vendredi 12 juin 2009 - par Georges Yang

Les Briquets, supports des nouveaux héros du Tiers-monde !

Nous n’avons pas forcement partout les mêmes héros ! A Kampala, la plupart des briquets vendus dans les échoppes possèdent une petite pile. Quand on l’actionne, apparaît une petite lumière qui peut servir de lampe de poche. Et lorsque l’on projette la lumière sur un mur, on voit nettement soit le portrait de Ben Laden, soit celui de Saddam Hussein. Pour Saddam, il est soit en uniforme soit avec une petite tache hyper pigmentée au front (il s’agit de fait d’un rajout sur la photo pour nous faire croire qu’il priait tous les jours, comme quoi il est facile de refaire l’histoire). L’Ouganda n’est pourtant pas un pays musulman, guère plus de 15% de la population, le gouvernement est plutôt pro-occidental et le pays est classé par l’OMS comme le plus grand consommateur d’alcool par habitant depuis 2004 (17.2 l/h/an). Il s’agit donc d’une opportunité commerciale, importation venant probablement d’Indonésie ou d’un pays du Golfe, mais ce qui important, c’est que ces deux personnages qui caractérisent le mal aux États-Unis, puissent servir de support à des gadgets. Il est aussi possible de trouver des tee-shirts à leur effigie sur les marchés. Donc, « nos ennemis » peuvent être les héros des autres. Car ces briquets font fureur au Moyen-Orient et Hassan Nasrallah est le troisième personnage célébré de cette manière en particulier au Liban dans la communauté chiite. L’engouement en un lieu pour un personnage contesté en un autre n’est pas nouveau et devrait nous permettre d’aborder l’histoire, l’actualité et la politique internationale avec un autre regard, sans pour autant nier le passé fondateur de notre pays. 

En France, tout commence avec le début de l’Histoire officielle du pays dès les premières conquêtes romaines en Gaule. Vercingétorix, notre premier héros national n’est qu’un barbare pour Jules César qui l’utilisera comme pièce de choix à son triomphe avant de le faire étrangler, même s’il en parle avec une certaine admiration dans la Guerre des Gaules.
 
De l’autre côté du Rhin, Arminius est incontestablement le premier héros allemand, mais un véritable cauchemar pour les armées romaines et il n’est pas certain que les jeunes Italiens en aient entendu parler pendant leurs études, même durant le rapprochement italo-germanique du temps de Mussolini. Arrive Attila, le fléau de Dieu, le barbare par excellence, qui soit dit en passant avait reçu une très bonne éducation romaine. On en appelle à Sainte Geneviève, qui deviendra la sainte protectrice de Paris et sera de nouveau au goût du jour en 1870, 1914 et 1940 quand les hordes de Teutons assimilés aux Huns depuis l’école républicaine après la perte de l’Alsace-Lorraine viendront menacer d’égorger nos filles et nos compagnes. C’est ignorer qu’Attila est un prénom désormais fort répandu en Hongrie, car les Huns y firent souche après leurs raids rapides en Europe occidentale, et que le chef de Huns y est moins diabolisé qu’en France. A chacun ses barbares, donc. Quant à Charlemagne, roi des Francs, il est considéré comme Français dans nos manuels d’histoire, mais comme Allemand outre-Rhin.
 
Les Croisades ont-elles aussi leurs nombreux héros, d’abord Godefroy de Bouillon, mais aussi Baudouin, le roi lépreux, Guy de Lusignan et tant d’autres supposés preux. Richard Cœur de Lion, rendu célèbre par l’Ivanhoé de Walter Scott est paradoxalement plus populaire en France qu’en Angleterre, bien qu’ayant combattu contre nos armées. De l’autre côté de la Manche, ce roi est considéré comme un souverain trop souvent absent et son frère le roi Jean sans terres non comme un félon mais comme un législateur, on lui doit d’ailleurs la Magna Carta premier signe d’abandon de l’absolutisme monarchique. Et Saladin, bien que d’origine kurde a été récupéré par Saddam Hussein au travers d’une filiation aussi fausse que mythique.
 
Il est d’ailleurs intéressant de lire « les Croisades vues par les Arabes » d’Amin Maalouf, livre qui n’est pas pro-arabe, mais l’œuvre d’un érudit, pour constater que l’objectif religieux était minime et ce dans les deux camps. En dehors de quelques véritables excités de la foi, la plupart des belligérants se trahissaient, s’assassinaient et passaient des alliances entre chrétiens et arabes pour éliminer un adversaire théoriquement du même camp, prendre se terres, se venger d’une humiliation. Et de constater que les Croisés se comportaient comme des brutes vis-à-vis des chrétiens d’Orient et des juifs qui étaient dans le coin tant à Byzance qu’à Jérusalem encore plus que vis-à-vis des Arabes. D’ailleurs, ces chrétiens locaux (ce n’est pas dit dans Maalouf) remercièrent le Pape d’avoir autorisé les Franciscains à ouvrir des bordels pour Croisés afin de ne pas exposer les filles chrétiennes aux assauts plus que virils des soldats de la Foi.
 
Le Moyen-âge nous sert Jeanne d’Arc, vénérée par toute la France jusqu’en 1944, y compris sous Pétain par anglophobie, puis reprise comme icône par le Front National. Il n’empêche que notre sainte tardive, sa canonisation date de 1920, est loin de faire l’unanimité en Angleterre ni pour sa sainteté ni pour ses exploits guerriers…
 
Toute l’histoire de France est faite de personnages grandioses, admirables, héroïques, mais ils ne le sont bien souvent que pour nous. Cela dit, ils existent et ont fait l’histoire à leur manière, il ne faut surtout pas les nier mais les relativiser. Dire qu’il y a une autre approche historique que l’histoire officielle ne signifie pas qu’il faille occulter des événements qui pourraient gêner certains élèves, étudiants, lecteurs ou spectateurs. Il est ainsi possible de parler à tous, jeunes et plus vieux des Croisades, de la colonisation, de la guerre d’Algérie et de la collaboration sans oublier son corollaire l’épuration.
 
Napoléon est incontournable, mais il a fait l’objet dans la presse anglaise de l’époque de bien plus de caricatures féroces que Sarkozy dans les tabloïdes britanniques actuels. Et comme le disait Alphonse Allais, il est curieux que les Anglais aient donné des noms de défaites à leurs places et monument comme Trafalgar, Waterloo ou Azincourt ! Et s’il n’y avait de lois en France et en Europe sur le révisionnisme et l’apologie des crimes contre l’humanité, il est fort possible qu’Adolf Hitler serait devenu lui aussi une effigie pour les briquets. Pour revenir en Ouganda, un pays qui n’a pas de vocation néo-nazie, ni de spéciale animosité contre les juifs, l’épisode du raid sur Entebbe est lointain, un rebelle du nord du pays avait pris dans les années 90 le nom d’Hitler Eregu. Un opposant de l’ethnie Teso qui combattit les troupes gouvernementales dans la région de Soroti au sein d’un mouvement d’opposition armée l’UPA (Uganda People Army). S’il a pris ce nom, c’est uniquement pour se donner une certaine aura et impressionner ses adversaires politiques, mais sans la connotation péjorative occidentale.
 
Nous pouvons constater qu’au fil du temps et selon l’endroit d’où l’on se place, les héros, les traîtres, les ennemis ne sont pas obligatoirement les mêmes. Il n’est qu’à regarder Fox TV et comparer les informations avec la chaîne arabe Al Jazira, il existe une version en anglais, pour avoir deux visions diamétralement opposées du même événement. Mais sans aller jusqu’à ces deux extrêmes du traitement de l’information, il n’est qu’à regarder TF1 et ensuite les actualités en image sur ARTE pour se demander si l’on est véritablement sur la même planète.
 


2 réactions


  • Georges Yang 12 juin 2009 12:28

    PS : Cet article ne rejette en rien l’Histoire de France de Michelet qui fut utile en son temps comme outil fédérateur de la République, mais il faut cependant penser à la perception de autres sur notre pays sans pour autant renier notre histoire et notre passé. Il ne s’agit donc pas de repentance mais de lucidité.


  • werther_original werther_original 13 juin 2009 12:57

    Ceci est du au fait de notre culture principalement endogène.

    Sans tomber dans des figures aussi historiques que charlemagne ou hitler, on peut citer simplement la nourriture. Certains chinois mangent du chien, nous mangeons bien des escargots.

    Cet exemple semble peut-être un peu désuet mais relève de la même logique.

    Entre parenthèse , le livre d’amin maalouf est un petit bijou que je recommande aussi.
    On peut aimer aussi le film « kingdom of heaven » , bien sur beaucoup moins fourni en détails historiques, mais suivant une trame relativement proche du livre.

    je recommande aussi « samarcande » du même auteur.

    Salutations


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