du décès du conjoint. Les décès dus à une longue et pénible maladie, au paludisme ou à la tuberculose, sont considérés comme suspects.
Au Burundi, on ne meurt que d’une seule maladie : le VIH/Sida. Les veufs et leurs enfants devraient aussi éviter de maigrir, au risque de renforcer les soupçons à leur égard.
Comme les groupes de prières et les nouvelles religions pululent dans le pays, le veuf ne devrait pas les fréquenter au risque d’être considéré comme proche de la mort.
Souvent, les personnes ayant perdu un conjoint n’ont qu’une seule solution : partir très loin, là où ils ne seront pas épinglés, là où ils peuvent refaire leur vie. Mais dans un pays où tout le monde connaît tout le monde, les veufs n’ont pas la possibilité de protéger leur vie privée, et les informations circuleront toujours pour mettre en garde d’éventuels prétendants qui voudraient peut-être établir de nouvelles relations avec ces veufs ; et à la moindre fuite d’information, les relations se brisent.
Dans la plupart des cas, certains veufs décident de ne plus se remarier pour ne pas susciter les injures et humiliations de la part de leur entourage.
Le simple déplacement à travers les rues de la ville déclenche des regards suspects, et cette situation devient souvent intenable. Le problème est que toute la société burundaise, du plus grand au plus petit, s’accommode de considerer le veuf ou veuve comme porteur du virus du VIH/Sida.
D’ailleurs, le veuvage ne suscite aucune compassion pour la famille éprouvée ; il constitue, au contraire, une raison de moquerie et de comédie : les veufs sont appelés "épines", en langue locale "Mwiba" ou "Mugera", les personnes capables de vous piquer mortellement comme une moustique.
Etre veuf ou veuve au Burundi, ce n’est pas une bonne chose, parce que le comportement de la société compromet les libertés individuelles et constitue de graves violations des droits de la personne humaine.