Les clavardeurs de l’ego
Le miroir de la vacuité.
Narcisse a du souci à se faire. Jamais pour lui, il n'y eut tant de concurrence que depuis la mise sur orbite d'une chambre d'ego à l'échelle de toute la Planète. On s'y mire en tribu, on s'y dénude sans pudeur, on s'y livre sans retenue à longueur de temps et de clichés. Certains même passent le temps à se filmer pour laisser croire à de moins atteints qu'eux sans doute, qu'il y a pire qu'eux de par ce vaste cirque de l'égocentrisme.
Au bout du compte, des esprits sains et soucieux de la pérennité de l'espèce humaine tout autant que de la biodiversité, se rendent compte, atterrés et désolés, que l'on envoie des satellites par milliers dans l'atmosphère pour que Germaine nous donne des nouvelles de ses hémorroïdes tandis que Gustave évoquera sa dernière prise halieutique.
J'avoue être sévère avec ces deux-là alors qu'ils ne font que remplir modestement une chronique de l'intime tandis que d'autres, se plaçant un peu plus sur le devant de la scène se filmeront à longueur de temps pour combler le vide d'une existence sans la moindre réflexion véritable sur le sens d'une telle pratique.
Mais bien pire encore pour la planète sont les épreuves sportives quand tous les spectateurs d'un stade filment ce qui est retransmis à la télévision afin d'attester à tous leurs amis qu'ils sont au cœur de l'évènement. Que penser alors de cette débauche d'énergie totalement inutile qui n'apporte rien à la chose mais comble d'orgueil ce supplétif des équipes de cadrage.
Et que dire alors des épreuves cyclistes où plus un spectateur ne se contente de regarder les champions et éventuellement de les encourager. Il faut impérativement filmer leur passage au risque même de les faire chuter tant le maudit œilleton ne rend en aucune manière compte de la réalité. C'est non seulement énergivore au possible mais qui plus est, dangereux pour ceux que ces personnages sont censés admirer.
Il faut ajouter les concerts qui sont eux aussi tombés dans ce piège du spectacle en différé pour nombre de spectateurs qui regarderont véritablement leurs idoles qu'une fois rentrés, en regardant les extraits qu'ils ont filmés dans le plus total mépris des artistes et de leur travail. Ils auront cependant l'immense fierté d'annoncer à toutes leurs connaissances plus ou moins proches, qu'ils y étaient !
Enfin, quand un artiste se propose à leur curiosité dans la rue ou dans une guinguette, même sans nullement apprécier et surtout respecter son travail, ils vont sortir leur prothèse pour dérober un instant ou un moment, sans même demander son accord et pire que tout, sans lui donner juste rétribution de cette captation indigne, leur maudit appareil ayant bouté le porte-monnaie de leurs poches. Ils prennent sans rien donner, expression parfaite de cette société qui a perdu toutes ses valeurs.
Quant à tenter d'analyser une prose farcie d’émoticônes et peuplée de signes cabalistiques qui furent sans doute, autrefois des mots compréhensibles, il faudrait consacrer une thèse de troisième cycle pour démontrer à quel point la langue est martyrisée, la syntaxe sacrifiée, le message incompréhensible et parfaitement inepte. Ceci même chez des gens qui se prétendent cultivés et qui, phénomène étrange, tombent tous dans les mêmes travers avec ce portable, suppôt de Satan.
Non seulement ils sacrifient la langue française mais ils repoussent sans cesse plus les limites de la goujaterie, l'impolitesse et la vulgarité tandis que l'impudeur est devenue la marque de fabrique de tous les utilisateurs compulsifs de cet outil, agent de notre asservissement collectif à un système totalitaire totalement délirant.