mardi 24 septembre 2019 - par Sylvain Rakotoarison

Les 6 ans du mariage pour tous (3)

« La nouveauté, selon le mot de Stravinski, ne saurait être que la recherche d’une place fraîche sur l’oreiller. La place fraîche se réchauffe vite et la place chaude retrouve sa fraîcheur. » (Jean Cocteau, 1941). Troisième et dernière partie.

Les 6 ans du mariage pour tous

Le mariage pour tous a six ans et est en vigueur depuis la promulgation de la loi n°2013-404 du 17 mai 2013. Le sujet du mariage pour les couples homosexuels était déjà évoqué lors des débats parlementaires sur le PACS en 1998 et 1999, et il est devenu très présent dans les médias à partir de l’élection de François Hollande à la Présidence de la République le 6 mai 2012 car il correspondait à l’une de ses promesses électorales.

J’avais à l’époque évoqué ce sujet et j’avais exprimé une certaine réserve et surtout, une réticence sémantique. J’étais bien sûr favorable à la liberté, toutes les libertés, celle de choisir sa vie ou même, d’être ce qu’on est, et j’étais évidemment favorable à l’égalité, toutes les égalités, celle par exemple des droits qui protègent les conjoints. Qu’il n’y ait aucune différence entre les couples, sur la succession, sur la protection en cas de séparation, me paraissait raisonnable et juste, et c’est pour cela que le dispositif du PACS était insuffisant pour garantir cette égalité de droits.

J’étais même favorable à l’adoption d’enfants par un couple de personnes de même sexe dès lors qu’on permettait l’adoption à des personnes seules. Un enfant sera toujours dans un foyer plus enrichissant avec deux "parents" qu’avec un seul. Et la personne seule pourrait très bien être membre d’un couple homosexuel en l’ayant caché, mais cela restreindrait alors les droits de l’autre membre. Quant aux foyers composés d’un couple hétérosexuel "traditionnel", il est des situations où cela peut devenir un enfer pour un enfant. Bref, j’ai toujours été convaincu que l’orientation sexuelle des parents n’était pas un paramètre majeur du bon équilibre psychologique d’un enfant qui, au fil des années, sait faire la part des choses entre le modèle développé par les parents et ce qui lui conviendra le mieux pour sa propre vie future.

_yartiMPT2018A05

Ma principale réticence était plutôt sur le mot "mariage" que je considérais réservé à la cellule sociale traditionnelle qu’on appelle famille et qui a été pendant de nombreux siècles la base première de toute sociabilité. C’est vrai qu’avec la multiplication des séparations (conséquence, notamment, à la fois du travail des femmes qui leur permet d’assurer leur autonomie financière et ne plus dépendre de leur éventuel mari pour vivre, et de l’allongement de l’espérance de vie), ce modèle de la famille traditionnelle pouvait être battu en brèche par l’existence des familles recomposées avec des fratries de parents différents. Ainsi, je préférais le mot "union civile" au mot "mariage" pour cette raison. Cela aurait eu l’avantage de ne heurter qu’une faible minorité de personnes et de ne pas créer une polémique majeure peu utile à la collectivité.

Mon autre réserve, c’est que je considère que l’État n’a pas à s’occuper de ce qu’il se passe sous la couette et que vouloir légiférer sur l’orientation sexuelle me paraissait plutôt malsain de ce point de vue. Pendant les débats en 2012 et 2013, la société française a été parfois divisée dans des clivages complètement surréalistes, entre pour et contre mariage pour tous, ou encore entre militants de la cause homosexuelle et homophobes, et même, ce qui paraît stupide, entre homosexuels et hétérosexuels. Pourtant, la société française était déjà suffisamment divisée pour se permettre de la diviser davantage, parfois par des manifestations d’un million de personnes, alors qu’elle aurait eu besoin d’un plus grand rassemblement, d’une plus grande cohésion.

L’un de ces corollaires de cette réserve, c’est qu’en autorisant le mariage pour les couples homosexuels (du reste, c’est valable aussi pour le PACS), l’État se permettait, par l’état-civil, de faire un fichier de personnes homosexuelles, et les allers et retours de l’histoire montrent que rien n’interdirait, dans un futur plus ou moins proche, qu’un dictateur (ou un autocrate) qui aurait pris le pouvoir (et aurait l'appui d'une majorité populaire) pourchasse de nouveau les personnes homosexuelles, comme ce fut le cas sous l’Occupation nazie et comme c’est encore le cas dans certains (heureusement rares) pays, comme l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Soudan, la Mauritanie (où l’homosexualité est punie de mort), l’Inde, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie (où l’homosexualité est punie de prison à vie).

_yartiMPT2018F09

Mon évolution sur la loi en cinq ans est donc avant tout un principe de réalité. Comme je l’ai expliqué dans le premier article sur le sujet, la loi Taubira est une loi irréversible dans la mesure où personne, aucun gouvernement ne pourra revenir sur cette loi sans enfreindre certains principes constitutionnels comme l’égalité des citoyens devant la loi ou la rétroactivité de la loi.

L’autre principe de réalité est la situation internationale. La France n’a pas été parmi les premiers pays qui ont autorisé le mariage pour les couples homosexuels, et il y avait de véritables difficultés juridiques à refuser la reconnaissance d’un mariage contracté à l’étranger avec les différentes conventions internationales. Ainsi, alors qu’il n’est pas autorisé, le mariage d’un couple homosexuel contracté en Suède a été reconnu le 24 janvier 2017 en Estonie après une décision de justice en décembre 2016 qui fera jurisprudence dans ce pays. D’ailleurs, le premier mariage d’un couple homosexuel reconnu par la France n’est pas un mariage français mais la reconnaissance d’un mariage contracté en Belgique, et ce couple de frontaliers avait d’ailleurs été le premier couple ayant conclu un PACS.

Donc, aujourd’hui, il ne s’agit plus d’être pour ou contre mais de rester sur le principe de réalité. Il existe, point final. Il existe dans maintenant vingt-cinq pays, probablement d’ici un à deux ans, dans une trentaine de pays, et si l’Europe et les États-Unis ont ainsi "modernisé" leur mariage, cela n’empêche pas qu’en Asie et aussi en Afrique (à l’exception de l’Afrique du Sud qui l’autorise depuis onze ans), l’homosexualité est parfois même interdite et condamnée pénalement. Il paraît logique d’ailleurs qu’il y ait une harmonisation internationale sur le sujet, dès lors qu’on peut voyager, même si ce concept peut être foireux et pourrait aboutir à toutes les généralisations (par exemple, celle de la GPA qui ne me paraît pas pertinente).


_yartiMPT2018F08

En fait, pour être bien clair, les opposants au mariage pour tous en 2013 étaient assez peu capables de donner des arguments vraiment recevables contre le projet sans s’en prendre à la liberté, à l’égalité voire à la fraternité (la haine des homosexuels rentrant dans un cadre antirépublicain). Le prétexte de l’opposition à l’adoption des enfants me paraissait peu convaincant pour la raison expliquée plus haut.

D’ailleurs, l’évolution des sondages en France est intéressante à observer. La société semblait coupée en deux entre partisans et opposants au début des années 2000, avec une lente progression des partisans. Au moment de l’adoption en avril 2013, le rapport des forces était en faveur du mariage pour tous, de l’ordre de 60%-40% et il a progressé en 2015 à environ 70%-30%. Aujourd’hui, à part quelques irréductibles, il ne fait plus réellement débat, il est admis et est entré dans les mœurs.

On a cependant parlé d’une augmentation d’actes d’homophobie en 2012 et 2013 à l’occasion du débat public et j’étais donc inquiet que l’adoption du mariage pour tous eût un effet contreproductif sur la tolérance de l’homosexualité dans la société. Le mot "tolérance" ne me paraît d’ailleurs pas le bon terme qui semble écrit "du bout des lèvres" avec une pointe d’arrogance ou de pitié. Je préférerais le mot de "normalisation" qui a cependant quelques connotations politiques qui pollueraient son sens ici.

L’association SOS Homophobie (créée le 11 avril 1994) a recueilli 3 517 témoignages d’actes homophobes en 2013, ce qui correspondait à 75% de hausse par rapport à l’année 2012 et plus du double qu’en 2011. La situation s’est améliorée par la suite mais reste encore à un niveau élevé (1 650 témoignages d’actes homophobes en 2017 correspondant à 1 505 situations uniques, dont 139 cas d’agression physique, soit +15% par rapport à 2016). Ces actes sont commis par des personnes qu’on pourrait appeler les "chauffards" de la tolérance.

_yartiMPT2018F07

En revanche, la "normalisation" semblerait progresser dans les mentalités du plus grand nombre, au point qu’on peut maintenant voir souvent (peut-être même "trop souvent" par rapport à leur représentativité ?) des couples homosexuels dans des émissions de télévision, de téléréalité (par exemple, la recherche ou la vente d’appartements).

À mon sens, au-delà de cette reconnaissance des couples homosexuels par le mariage pour tous, il y aurait beaucoup d’intérêt à ce que la loi évolue pour prendre en compte de nouveaux enjeux sociaux au sein des familles. Ainsi, je verrais deux types de nouveauté.

La première aurait pu être choisie à la place du PACS qui repose sur la constitution d’un couple basé sur la vie commune et la sexualité. On aurait pu proposer une sorte de contrat de cohabitation, qui ne serait plus basé sur un partenariat sexuel mais sur une simple vie commune. Cela aurait le mérite de protéger des colocataires ou des foyers pas forcément issus d’une cellule familiale traditionnelle. Par exemple, lorsqu’il y a des parents âgés, mais aussi des amis, des personnes sans lien de parenté, à charge, par exemple dépendantes. Ou encore une fratrie qui vit ensemble, etc.

La seconde me paraît aujourd’hui nécessaire avec la complexité accrue des familles recomposées. Il faudrait proposer un véritable statut de beau-parent, non dans le sens parent du conjoint mais dans le sens conjoint du parent (il y aurait d'ailleurs un intérêt sémantique à trouver une nouvelle expression). On pourrait ainsi envisager un troisième type d’adoption qui donnerait quelques droits au conjoint d’un parent sur l’enfant qu’il aura éduqué sans être son vrai parent et sans exclure d'aucuns droits les véritables parents. Ne serait-ce que pour avoir le droit de venir chercher l’enfant à l’école, ou encore, en cas de décès ou séparation du parent reconnu (pas forcément biologique), qu’il puisse y avoir, au moins par un droit de visite, le maintien d’une relation avec l’enfant ou les enfants avec qui il aura vécu et qu’il aura contribué à éduquer (voire en avoir la responsabilité éducative selon les situations).

Le projet de loi actuellement en examen au Parlement sur l'autorisation de la PMA à toutes les femmes va même plus loin (trop loin ?) en refusant de distinguer la mère biologique de sa conjointe, toutes les deux qui seraient nommées juridiquement "mères" d'un enfant né par PMA (là encore, il serait bon de trouver de nouvelles expressions). Mais ce sujet fera l'objet d'une autre réflexion...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Rapport 2018 de SOS Homophobie (à télécharger).
Les 5 ans du mariage pour tous.
Bientôt la PMA ?
Christiane Taubira.
Pierre Bergé.
L’avis du Conseil Constitutionnel du 17 mai 2013 (texte intégral).
La manif pour tous.
À quand l’apaisement ?
Et si l’on pensait plutôt aux familles recomposées ?
Deux papas ?
Le premier mariage lesbien.
L’homosexualité malmenée en Afrique.
Mariage gris.
Mariage nécrophile.
Mariage annulé pour musulman.
Le coming out d’une star de la culture.

_yartiMPT2018A08
 



24 réactions


  • Séraphin Lampion Séraphin Lampion 24 septembre 2019 10:45

    "Un papa + une maman + une brosse à dents Wifi, la #ManifPourBlueTooth"


  • jymb 24 septembre 2019 13:01

    « aucun gouvernement ne pourra revenir sur cette loi sans enfreindre certains principes constitutionnels comme l’égalité des citoyens devant la loi ou la rétroactivité de la loi »

    L’auteur est bien ignorant des réalités...permis de chasse, conduite d’une 125, bouilleurs de crus...il est bien des exemples de non égalité de citoyens devant la loi ...et si demain il n’était plus célébré de nouveaux mariages homo ce serait une évolution comme une autre (perso, celà m’indiffère...) 

    Ce n’est pas parce que la loi autorisait hier une contruction de x étages qu’il y aura discrimination si demain cela vous est interdit. Et on ne demandera pas pour autant de réduire d’un étage les constructions anciennes 

    Dans le cas inverse, légiférer deviendrait tout bonnement...impossible !


  • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 24 septembre 2019 14:31

    Avez-vous déjà entendu parler de la destruction de Sodome et Gomorrhe ? Eh bien une nouvelle destruction semblable nous est promise par le Christ. Lisez plutôt :

    « Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même aux jours du Fils de l’homme.

    Les hommes mangeaient, buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; le déluge vint, et les fit tous périr.

    Ce qui arriva du temps de Lot arrivera pareillement. Les hommes mangeaient, buvaient, achetaient, vendaient, plantaient, bâtissaient ;

    mais le jour où Lot sortit de Sodome, une pluie de feu et de souffre tomba du ciel, et les fit tous périr.

    Il en sera de même le jour où le Fils de l’homme paraîtra. » (Luc 17 :26-30)


    • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 24 septembre 2019 16:47

      @Sergeant Pepper
      Mais Agoravox ne nous met pas encore d’impôts contrairement au GIEC qui en préconise. Euh ! A propos, « Un seul est votre père, celui qui est dans les cieux. » (J.C.)


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 24 septembre 2019 15:38

    Le monde va déjà si mal qu’il ne faut pas en rajouter. Ce qui est certain, c’est que le mariage pour tout na apporté aucun progrès, bien au contraire et à l’encontre des prophéties de Madame Taubira dans son texte. Rappelons-nous la finale

    Et nous sommes si fiers de ce que nous faisons que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gontran DAM AS : « L’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit enfin s’épanouir les pétales. Il est grand comme un besoin de changer d’air, il est fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue ». Merci à vous. Non seulement, l’air n’a pas changé et il pue encore plus. 

     : 


  • Daniel PIGNARD Daniel PIGNARD 24 septembre 2019 19:05

    Lorsque le sage montre sa lune, l’homo y met le doigt.


  • troletbuse troletbuse 24 septembre 2019 21:16

    Et bientôt, la PMA pour tous, payée par la SS. Les homos, un peu pédophiles pourront adopter des petits garçons ou des petites filles au choix pour leur longues soirées d’hiver.  smiley


    • Aimable 24 septembre 2019 23:40

      @troletbuse
      La naïveté des proies font la force des prédateurs qui agissent en lobbyistes auprès des politiques qui eux deviennent , s’ils ne le sont déjà , leurs complices .


  • Pierre 25 septembre 2019 02:00

    Je suis contre le mariage pour tous mais pour le mariage pour personne !


  • popov 25 septembre 2019 09:37

    Angelus Domini nuntiavit Mariæ,
    Et concepit de Spiritu Sancto.

    (L’ange du Seigneur a annoncé à Marie,

    et elle a conçu du Saint Esprit.)

    Et voilà le premier cas de PAA (procréation angéliquement assistée) et de GPA. Et pas pour n’importe quel autrui !

    Le vrai père, c’est donc le Saint Esprit. On aurait dû l’appeler Dieu le Père, mais le nom était déjà pris.

    Bizarre ce couple, Dieu le Père et Dieu le Saint Esprit qu’on dirait issu de la loi sur le mariage pour tous. Maintenant, qu’on a le vocabulaire qu’il faut, ne faudrait-il pas les appeler Dieu le Parent1 et Dieu le Parent2 ?

    Quand on voit ce qu’il se passe en hauts lieux, il ne faut pas s’étonner du bordel qui s’installe ici bas.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 septembre 2019 10:30

    Joffrin vient d’écrire un article sur les « vieilles barbes » de la médecine qui s’opposent à la PMA, citant le célèbre site : Caïrn info« . Ayant consulté le même site, si on remonte dans le temps des études sur le sujets sont très disparates. Il faut savoir que les études cliniques sont souvent réalisées par des partisans des LGBT ; Généralement, les méthode de testing ne sont pas précisée. A-t’on passé des Rorschach, des T.A.T.. Si ces études se contentent de comparer avec les enfants élevés par des hétéros, il risque d’y avoir un fameux biais. Les jeunes aujourd’hui vont très mal, qu’ils soient élevés par des hétéros ou des homos. Nous serions étonnés de la quantité de psychotropes lourds qu’ingèrent aujourd’hui les jeunes. Donc la comparaison me semble une mauvaise méthode. Il faut au contraire comparer avec un modèle-type »idéal". Exemple : le franchissement par l’enfant de l’étape oedipienne qui ne peut se faire sans le présence d’un père,.. Le Rorschach est un bon outil. En plus si on remonte dans les articles de 2003 sur Caïrn-info, des études au contraire montrent la nocivité de l’éducation par des homosexuel. Sachez que le sujet (étant moi-même psychologue) est biaisé et que les véritables études sont empêchées. De là à imaginer de forte pressions du côté des lobbies,..


  • troletbuse troletbuse 25 septembre 2019 19:15

    @Daniel PIGNARD et Pignard
    Oui d’accord mais l’ ankulosaure est un vrai dinosaure .... à une lettre près, quoique le « I grec » a bien une signification (U français) que j’ai trouvé sur Wiktionnaire smiley

    (Lettre) Appelé i grec en raison de l’emprunt de la lettre upsilon dans l’alphabet grec ancien où il dénote tout d’abord le son \y\ (u français) absent du latin avant .


Réagir