samedi 13 juin 2020 - par Laurent Herblay

Les propos racistes privés doivent-ils être poursuivis ?

Bien sûr, après le glaçant assassinat de George Floyd, la lutte contre le racisme revient à la une. C’est ainsi que Christophe Castaner a saisi la justice pour des propos racistes publiés par des policiers sur un groupe Facebook privé. Malheureusement, l’emballement médiatique actuel, outre l’oubli des différences énormes entre notre pays et les États-Unis, n’a pas permis de questionner cette saisie.

Les propos racistes privés doivent-ils être poursuivis ?

 

Nouvelle menace sur la vie privée
 
Bien sûr, les forces de l’ordre se doivent d’être exemplaires, même si leur condition sociale a durement souffert depuis plus de dix ans, et si elles sont confrontées à des violences directement ciblées contre elles. Le monopole de la violence doit imposer une retenue, qui est probablement celle de l’immense majorité des forces de l’ordre en France. Malheureusement, il faut bien constater que le gouvernement a laissé faire des dérives absolument révoltantes dans la répression du mouvement des Gilets Jaunes, avec un nombre de blessures graves indignes d’un pays comme le nôtre, dans un contraste saisissant avec le passé, en 1968 ou 2005. De ce fait, une attention plus grande est portée aux comportements des forces de l’ordre, ce qui a poussé le ministre à saisir la justice pour des propos racistes tenus par des policiers sur un groupe privé Facebook rassemblant plusieurs milliers de personnes.
 
Bien évidement, je condamne le racisme, ayant plusieurs fois pris la plume pour dénoncer certaines déclarations. Malgré tout, au risque de ne pas être bien compris, je pense que la saisie du ministre de l’intérieur pose un vrai problème, très actuel : celui du droit et du respect de la vie privée. Bien sûr, que des membres des forces de l’ordre, qui ont le monopole de la violence légitime, tiennent des propos racistes est inquiétant et révoltant. Mais il faut remettre les choses à leur place, tant cette affaire peut provoquer des raccourcis ridicules. D’abord, les huit mille personnes du groupe Facebook ont une valeur très relative. Seules quelques centaines, ou même dizaines, pouvaient être actives. Ensuite, sur le premier groupe, certains avaient dénoncé les propos racistes d’autres membres. Combien tenaient des propos racistes, et de quelle nature, certains propos rapportés étant bien loin du délit ?
 
Plus globalement, ne faut-il pas distinguer le traitement du comportement public de celui du comportement privé ? Bien évidement, des propos racistes de membres des forces de l’ordre tenus en service doivent être sanctionnés, de manière raisonnable. Mais n’est-il pas profondément problématique de vouloir sanctionner des propos, même racistes, tenus de manière privée ? On pourrait peut-être poser la question du statut d’un groupe Facebook, même privé, à partir du moment où il atteint une certaine taille. Mais finalement, même dans un groupe privé de 8000 personnes, combien avaient vraiment vu ces propos ? Et s’il n’y a eu que quelques personnes exposées, cette affaire ne concerne que des propos tenus dans un cercle privé, rappelant le cas du Slip Français il y a quelques mois.
 
Et là, un tel raisonnement pose problème. Si de tels propos pouvaient être sanctionnés, jusqu’où serait-t-il possible d’aller judiciairement dans le futur ? Une vidéo faite par des convives, des collègues ou de la famille lors d’un repas privé dans laquelle on distingue clairement des propos racistes d’une personne pourraient-ils être eux-aussi sanctionnés ? Qu’est-ce que cela implique pour Facebook ? Cela signifie-t-il qu’ils ont une part de responsabilité ? Devraient-ils alors mettre en place des mouchards traquant les dires et les écrits de leurs utilisateurs pour repérer d’éventuels propos racistes et les effacer ou exclure l’utilisateur ? Bien sûr, je pousse le raisonnement un peu loin, mais il me semble tout de même que l’annonce du ministre de l’intérieur ouvre encore la voie à des dérives qui posent de vrais problèmes.
 
S’il est naturel de s’émouvoir de la tenue de propos racistes de la part des forces de l’ordre dans ces deux groupes, il me semble que cette séquence pose aussi d’autres questions. D’abord, celle du recul de la vie privée avec les plateformes numériques, où le privé peut trop facilement devenir public. Et naturellement, comment distinguer la sphère publique de la sphère privée et les devoirs qui y sont associés.



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