mardi 13 avril 2010 - par
Les policiers du RAID, nouveaux formateurs de l’Education nationale
Qui a dit que l’Education nationale ne formait plus ses personnels ? Les 17 et 18 mars, une centaine de chefs d’établissement de l’académie de Créteil ont été réunis dans les locaux de l’Ecole nationale supérieure des officiers de police, où, aux côtés de 80 officiers, ils ont travaillé sur le thème « Apprendre à se connaître et à travailler ensemble ». Après une première journée consacrée à des « études de cas réels » (« jets de pierre, vente et consommation de stupéfiants, interpellation d’un élève »), une seconde journée fut l’occasion pour les proviseurs et principaux de découvrir une intervention du RAID dans un établissement. Pour le rectorat, « ces démonstrations passionnantes et professionnelles (sic) permettront des échanges riches sur les pratiques partenariales » (1).
Curieusement, quelques jours plus tard, le même rectorat annonçait que les lauréats au concours de recrutement pour l’année 2010 seraient mis directement devant les élèves dès la rentrée (2). Directement et sans formation, puisque, comme on le sait, le gouvernement, malgré les critiques unanimes, a choisi de détricoter jusqu’au bout tout le système de formation professionnelle jusque-là en vigueur, qui alternait stages en IUFM et présence devant élèves. Jeunes enseignants abandonnés à eux-mêmes d’un côté, chefs d’établissement « formés » par les policiers du RAID de l’autre, on voit là en un saisissant raccourci, toutes les incohérences d’une politique motivée par des préoccupations qui n’ont pas grand-chose à voir avec une éducation bien pensée mais qui répondent malgré tout à une certaine logique : de la présence systématique d’enseignants inexpérimentés et non-formés dans les classes résulteront inévitablement des comportements parasites chez les élèves, auxquels on n’aura que trop tendance à répondre par une répression disproportionnée. Faire passer la répression avant l’éducation, le policier avant l’éducateur, n’est-on pas là, finalement, au cœur d’une doctrine voulue et appliquée par le parti politique majoritaire ?
Si la mise au rancart des IUFM résulte en effet de médiocres considérations budgétaires associées à une animosité hautement proclamée contre la pédagogie, de son côté l’appel inconsidéré à des forces de police qui n’ont jamais montré de compétences particulières en matière éducative, illustre et renforce une tendance qui vise à judiciariser toujours plus les rapports à l’intérieur des établissements et surtout à criminaliser l’ensemble des élèves. L’opinion publique est-elle réellement en train de s’habituer à voir ses enfants interpellés sous n’importe quel prétexte, menottés, humiliés même lorsqu’ils n’ont rien commis de répréhensible ? Ces chefs d’établissement rassemblés par leur autorité, n’éprouvent-ils vraiment aucune réticence, aucun scrupule, à se voir cornaqués par les policiers d’une unité, le RAID, dont la fonction première est la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme ? Ne se rendent-ils vraiment pas compte des effets potentiellement désastreux que peut produire l’amalgame ainsi pratiqué entre les pires des délinquants et leurs propres élèves ? Tout éducateur sait qu’un jeune ne peut grandir sans un minimum de bienveillance et de confiance de la part des adultes qui en ont la charge et à quel point un regard en permanence suspicieux et négatif peut être destructeur.
Cette douteuse initiative de l’académie de Créteil n’est évidemment pas étrangère au contexte politique. Des dernières élections régionales ressort la certitude que le président de la république et sa majorité ne pourront rester au pouvoir après 2012 sans l’appui des voix d’extrême-droite et un recentrage sur des fondamentaux – identité nationale, sécurité – remis au goût du jour ces derniers mois. Avec la Marseillaise obligatoire et une présence policière sans rapport avec la nécessité, l’école est prise en otage par des préoccupations politiciennes dont elle n’a rien de bon à attendre. La circulaire rectorale relative à la formation des chefs d’établissement précise d’ailleurs benoîtement : « les journalistes souhaitant faire un reportage sont invités à prendre contact avec le service de communication. » On ne saurait mieux dire : rien de tel que quelques images sur une intervention policière dans un établissement scolaire pour amener l’électeur à bien voter.