Pourquoi la crainte irraisonnée de la castration même quand les conditions environnantes n’incitent pas à y penser de prime abord ? Certes ligoté et le pantalon baissé devant trois malfrats armés de rasoirs qui vous forcent à avouer votre code de carte de crédit ou la combinaison de votre coffre, le moins imaginatif, pense immédiatement à la sauvegarde de ses humbles génitoires. Mais cette situation ne se présente heureusement que très rarement et en dehors d’événements improbables, l’homme ne devrait pas perdre la boule à l’idée de pouvoir les perdre.
L’homme vit dans un monde qui (de moins en moins, certes de nos jours) prône les qualités viriles. Exister c’est bander, c’est pénétrer et multiplier les conquêtes féminines. Dans ces conditions, perdre son outil de travail social et culturel, c’est ne plus exister. En ces conditions, on comprend mieux que la castration devienne une angoisse. Cette angoisse est d’autant plus exacerbée de nos jours que les lois sur la parité, le féminisme, la lutte contre le sexisme et les discriminations sont ressenties par beaucoup d’hommes comme une mise en veilleuse de leur libido. De là à considérer toute femme comme une castratrice potentielle avec une paire de ciseaux symboliques, il n’y a qu’un pas que l’inconscient est prompt à franchir. A minima, l’homme a souvent l’angoisse de ne pas être à la hauteur et appréhende le moment où il se fera traiter de petite bite ou de couille molle par une femme méprisante, mais superbe, faisant une moue à la Bardot ! Un étudiant qui craint de ne plus pouvoir un jour toucher ses bourses en arrive à rater ses examens.
Quant à la femme qui vit dans l’angoisse du parking désert o flotte une forte odeur d’urine masculine, elle devrait s’en tenir aux statistiques officielles de la police pour se persuader que l’hypothèse fâcheuse de viol ou de l’agression sexuelle en ces lieux est très basse et que le vendeur de légumes d’en bas de chez elle, même s’il est un peu basané, a de fortes chances d’être un père de famille inoffensif à la sexualité plus que normale qui ne lui veut aucun mal. On peut comprendre l’appréhension pour une femme seule de traverser à trois heures du matin un terrain vague de banlieue en mini-jupe et talons aiguilles, mais reconnaissons-le, ce genre de circonstance est quasi exceptionnelle dans la vie d’une femme, à moins qu’elle ne l’ait provoquée délibérément et ne devrait pas animer tant de fantasmes. Monica Bellucci se faisant coincer dans un passage souterrain du boulevard Ney, c’est avant tout du cinéma. Le plus étonnant dans le fantasme de viol, c’est qu’il fait intervenir des auteurs imaginaires stéréotypés, loin du profil du violeur moyen condamné par la justice qui est généralement un individu insignifiant pour ne pas dire falot, passant inaperçu, mais souvent aussi un proche de la victime, collègue, voisin, ex petit ami …Mais dans la chimère, il ne peut s’agir que d’un personnage typé ethniquement ou sociologiquement : grand noir avec une érection monumentale, Arabe libidineux, motocycliste tatoué sentant le cambouis, marginal aux cheveux crasseux déambulant avec un chien. Jamais une femme n’imaginerait se faire agresser par un comptable belge au costume élimé ou par un fonctionnaire des postes venu lui livrer un colis à Neuilly, (Olivier Besancenot a donc un long avenir de séducteur devant lui). Or le Belge ou le facteur ne sont pas absous de pulsions uniquement du fait de leur nationalité ou de leur fonction, pas plus que l’émigré et le marginal ne sont obligatoirement des violeurs frénétiques. Jadis, dans les villages, c’était le gitan, le romanichel qui était regardé d’un air torve quand il errait dans les parages ; de nos jours, la suspicion s’est déplacé vers d’autres populations allochtones.
Le manque d’imagination dans les fantasmes, qui sont souvent des clichés, est entretenu par la presse à sensation et la littérature de gare, la radio et la télévision qui stigmatisent et montent en épingle les faits divers croustillants où interviennent un Arabe sorti d’un hôpital psychiatrique ou un routard échevelé à qui il manque une incisive, alors que le violeur de base est souvent un petit fonctionnaire badin, un fils unique vivant chez sa mère et qui collectionne les timbres ou un vantard de bistro qui s’astique devant un porno faute de poupée gonflable. Mais ces cas, bien que majoritaires, sont trop banals pour faire les gros titres et les femmes se mettent à fantasmer par mimétisme télévisé. Quant à la publicité faite à « la drogue du violeur », elle incite de nombreuses jeunes femmes à vider d’un trait leur consommation ou de partir le verre à la main aux toilettes quand elles vont en discothèque. On n’est jamais assez prudente. Car si d’après les professionnels du psychisme féminin, le fantasme du viol existe chez environ une femme sur deux, cela ne veut dire en aucun cas que la femme désire se faire violer pour de vrai. Tout se passe au niveau intellectuel et suggestif, au point que certains parlent de masochisme inné de la femme et d’autres de culpabilisation de la sexualité du fait de la culture, de la religion, de l’éducation et de l’environnement social. Cela dit, il y a plus de femmes qui matérialisent leur violeur imaginaire en pompier en uniforme, en Brad Pitt musclé ou en surfeur californien qu’en égoutier, unijambiste ou petit chauve bedonnant. Tout presque dans le fantasme est lié aux représentations culturelles de la sexualité. A force de s’être fait répéter pendant des millénaires qu’elle devait être soumise, la femme s’est enfermée dans ce carcan, même au niveau imaginaire. Cela ne se raye pas en quelques traits de plumes de militantes féministes. Dans le fantasme du viol, l’homme intervient comme acteur et la femme comme objet, ce qui correspond de fait aux archétypes culturels universels et traditionnels.
Une place particulière doit être réservée aux hystériques, dans le sens psychiatrique du terme. Certaines vivent dans le fantasme permanent et en arrivent quelquefois à la déclaration mensongère, souvent dirigée contre un proche ou encore mieux un ascendant. On ne peut d’ailleurs parler de mensonge ou de dénonciation calomnieuse, car au moment de ses accusations, la femme y croit et le viol est entré en plein dans son imaginaire, en plein dans sa névrose. Les premières hystériques autrichiennes vues par Sigmund Freud l’ont d’ailleurs induit en erreur au début de sa carrière, car il supposait que l’hystérie était le fruit d’un traumatisme sexuel réel survenu dans la jeunesse, comme l’inceste. Il lui a fallu un certain temps pour découvrir que les accusations d’inceste et de viols de ses premières patientes n’étaient que fabulation et que le fantasme du viol était une composante majeure de la névrose. Hélas, les politiciens, qui sont loin du niveau de Freud, se pressent pour tenir la main et donner l’accolade à des mythomanes se disant molestées par des loubards, des Arabes ou des antisémites et cela par pur clientélisme compassionnel.
Mais revenons à la femme pudibonde et timide qui se laisse aller à des rêveries innocentes où elle se fait prendre comme une chienne, alors que dans la vie courante, elle n’accorde que le minimum syndical à son époux. Comment expliquer cette discordance entre la réalité quotidienne et le fantasme intime ? Certains, pour ne pas les nommer parleraient de leurre d’appel sexuel et d’intericonicité. Mais la réalité est plus terre-à-terre. La banalité quotidienne ne peut qu’engendrer des « châteaux en Espagne » d’ordre sexuel dans le but de sortir de l’ordinaire. Quand on a un mari qui éjacule après deux minutes et ronfle ensuite comme un sonneur, on ne peut rêver que de pénétrations violentes, puissantes et prolongées pratiquées par des bucherons velus et musculeux, bien qu’experts, dignes de figurer dans l’amant de Lady Chaterley.
Enfin, le fantasme ou plutôt la crainte du viol homosexuel est totalement occulté par les hétéros. La peur d’être assimilé à un homosexuel passif par de nombreux hétérosexuels est telle que le fantasme est enfoui au plus profond et ne peut s’exprimer. Cela peut être comparé au malaise des quelques rares rêves homosexuels qui réveillent avec sueurs et angoisse ceux qui ne le sont pas quand ils surviennent impromptus. Car le rêve érotique à connotation homosexuelle se produit aussi chez chaque hétéro, même si le souvenir en est exceptionnel L’inconscient en occulte le plus souvent le souvenir, mais quand il arrive à émerger le matin au réveil ou en pleine nuit, il met le dormeur mal à l’aise et dubitatif sur sa propre sexualité. Par contre, seul un individu ayant déjà des tendances homosexuelles, même refoulées, peut s’imaginer en train de se faire prendre par des Village People ou un marin en Jean-Paul Gauthier venu tout droit de Brest,à la suite d’un repas de première communion ou de bar-mitsva. Mais la pire des sensations pour un mâle se voulant dominant est de se rêver femme, avec rien entre les jambes, et seul Michel Sardou est capable d’en faire une chanson égrillarde irritant les féministes. C’est vrai qu’il avait aussi chanté un personnage qui rêvait de violer des femmes, un minable qui ne cassait rien.
Mais que recouvrent ces fruits de l’imagination ? Il n’existe pas de réponse univoque, mais des pistes sociales, culturelles et psychologiques. Le vécu, l’enfance, les lectures et le cinéma porno interviennent certes pour beaucoup, mais le fantasme arrive toujours à un moment donné où il existe un conflit concernant la sexualité avec son ou sa partenaire ou un conflit identitaire avec sa propre sexualité. Le fantasme amène de l’exaltation du frisson, scénarise les désirs, permet de sortir de la banalité quotidienne. Hélas, la plupart de celles qui se font des films en restent souvent au niveau de la série B. Par contre, très peu se refont le scénario d’histoire d’O, car bien qu’écrit par une femme, Pauline Reage l’histoire se complait dans des fantasmes plutôt masculins. L’homme de son côté fait un triste mélange entre castration, impuissance, humiliation et perte de confiance en soi.
Que faut-il en conclure ? L’homme très longtemps éduqué dans des schémas virils en arrive à considérer son sexe comme la pièce essentielle de son identité, la peur de le perdre est donc permanente et sa devise, sa raison d’être est bien souvent « copulo, ergo sum ». La femme, éternelle rêveuse insatisfaite voit dans l’homme un attrait mais paradoxalement en même temps un danger. Mais il faudrait des volumes entiers pour arriver à une conclusion bancale, alors vaut-il mieux laisser à chacun le soin du libre choix du « rêve et de son interprétation » !