vendredi 16 août 2024 - par C’est Nabum

Les mots pour remplacer les coups

 

Le miracle de la langue.

Les mots pour remplacer les coups.

 

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Aux tous premiers temps d'une humanité tout juste naissante, ils étaient deux dans cette caverne. Ils ne s'appelaient ni Adam ni Ève ; il ne faut pas croire aux balivernes ! Ils n'avaient pas encore de noms, vivaient dans des conditions très difficiles car chaque instant était pour eux une lutte pour la survie. L'homme était rude, violent par nécessité ou facilité, toujours aux aguets et souvent prompt à frapper sa femme pour obtenir d'elle ce qu'il désirait sans partage.

La femme supportait, vaille que vaille, ce curieux traitement, se soumettant à la force, se contentant des maigres avantages que lui apportait la protection de ce farouche guerrier et désastreux compagnon. C'est du moins ainsi qu'il faut comprendre cette étonnante union. L'amour peut-il naître sous les coups ? Il ne nous appartient pas de juger ce que nous ne pouvons comprendre.

Toujours est-il que la femme subissait courageusement les étreintes rapides, brutales, sauvages de celui qui partageait sa couche. C'est ainsi qu'elle sentit une transformation dans son corps, une présence discrète, un souffle de vie qui n'était pas le sien. Pour fruste qu'elle pût être, cette femme avait pris conscience du miracle de l'existence ; elle savait qu'elle portait une vie et voulait à tout prix préserver ce don de la nature.

Mais comment faire pour échapper aux coups que son tyran ne manquait pas de lui donner en rentrant de la chasse ? Son tourmenteur transcendait ses peurs en portant la main sur celle qui l'attendait dans le secret de la caverne. Cette marque de faiblesse lui permettait de se montrer courageux face aux fauves et aux menaces de la chasse. Ne lui jetons pas la pierre : les temps étaient impitoyables alors …

La femme, dans sa maternité naissante, avait compris qu'il fallait que cesse l'avalanche de coups qu'elle recevait chaque soir pour finir par céder à l'appétit de celui qui exigeait d'elle ce coït dont elle ne percevait pas encore le sens. Elle entendait son homme, alors émettre de drôles de bruits quand il prenait plaisir à se vider en elle. Elle se dit qu'il y avait là, matière à une expression plus élaborée, moins bestiale.

Elle s'entraîna seule à maîtriser ces bruits, à les moduler, à les rendre plus doux et plus précis. Dans sa solitude durant les longues parties de chasse de son partenaire, elle composa, petit à petit, une suite de modulations auxquelles elle attribua un sens. La femme qui portait la vie, engendra la parole.

Elle comprit alors que les mots avaient un curieux pouvoir : ils arrêtaient la main de celui qui devenait enfin son partenaire, l'intriguaient, lui donnaient une attitude plus douce, plus humaine. Le chasseur cherchait à comprendre, se concentrait sur ces curieux sons qui émanaient de sa compagne. Il essayait de l'imiter ; bien vite, il apprit à reproduire ces quelques mots qui prirent sens pour eux deux.

L'homme devint alors tendre et caressant. Il cessa de frapper et à chaque fois qu'il rentrait, il tentait d'expliquer sa journée de chasse avec quelques sons qui décrivaient un animal, une sensation, un paysage. Tous deux, dans le secret de la caverne étaient en train de créer la première langue : une langue sommaire, une langue sans grammaire mais une langue qui allait donner la vie et la transmettre …

Quand l'enfant fut né, les deux se mirent en demeure de lui offrir ce mystère. L'enfant apprit vite ; il aima ce dialogue, il montra des qualités créatives incroyables. Quand il eut l'âge de marcher, il voulait nommer toutes les choses qu'il croisait. Ses parents durent faire beaucoup d'efforts de mémorisation pour suivre cet enfant qui parlait.

La vie continua son cycle. D'autres humains imitèrent cette famille. La vie sociale put voir le jour. Les mots avaient pris la place des conflits. Bientôt il se trouva des individus capables de raconter des histoires : les mots s'assemblaient, ils prenaient tournure et sens, ils vivaient leur propre existence. La langue cessa simplement de nommer les choses ; elle exprima des notions plus complexes, plus secrètes, plus intimes. Elle permit de vivre en société et de s'inventer une légende.

Les langues se répandirent de par le monde, elles se multiplièrent, se diversifièrent, s'enrichirent de mille et une nuances. Elles portaient des mythes, des croyances, des rêves. Elles permettaient de s'aimer ou de s'aider. Elles assuraient un lien merveilleux pour vivre ensemble. Puis un jour, une fois encore, une langue voulut s'étendre sur le monde entier, devenir la seule, l'unique. Mais cette fois, le piège semblait fonctionner.

La langue impérialiste s'imposa par l'économie et la force. Elle voulut se simplifier, se raccourcir pour revenir à l'essentiel, du moins le croyait-on : manger, acheter, vendre, produire. Elle envahit les esprits, les journaux, les bouches des gens importants. Elle imposa sa présence dans toutes les réunions, les congrès, les foires internationales, les marchés.

Les humains en firent le véhicule de toutes leurs bassesses, leurs mesquineries, leurs désirs de puissance et de domination. Les poètes et les conteurs n'eurent plus leur place. Cette langue devint celle des banquiers et des commerçants, des producteurs et des gens de pouvoir. Bien vite, faute de diversité, faute de beauté, ce fut le retour de la barbarie et les femmes cessèrent alors de donner la vie.

C'est alors que quelques personnes se dressèrent contre cette insidieuse invasion. De-ci, de-là, des gens se mirent, une fois encore, à raconter des histoires dans toutes les langues du monde. Chacun empruntant à son voisin les plus belles légendes de sa contrée. Même dans le pays de la langue invasive, on se reprit à dire les épopées de la grande civilisation amérindienne, dans les langues de ceux qui avaient subi la domination des Yankees.

C'est la multiplication des langues qui favorise l'harmonie et la diversité. Les humains redevinrent fiers de leurs cultures, de leurs traditions et cessèrent de singer le grossier modèle venu d'au-delà des portes de l'enfer. Les enfants naquirent à nouveau et grandirent désormais avec des comptines d'antan, des mythes fondateurs et des contes du terroir. Walt Disney ferma ses portes et le monde retrouva ses valeurs ancestrales, il redevint solidaire, charitable et paisible.

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23 réactions


  • Gégène Gégène 16 août 2024 13:58

    Et quand les mots lestes molestent, on fait quoi ?


  • ricoxy ricoxy 16 août 2024 17:09

     

    Malheureusement, la langue est de nos jours monopolisée et confisquée par trois castes : les médias, les hommes politiques et les publicitaires. Écoutez parler les journalistes, et vous serez convaincu que la langue sert désormais à pervertir la réalité.

     


  • ricoxy ricoxy 16 août 2024 17:14

     

    « L’amour peut-il naître sous les coups ? »

     

    Et s’il me plaît d’être battue ? demandait Martine (Molière, Le Médecin malgré lui, acte I, scène 1)

     


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 août 2024 18:07

      @ricoxy

      Si tel est votre bon plaisir
      Faites


    • ricoxy ricoxy 16 août 2024 20:41

       
      @C’est Nabum
       
      Le sado-masochisme n’est pas ma tasse de café. Mais il est des personnes qui trouvent jouissance dans les coups, venant surtout d’un être qu’elles aiment. Certains cueillent leur plaisir dans les mauvais traitements. Freud a écrit de très belles pages là-dessus, ainsi que Donatien Alphonse François, marquis de Sade, et Léopold von Sacher-Masoch.
       
      J’avais cité la Martine de Molière à titre de curiosité historico-littéraire. Et il n’y avait pas metoo à l’époque...
       


  • Krokodilo Krokodilo 16 août 2024 18:56

    "C’est la multiplication des langues qui favorise l’harmonie et la diversité.

    "

    Il y a plusieurs versions du mythe de Babel, parfois prélude à l’expansion des Hommes sur toute la Terre, parfois une punition. En tout cas, la plupart du temps c’est considéré comme une malédiction. J’en avais fait un article aux débuts d’AVox.

    https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-tour-de-babel-et-la-44904


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 août 2024 19:39

      @Krokodilo

      On peut juger qu’une langue universelle au seul service du commerce et du pouvoir ne donne pas satisfaction.

      S’exprimer dans sa langue maternelle et avoir recours à des traducteurs donne plus de précision aux échanges que cet anglais sommaire et médiocre


    • chat maigre chat maigre 16 août 2024 19:45

      @C’est Nabum

      Salut Nabum, les grands esprits se rencontrent toujours à un moment smiley
      Tout à fait d’accord l’anglais pour le commerce pour le côté pratique et c’est tout !!


  • chat maigre chat maigre 16 août 2024 19:39

    @Krokodilo

    Très intéressant cet article sur la tour de Babel

    A mes yeux ça reste une punition des dieux dans les deux histoires.

    La diversité de langages est une richesse pour l’humanité car on sait que le langage et la culture ont une influence sur la pensée.

    Si on pose un problème à résoudre à des humains au 4 coins du mondes, les résultats à ce problème seront similaires mais pas exactement identiques car chaque langue et culture amèneront des raisonnements un peu différents.

    Pour finir, je suis de ceux qui pense qu’une langue trop simple et trop simpliste est un frein à la pensée et au raisonnement.

    A mes yeux l’anglais est plus facile à apprendre mais en français, on a plus de subtilité, plus de nuances, etc 


    • Krokodilo Krokodilo 16 août 2024 20:02

      @chat maigre Merci. J’ai souvent parlé de ces sujets, entre autres de la facilité relative des langues. Rien n’a a changé depuis. L’anglais facile est un cliché qui se maintient du fait que nous baignons dedans (pourquoi sur France-info un reportage sur le fait que Biden et Harris ont fait un meeting commun ? pourquoi devrions-nous suivre d’aussi près la campagne électorale étatsunienne, qui en plus dure des mois ?) ), contraints et forcés, et pour des raisons politiques. Toute la question des langues est politique.


    • chat maigre chat maigre 16 août 2024 20:56

      @Krokodilo

      je suis allé voir sur ton profil et je vois qu’il y a de nombreux articles qui abordent le sujet, ça a titiller ma curiosité, je vais lire un peu tout ça et on en reparle à l’occasion car les langues et leur évolution au cours de l’histoire, c’est un vecteur indispensable pour une bonne compréhension de l’Histoire de l’humanité et je me rends compte que je n’y avait pas accordé assez d’importance !!

      comme quoi des fois un petit lien dans un commentaire et c’est toute notre vision du monde qui est remise en question smiley


  • sylviadandrieux 16 août 2024 21:38

    L’amour peut-il naître sous les coups ? 

    Mais qui pose la question, l’homme brutal persuadé de son droit ou la femme qui ne se pose pas la question ?


  • sylviadandrieux 17 août 2024 18:57

    « quand l’enfant fut né » m’étonnerait beaucoup que la petite chose chétive et rabougrie ainsi que la pauvre chose de mère épuisée aient survécus à tant de coups donnés par l’imbécile heureux de père. mais on peut toujours rêver.


  • sylviadandrieux 18 août 2024 00:26

    Curieuse façon de présenter les mots pour remplacer les coups.


    • C'est Nabum C’est Nabum 18 août 2024 07:26

      @sylviadandrieux

      Je sais qu’il y a des mots qui tuent mais ceux-ci sont néanmoins bien plus rares que les coups qui détruisent


  • juluch juluch 21 août 2024 14:31

    Et les femmes savent y faire......  smiley


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