vendredi 11 février 2011 - par usbek

Les dockers de Marseille

N’allez pas croire que c’est là le titre d’une chansonnette inédite de Vincent Scotto ou d’un nouveau film de Robert Guédiguian.

La lecture de ce post ne vous apprendra peut-être rien sur la question, mais il a l’avantage, sur d’autres écrits traitant du même sujet, d’être relativement objectif et surtout bien informé, aux sources les plus directes.

Mme Parisot du MEDEF s'est lancée, sur les antennes nationales, dans des tirades dignes de Sarah Bernhardt pour expliquer que les dockers de Marseille assassinent l'économie française et en particulier Marseille, son port et sa région. Cette prise de position a entraîné, du coup, une réplique tout aussi ridiculement véhémente de la part de Bernard Thibault, qui a essayé, par là, de se faire refaire une virginité comme secrétaire général, très contesté au plan interne, de la CGT.

Tout cela est à peu près sans intérêt car les faits sont établis et connus depuis très longtemps ; on peut donc qu’être stupéfait que ni le MEDEF ni la CGT n’aient pas été, depuis des décennies, parfaitement informés de ces affaires et surtout de leurs fâcheuses conséquences.

La ruine du port de Marseille et de pans entiers de l’économie régionale, par les multiples et successives grèves des dockers locaux, a commencé il y a plus d'un demi-siècle. Je n'irai pas jusqu'à dire, bien que je le pense, qu'elle a commencé avec la loi-statut de 1947 de Ramadier et du PCF, à laquelle nul n’a osé toucher, un demi-siècle durant.

L’information qui suit, comme la plupart de celles qui figurent dans ce texte, est personnelle et de première main. À partir de 1958 et, plus ou moins dans le cadre du Plan de Constantine auquel le général De Gaulle ne croyait guère mais qu'il a néanmoins mis en oeuvre, Berliet a lancé à Rouiba-Reghaia, près d'Alger, la construction d'une usine de camions qui d’ailleurs existe toujours. Déjà à cette époque, les responsables de la construction de cette usine (dont était mon propre frère) faisaient systématiquement venir tous les matériaux nécessaires (et il y en avait beaucoup !) par le Havre, jugeant que passer par Marseille comportait trop de risques et d'aléas.

Naturellement, comme chacun le comprend aisément, cette dégringolade marseillaise, suite aux incessantes grèves en particulier, a fait les affaires de Gênes comme de Barcelone. Quant au Havre, l'extension des comportements syndicaux des dockers français a fait que ce port lui-même n’est guère aujourd'hui en meilleure position que Marseille, même s'il demeure un peu mieux placé ce qui n'est vraiment pas difficile. Le trafic de Marseille est, en effet, en réalité, à 95 % celui de Fos-sur-Mer et est constitué essentiellement par les transports pétroliers.
Tout à fait par hasard, j'ai connu, dans les années 80, un consultant juridique qui était chargé en particulier des négociations avec les dockers sur le port de Marseille. Ce n’était pas triste ! J'ai donc pu avoir par lui les meilleures des informations à la fois sur les salaires des dockers (à cette époque, un contremaître touchait environ 3500 fr. par mois) et sur les modalités et conditions de leur travail.

Scène de genre vécue par moi, à de multiples reprises lors de vacances en Corse. A l’embarquement des véhicules dans les ferries de la SNCM, le spectacle était tout différent de celui qu’on avait ailleurs. En effet, si l'on avait eu l'occasion d'emprunter les ferries grecs par exemple, on pouvait aisément juger de la différence de la nature du travail des dockers entre Marseille et n'importe quel port grec. Dans ce second cas, l'embarquement à bord du ferry était souvent opéré par deux employés (ou même un seul), tandis qu'à Marseille, s'il y avait effectivement aussi quelques personnes pour s'occuper de l'embarquement proprement dit des véhicules, il y avait toujours aussi une bonne demi-douzaine de dockers goguenards qui, sur le pont di ferry, penchés à la rambarde, s’occupaient à lorgner les minettes et à blaguer entre eux. Ils étaient là en application des règlements locaux qui exigeaient leur présence, naturellement sans qu’ils ne fassent rien, sauf, les manoeuvres d'embarquement finies, remonter les haussières !. On peut juger par là de la pénibilité de leur tâche, au moins pour ce type de fonction.

Je pourrais accumuler les anecdotes là-dessus en particulier sur la procédure d'attribution des tours journaliers de travail. Les dockers étant en nombre plus important que le service d'un jour donné n’en demandait, on donnait, le matin, les noms de ceux qui auraient à travailler ce jour là. Ceux qui n'étaient pas retenus allaient alors taper le carton au bistrot du coin, parfois rejoints, quelque minutes plus tard, par d'autres qui, quoique devant aller au travail, avaient recruté sur place un travailleur (clandestin bien sûr) pour les remplacer, moyennant le versement d’une part, très modeste, de leur rémunération du jour. Naturellement personne ne se souciait de vérifier l'identité d'un docker qui venait travailler sur le port. Un tel flicage n’aurait pas manqué de déclencher aussitôt une grève générale !

Faut-il s'étonner que l'activité du port de Marseille ait décliné sans cesse, avant de s'éteindre quasi complètement. Les dockers, en revanche, sont toujours là eux ; non seulement ils ont une garantie d'emploi, mais il fut un temps où (mais je ne sais pas où en est cette juste revendication) ils voulaient que leur charge fût, en quelque sorte, héréditaire, réclamant pour leurs enfants le droit à la priorité absolue dans les recrutements (un peu comme naguère à Air-France). On peut toutefois en conclure que les dockers ne sont pas de bons parents, puisqu’ils veulent réserver à leurs enfants le sort misérable d’un travail pénible pour toute une vie aussi lamentable que la leur dans les douleurs d’un métier exténuant.

Je pourrais continuer dans le même registre, mais cela me paraît inutile, car tout le monde dans la région et même bien au-delà, sait parfaitement à quoi s'en tenir là-dessus. C'est d'ailleurs pourquoi l’une des rares activités qui demeuraient à Marseille, le passage vers la Corse, a baissé dans des proportions considérables. Pour être sûrs de partir comme de revenir, les voyageurs de la région préfèrent désormais de beaucoup emprunter les ferries italiens, quitte à partir de Toulon, de Nice, de Gènes ou d'ailleurs, les départs de Marseille étant naturellement interdits par ces mêmes dockers aux autres compagnies que la leur !

Le rapport de la Cour des Comptes qui va faire grand bruit s’il paraît (car, à ma connaissance, il n'est pas encore publié) n'apprend pas grand-chose à qui connaissait un peu la situation. Les salaires mensuels, autour de 4000 euros, ont déjà été souvent divulgués ; La CGT les avait niés, publiant à l'appui de ses dénégations, une feuille de paye de dockers. Le seul problème est que la CGT, étourdie ou mal informée, avait omis de préciser dans son document qu'au salaire figurant sur la fiche de paye s'ajoutaient d’autres rémunérations comme la Cour des comptes le confirme. En effet, les dockers, payés par le Port, perçoivent, en plus de leur salaire de base, « des rémunérations additionnelles des entreprises de manutention » ainsi que des « gratifications illégales ». Sans compter les primes...L’addition de ces sommes conduit donc à peu près exactement au chiffre contesté.

C'est sans doute pourquoi la CGT, dans le document qu'elle vient de publier, n'est pas revenue sur ce problème des salaires et des horaires, sans contester désormais les chiffres qui ont circulé. Elle se borne, sur un air mieux connu d’elle, à souligner que « la colère légitime des portuaires français s'est mise en marche[...] Indignation colère et trahison sont les mots qui sont le plus souvent venus lors des interventions.... etc. ». Aucune contestation en revanche des chiffres et des conditions de travail qui ont fait l'objet des articles de presse qui faisaient , d’ailleurs, référence au peu contestable rapport de la Cour des Comptes.

On évoque sans cesse, et la CGT en a fait son nouveau cheval de bataille, la « pénibilité » du métier. Bien entendu comme dans le cas des primes de charbon à SNCF, on fait référence à l'époque ; bien lointaine, où les dockers plantaient leur croc dans les sacs de sucre pour les transporter sur leur dos. Le métier a quelque peu évolué, ce que nul ne peut sérieusement nier !

Les dockers (grutiers ou portiqueurs) travaillent, en général, en deux bordées, l'une du matin (finissant à 15:00) l'autre de l'après-midi (commençant à 15:30) ; le portiqueur travaille en « binôme », avec un collègue qui est le plus souvent demeure à proximité pour accomplir, éventuellement, des « taches annexes » ; s'il n’en a pas, le second demeure en "salle de repos". Il résulte d’un tel système que le temps de travail effectif dans la journée est, en gros et en moyenne, d'environ 3 heures, ce qui ne caractérise pas une pénibilité extrême.

En outre, un élément important de l'activité des dockers, à Marseille ou en Chine, tient à la « cadence » des mouvements c’est-à-dire au nombre d’opérations de chargement ou de déchargement opérées en une heure. À titre indicatif, en France (au Havre par exemple pour ne pas citer le cas de Marseille) les dockers locaux ont une cadence de 22 mouvements par heure, alors qu'à Anvers ou à Rotterdam, on effectue 30 mouvements à l'heure ; dans les ports asiatiques la norme est de 40 mouvements par heure. On peut facilement imaginer que la pénibilité, dans ces contextes non marseillais, doit être doit être tout à fait différente.

Par ailleurs pour permettre de comprendre quel est le travail d'un grutier ou d’un portiqueur, on peut dire que leur tâche s'apparente un peu au maniement d'une PlayStation ou d’un jeu video. Le principal problème dans ce métier est de ne pas avoir le vertige puisqu'on peut se trouver dans cette fonction à 30 ou 40 mètres de haut, ce qui ne constitue pas, toutefois, un élément décisif pour mettre en évidence la pénibilité du métier de « docker ».



28 réactions


  • zelectron zelectron 11 février 2011 13:07

    La CGT a tours été fossoyeuse de libertés et d’emplois : c’est la dictature du prolétariat qui contre vents et marée fait sa loi « über alles »


  • LE CHAT LE CHAT 11 février 2011 13:19

    un routier vient de m’apporter un de leurs tracts ,
    retraite anticipée à 58 ans et pas un jour de plus , on se demande au nom de quoi !
    avec 12 à 15h par semaine seulement , il en font nettement moins que n’importe quel conducteur de chargeuse ou n’importe quel routier ,dont de nombreux roulent encore à 65 ans et + pour compléter des retraites trop faibles !
    le port Fos XXL va se transformer en XS , parce que les chargeurs en ont ras la casquette !


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 11 février 2011 13:19

    Krasucki kiki syndicat  caca 


  • juluch 11 février 2011 13:24

    Tout à fait du même avis Usbek.


    Mais se n’est pas la seule corporation qui mine Marseille......hélas !!!!

  • LE CHAT LE CHAT 11 février 2011 13:31

    le plus marrant , c’est qu’ils reprochent maintenant aux élus PS , PCF et Parti de gauche de ne plus les soutenir inconditionnnellement !

    ils se rendent même pas compte qu’ils sont une caste de privilégiés , qui doublent ou triplent en plus leur paie sur le racket fait aux armateurs et avec tout ce qui tombe des containers et revendu au black !

    à croire ques les ports de Gênes , Barcelone et Anvers les sponsorisent pour que Marseille-Fos reste rikiki !


  • usbek 11 février 2011 13:39

    Merci le Chat !
    Je n’avais pas voulu en rajouter avec les organisations qui ouvrent les containers et sont si maladroites en déchargeant que Marseille a des marchés entiers de produits « tombés du camion ». Merci de m’avoir ainsi complété ! Usbek


    • juluch 11 février 2011 13:44

      Sans parler du syndicat qu’il faut « arroser »......pour la tranquilité !!



    • LE CHAT LE CHAT 11 février 2011 14:03

      Y’a pas de quoi , Usbek !

      ici en Ouest Provence , si tu connais du monde , c’est la Samaritaine du tombé du Container , entre les cartouches de clopes ( encore moins chères que les espagnoles ) , les fringues et les PS3 toutes neuves , y’en a pour tous les goûts !

      les transporteurs qui travaillent avec les ports de Fos et Marseille sont de plus en plus ecoeurés , tout comme les chargeurs qui ont tous des plan B désormais !


  • Massaliote 11 février 2011 15:11

    Il y a pire. Ceux qui ne voulaient pas adhérer à la mafia des quais ont toujours été victimes d’« accidents » parfois mortels mais toujours invalidants. Une victime de lynchage qui a échappé de peu à la mort a porté plainte. Le 8/01/2010, la cour d’appel d’Aix a condamné « lourdement » le principal agresseur à 6 mois avec sursis ! :->


  • Henri François 11 février 2011 16:10

    Celà fait près de trente ans ans que les dockers CGT assassinent le port de Mraseille et celui-ci est encore debout. Dans cette ville pourtant très attachante l’attitude des dockers n’est pas hélas la seule à n’être « qu’embrouilles et corporatisme exarcébé ». Il faut jeter un oeil sur les éboueurs et chauffeurs de bus...


    • usbek 11 février 2011 17:08

      C’est le slaire OFFICIEL (sans les primes, et toul le reste -voir supra).
      Au lieu de cogno3 signez CGT13, ce sera plus clair.


    • juluch 11 février 2011 20:19

      Encore heureux, la CGT n’est pas toute comme celle des dockers Marseillais.


      C’est une infime partie......une petite gangrène qui empoisonne le port.

      Dans les 80’s, le salaire d’un docker tournait autour des 11000frs..... et c’était un gros salire !!

      Alors à présent !!!

  • rocla (haddock) rocla (haddock) 11 février 2011 20:24

    CGT 


    confédération générale des trouducs

  • ali8 11 février 2011 21:42

    je suis 100% en symbiose avec les dockers du port de Marseille qui se soutiennent comme un seul homme

    si tous les salariés se soutenaient pareillement, la Parisot arrêterait ses chansons et les grèves seraient porteuses d’espoir pour tous

    et Sarko ne ricanerait plus

    longue vie aux dockers de Marseille

    et pour les grincheux, je signale que les grèves sont faites pour perturber


    • juluch 11 février 2011 22:34

      Vous devez être le seul !!




    • le-Joker le-Joker 11 février 2011 22:37

      La symbiose :

      La symbiose est une association intime et durable entre deux organismes hétérospécifiques (espèces différentes), parfois plus[1]. Les organismes sont qualifiés de symbiotes, ou, plus rarement symbiontes (par utilisation de la traduction de symbiote en Anglais) ; le plus gros peut être nommé hôte.

      Mayonnaise ça correspond mieux non ?


    • jaja jaja 11 février 2011 22:40

      Ali le seul à soutenir les dockers ? Vous rigolez j’espère ? Plusieurs millions dans les rues avec eux il y a seulement quelques mois. Vous avez déja oublié ?


    • Mr.K (generation-volée) Mr.K (generation-volée) 12 février 2011 12:35

      JAJA vous prenez vos délires pour une réalité !!!!Personne ne descend dans la rue pour les dockers.
      Déjà rien qu’à Marseille plus personne ne peut les piffé.Marseille ça rame un peu économiquement pour une certaines population alors quand on voit des 15h payé 65h qui se plaignent de pénibilité ça passe plus.
      Et tout les métiers qui côtoient les docker,même les « énergique » de la sncm ne veulent plus entendre parler de cette mafia locale.

      Au passage,moi j’ai un 20h pas du tout penible payé au smic,on echange messieur les dockers quand vous voulez !!!!Par contre la c’est le contraire de vous,c’est payé au lance-smic.


  • Yohan Yohan 11 février 2011 22:56

    Aux US, les syndicats cachaient parfois la mafia. Et bien, nous en avons un bel exemple à Marseille. Le corporatisme dans toute sa spendeur. Des gens qui défendent à mort leurs gros intérêts et prêts à faire disparaître des centaines d’emplois autour d’eux, du moment que cela leur profite d’abord. Dire qu’il y a encore des crétins pour les soutenir. 
    Allez faire un tour du côté des docks en Martinique, vous y verrez de très rutilantes bagnoles


  • pastori 12 février 2011 12:51

    pauvres types toujours du coté des forts, qui les fascinent mais qui les méprisent, contre les plus faibles.


    pauvres serfs volontaires qui envient ceux qui ont un croûton de plus qu’eux, mais qui sont à genoux devant ceux qui cent mille fois plus qu’eux.

    pauvres gens nécessiteux et envieux, incapables de connaître leur place dans la société, couards terrorisés par les puissants et qui ont toujours besoin de trouver plus faibles qu’eux à pourchasser, pour se persuader qu’ils sont forts.

    briseurs de grèves et adorateurs du medef mais toujours les premiers à profiter des avancées sociales obtenues par ceux qui se battent.

    aller donc voir le film de René CAPITA « le rendez vous des quais » vous verrez comment les patrons portuaires recrutaient t des gros bras à la cervelle de pois chiches pour briser les grèves, nervis pourris, rebuts de la société..

    sarkosy et cie ont encore de beaux jours devant eux ! les masos veillent sur lui.

     drôle de professeur d’université que cet auteur dont l’idole est bernard tapie !! . voir sa fiche . encore un docker profiteur que ce tapie ?

    ce fil est à vomir mais salutaire. ça il permet de rappeler aux aux gens normaux qu’il ne faut jamais s’endormir, la peste brune couve toujours sous les cendres de ses éternelles défaites.

     et comme par hasard sont réunis ici les adorateurs de lepen le milliardaire. ceci expliquant celà.



  • pastori 12 février 2011 13:02

    tapie l’idole que l’auteur aurait bien vu ministre de l’éducation pour briser les grêves d’étudiants  

    dans son artticle e,n ces termes :« 
     » Il convient, au plus vite, de réunifier les deux ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, peut-être entre les mains d’un homme nouveau qui, à mon sens, pourrait être, par exemple, Bernard Tapie.

    tapie donc, on en parle ici sur AV. ça vaut le détour !

  • usbek 12 février 2011 13:42

    D’où sort Tapie et que vient-il faire ici.
    Décidément chez les stal. on ne perd pas les vieux réflexes !


  • pastori 12 février 2011 18:51
    c’est tout ce que ça vous inspire ?

    tapie sort d’un de vos article. un brave homme 

     dis moi qui tu idole je te dirait pourquoi tu tape sur des travailleurs qui défendent leur bifteck face à tous les tapie du pays.



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