Petite histoire de la SEGPA !
Qui n'intéresse personne comme toujours.
La lente agonie d'une structure oubliée
Traînant mes guêtres depuis plus de trente cinq ans dans l'enseignement spécialisé en collège, ma modeste expérience, si elle ne peut avoir valeur d'exemple n'en offre pas moins un petit panoramique d'autant plus significatif que je n'ai eu de cesse de changer d'établissement et d'essayer parfois de nouvelles structures tout au long d'une carrière qui tarde à s'achever.
J'ai débuté, il y a bien longtemps de cela dans un collège rural dans ce qu'on nommait autrefois les SES Section d'éducation Spécialisée. L'enseignement n'était pas encore affiché dans les intentions de notre structure, les enseignants étaient des instituteurs et les professeurs d'atelier d'anciens professionnels qui venaient apporter leurs savoir-faire.
La pédagogie était alors fondée sur la réussite et l'investissement par le professionnel. Les élèves quand ils atteignaient l'âge de 14 ans avaient 12 heures d'enseignement général et 12 heures d'atelier. Ils avaient alors accès aux machines, se lançaient dans des travaux pour de vrai, rentraient dans une logique de production. Beaucoup trouvaient un apprentissage à la sortie de ce que certains bons esprits appelaient un conditionnement professionnel.
N'empêche, ils savaient travailler, avaient mobilisé des compétences qui leur donnaient confiance et qu'ils investissaient dans le scolaire. Ils apprenaient l'amour du métier, participaient à des chantiers chez des particuliers, préparaient des buffets pour des réceptions, organisaient des défilés de mode ou des actions spectaculaires en dehors du temps scolaire. Ils avaient une vraie fierté à valoriser ainsi leur efforts et ne comptaient pas leur temps.
Puis, la SES est devenue SEGPA, il y eu des ambitions affichées qui furent suivies d'effets. Bientôt, on proposa à certains élèves de rester une ou deux années supplémentaires pour passer un CAP. Les enseignants se mirent au travail, il y eu des réussites, parfois spectaculaires. D'autres élèves trouvaient maintenant le chemin du lycée professionnel. Il y avait au sein de l'éducation nationale une structure à la marge qui remplissait sa mission au delà des espérances initiales.
Ce fut un bref moment, une période heureuse où les adultes et les élèves vivaient dans une unité de temps, unité de lieu, unité d'action qui faisait la richesse de cette structure et la force d'équipe soudée et motivée. L'âge d'or des SEGPA. Les élèves subissaient tout autant la terrible loi de la discrimination et de la stigmatisation qu'aujourd'hui. Cependant, ils voyaient des réalisations concrètes qui leur donnaient courage et volonté.
Puis il y eut quelques modifications qui brisèrent l'élan. On distingua les professeurs d'atelier, leur accordant le grade de PLP et une charge horaire de 18 heures par semaine comme les grands. Quelques années plus tard, par souci d'équité les instituteurs se virent accorder une ristourne pour compenser l'injustice. Avec 21 heures, ils avaient quand même deux fois plus d 'élèves que leurs collègues. Rien de tel qu'une bonne et franche inégalité pour briser l'harmonie d'une équipe.
Puis les coups bas allaient venir sans doute à l'initiative ou sous la pression des financeurs. On interdit bientôt l'usage des machines afin de « technologiser » l'enseignement professionnel et lui donner des airs de matière noble. Comme si se servir de ses mains était indigne … Il est vrai que les machines coûtaient fort cher et que les conseils généraux traînaient d'autant plus la patte que c'était pour ces enfants là …
On fit entrer les PLC dans la danse. Il fallait donner de vrais cours à ces élèves au nom de je en sais quelle conception de notre rôle. Bien sûr, tous n'étaient pas volontaires et beaucoup se trouvaient bien démunis devant leurs problématiques. Il y avait sans doute aussi des enjeux de postes à préserver et le morcellement des horaires en tranches juxtaposées est arrivé. La bataille du non sens allait être gagnée. Le collège montre si bien la pertinence de cette conception empirique des savoirs.
Les instituteurs, devenus par la grâce d'une revalorisation absurde des Professeur des Écoles devinrent les bouche-trous d'emploi du temps copie conforme de l'enseignement général. L'enseignement professionnel qui ne mérite d'ailleurs plus cette appellation est lui aussi une interminable succession de cours théoriques agrémentés de quelques bricolages sans valeur. Adieu les chantiers et les commandes surtout en quatrième avec six malheureuses heures au programme.
En niant l'élan que donnait la découverte d'un métier, on est en train d'asphyxier des structures pour lesquelles désormais le seul objectif est de remplir des sections aménagées de CAP dans les LP. L'apprentissage devient la solution minoritaire pour de nombreuses raisons trop longues à développer ici. Naturellement les problèmes de discipline reviennent massivement à la surface, la perte de sens et la fierté du travail réalisé n'étant plus mis en avant dans nos collèges devenus des ghettos de la relégation scolaire, les élèves s'ennuient à nouveau comme leurs collègues en échec massif de l'enseignement général.
J'espère que nos élèves trouveront au lycée professionnel ce plaisir auquel on les a privé désormais dans nos SEGPA. Ces années perdues sont bien regrettables et les souffrances qu'elles entraînent de part et d'autre ne se justifient guère. La réalisation par le geste professionnel avait montré que des compétences scolaires pouvaient s'activer par ce magnifique moteur. Des logiques différentes ont réduit à presque rien cette source inégalable de motivation. Les stages ne sont que des pis aller qui arrivent bien tard et dans un contexte de démotivation alarmant. Tout serait pourtant si facile à remettre en place.
Brièvement vôtre.
Voilà le témoignage que l'on m'avait demandé pour une soirée débat sur la refondation de l'école. Il y eu tant d'interventions que la Segpa resta dans l'oubli. Une bien mauvaise habitude pour cette structure véritablement à l'abandon. Dommage ...