Les jeunes et l’alcool
L’alcool et les jeunes, phénomène de société, réel problème, commerce florissant et opinion publique choquée ou laxiste. Où en sommes-nous en France aujourd’hui face à cette pseudo nouveauté qui fait de plus en plus la une de certains médias ?
Le thème de « l’alcool
et les jeunes » revient régulièrement dans
la presse. Dernièrement Psychologies magazine titrait en une :
« Les jeunes et l’alcool : quand s’inquiéter ? »
et ce journal ne reste qu’un exemple parmi tant d’autres.
Nous
assistons donc à un véritable problème de
société et les points de vue divergent grandement, avec
certains parents qui déclarent que « on est tous
passé par là, il faut bien qu’ils vivent »
ou d’autres beaucoup plus radicaux qui voient un véritable
fléau pour la jeunesse.

Une tradition française ?
La France est un grand pays consommateur d’alcool et
qui plus est avec une certaine « religion » de
l’alcool : le fait de voir de très jeunes gens buvant un verre
de vin à table en famille est de manière générale
vu comme « normal » dans des régions
comme les alentours de Bordeaux. De même, les alcools plus
spiritueux sont régulièrement bu par les jeunes (voire
là encore très jeunes) dans des régions comme les alentours de Cognac. De même que la fin d’une coupe de
champagne est souvent donnée lors de fêtes ou soirées
à ces mêmes jeunes.
La France a donc une
relation à l’alcool qui n’est pas la même que tous les
autres pays européens. D’ailleurs une étude fait
remarquer qu’il existe même de fortes disparités
géographiques au niveau de la consommation, au sein même
du territoire français : ainsi, l’usage le plus répandu
d’alcool se trouvera dans les régions de la façade Atlantique du pays : « de la Bretagne à
l’Aquitaine, ainsi que dans le Limousin, en Auvergne et en
Rhône-Alpes ». D’autres régions sont beaucoup
moins touchées comme le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie et
l’Ile-de- France.
Comme nous l’avons dit, alors que certains
avancent la thèse d’une « tradition locale,
régionale ou nationale », d’autres préfèrent
parler de « présence de causes sociales d’une
consommation excessive : le désoeuvrement, le chômage,
l’échec scolaire ou professionnel... » comme le
déclare le Dr Phillippe Batel, chef du service d’addictologie
de l’hôpital Beaujon à Clichy.
Une étude de
l’Institut de recherches scientifiques sur les boissons (IREB) datant
de 2001 a confirmé certaines thèses évoquées
ci-dessus : « L’entrée dans la consommation se fait
dans un contexte familial, que ce soit à la maison ou au
restaurant. 70% des jeunes déclarent consommer en famille à
13-14 ans. La consommation reste ainsi "encadrée"
par des adultes qui prodiguent une sorte "d’éducation"
aux boissons alcoolisées. » On reste mine de rien
en face du : « Bois si tu veux être un homme »
pour beaucoup de spécialistes même si d’autres déclarent
que les jeunes n’ont plus besoin de ça pour boire.
Pourtant,
l’étude déclare qu’avec l’âge les milieux et les
façons de consommer se diversifient grandement : avec l’âge,
la fin du verre des fêtes familiales devient la « murge »
ou encore la « biture » du vendredi ou samedi
soir au bar ou chez quelqu’un entre amis.
« Ça dépend
de ce qu’ils boivent... »
Les industriels
de l’alcool et de spiritueux ont vite compris les bénéfices
qui pouvaient découler de la vente vers ce nouveau public grand consommateur qu’est la jeunesse. Depuis quelques années
on assiste à une modification des alcools vendus en grandes ou
moyennes surfaces (lieu de prédilection des achats d’alcool)
assez impressionnante. Le vin et la bière ont laissé
place à toutes sortes de produits dérivés et,
chose assez étrange, le goût de l’alcool se fait très
lointain dans certaines boissons et le sucré prend sa place.
Ainsi les diverses bières aromatisées à tout et
n’importe quoi font fureur chez les plus jeunes (Desperados à
la téquila, Amsterdam au whisky, ou encore le 51 citronné,
Kriska à la vodka...). Même si l’ajout de deux alcools
semble faire encore plus ivrogne, le but est seulement de cacher
quelque peu le goût amer de certains alcools en en ajoutant un
autre beaucoup plus sucré, la dose et le degré d’alcool
restant dans tous les cas les mêmes... Le goût de la
« défonce » semble donc primer sur celui
de l’alcool.
On a donc une démultiplication des « produits
dérivés » et les gros « coups de
pub » lors de soirées étudiantes ou en
boîtes de nuit sont fréquents.
Ainsi le vieux dicton du
« ça dépend de ce qu’ils boivent »
n’a plus lieu d’être. Déjà parce que les alcools censés être les plus légers sont souvent
« redosés » par les fabriquants, comme
la bière ayant à la base environ 5° et terminant
aujourd’hui à 12-13° avec un packaging et des noms plus
« qu’attirants » pour un jeune public (La Bière
du Démon, Delirium Tremens...) ; mais aussi parce que les
boissons les plus « légères »
sont bues en plus grandes quantités.
Une jeunesse désabusée
?
Pour
tenter de comprendre ce nouveau fait de société,
certains sociologues et psychologues voient une extériorisation
du stress, de la « pression de la société »
de plus en plus pesante, et souvent de plus en plus tôt.
Ainsi,
le travail acharné, le stress occasionné, l’obligation
de réussir pousseraient les jeunes à corps perdus dans
l’alcool pour « vraiment se lâcher » et
profiter. D’autres mettent eux aussi en cause la société
mais cette fois-ci, loin d’un stress dû aux études, par
une manière de se sentir plus « libre »,
d’être plus sûr de soi, d’être plus attirant, le
tout alcool aidant.
D’autres encore parlent de simple phénomène
de société, voire de mode, venu tout droit de
Grande Bretagne et connu sous le nom de binge
drinking. La
jeunesse a aujourd’hui beaucoup de mal à s’amuser sans
alcool ou drogue et c’est bien grave. Le fait que cette consommation,
en plus d’être régulière, devienne banale est un
fait assez conséquent à prendre en compte : certaines
études nous montre que 65,9% des étudiants ont été
ivres au cours de leur vie, et 16 au cours des 12 derniers mois. Fait
encore plus frappant, 53,3% des lycéens ont eux aussi déjà
été ivres une fois et 27,5% des collégiens.
La
baisse de l’âge est assez inquiétante et Georges
Picheront, chef du service des urgences pédiatriques au CHU de
Nantes déclare : « Depuis environ cinq ans, les
défoncés à l’alcool sont de plus en plus
nombreux à échouer aux urgences. Et de plus en plus de
jeunes. On reçoit des enfants de 12-14 ans en pleine
après-midi. Aucune dimension festive à leur
conduite... »

Et
sur le terrain ça donne quoi ?
(Interviews
croisées : Julie*, 17 ans et Bernard*, 19 ans, interviews posées
individuellement.)
« - L’alcool
et les jeunes, on en parle beaucoup, vous sentez-vous concerné(e)
?
Julie : Pas
vraiment.
Bernard : Je
crois qu’aujourd’hui tous les jeunes sont concernés par
l’alcool. Le vieil adage "sans alcool, la fête est plus
folle" prête à sourire.
-
Vous arrive-t-il de boire régulièrement ou est-ce
vraiment occasionnel ?
J : Cela reste occasionnel.
B : Tout
dépend de la définition que l’on donne à
régulièrement. Si c’est dans le sens d’un besoin
quotidien c’est non ; il est vraiment rare de boire tout seul chez
soi. En revanche quand des soirées se succèdent, il
arrive que la consommation soit régulière pendant un
certain temps.
-
A combien "mesurez"-vous cette occasion ? Plusieurs fois par
semaine, par mois ou vraiment lors d’occasions particulières
?
J : Mmh... je dirais une fois tous les deux ou trois mois mais
pour des occasions particulières.
B : Comme je l’ai dit tout
dépend des périodes. En temps normal, la semaine est
plutôt calme, le week-end l’est moins. Mais l’été
par exemple il peut arriver que cette occasion se reproduise presque
tous les soirs.
-
En général buvez-vous à être ivre ou juste
quelques verres "comme ça" ?
J : Juste quelques
verres mais ça m’arrive (très très rarement)
d’être euphorique.
B : En règle générale,
ce ne sont que quelques verres ; connaissant mes limites je sais
quand m’arrêter. Les états d’ivresse avancée sont
quant à eux beaucoup moins fréquents, même s’ils
ne sont pas inexistants.
-
Pensez-vous que l’alcool et les jeunes soit un réel problème
de société ? Etes-vous témoin régulièrement
de grosses "murges" lors de fêtes ou encore de la
traditionnelle "biture du vendredi et samedi soir" et y
prenez-vous part ?
J : Oh que oui, je suis toujours là
pour les aider, les réconforter, voire les traîner...
B
: A mon sens c’est un problème de société, oui,
mais la responsabilité revient je pense à l’éducation
avant tout. Il faut apprendre aux jeunes à boire non pas pour
boire en tant qu’action à la mode, mais pour apprécier.
J’ai l’habitude de voir des gens complètement éméchés
qui ne sont plus maîtres de ce qu’ils font. Il m’arrive d’y
prendre part mais comme je l’ai dit, mais jamais de manière vraiment
excessive.
- Y a-t-il donc selon vous un réel problème de la jeunesse envers l’alcool même si celui-ci tend à se banaliser ?
J
: Le problème, c’est pas plutôt que pour les jeunes ça
paraît normal de se "bourrer" la gueule ?
B : Oui un
problème d’éducation. Je pense que les jeunes sont
parfaitement conscients des dangers de l’alcool comme c’est le cas
avec la cigarette, mais ils ne savent pas se fixer de vraies limites
; tomber dans l’excès est une facilité très
répandue.
- Comment voyez-vous ces jeunes qui se « bourrent la gueule »
régulièrement et qui trouvent ça normal ?
J : Je trouve ça un peu pitoyable et ridicule en fait.
B : Je les comprends. La jeunesse c’est l’âge de la rébellion où on tente de faire ce qui est interdit. Ce n’est pas le fait qu’ils boivent régulièrement qui est en soit un problème mais plutôt le fait qu’ils trouvent ça normal. C’est en ce sens qu’il faut agir à mon avis. »
Pour
conclure, nuançons quelque peu
Les
faits mis en relief dans cet article font état d’une situation
assez inquiétante pour la jeunesse face à l’alcool et
l’alcoolisme. Il ne faut pourtant pas voir tout en noir ou encore
généraliser tous les jeunes et les mettre dans le même
panier : dans son article sur l’alcool et les jeunes, Christilla
Pellé-Douël déclare : « [...] les
"défoncés" du samedi soir ne
sombrent pas tous, loin de là, dans la dépendance
[...] ».
Tentons donc de ne pas accentuer des faits ou
des attitudes qui ne sont en aucun cas celles d’un jeune alcoolique ;
il n’en reste pas moins que le devoir de vigilance doit se faire,
tout en laissant bien entendu une liberté pour que le jeune
tente et comprenne par lui-même : beaucoup vous diront qu’une
méchante cuite avec gueule de bois calme bien des ardeurs...
* Les noms ont été changés.