lundi 8 mars 2010 - par Didier Cozin

Pourquoi le DIF (Droit Individuel à la Formation) ne prend-il pas auprès des travailleurs non qualifiés ?

Quand on travaille sur des dossiers en formation ou avec des spécialistes de la formation (comme nous le faisons tous les jours) il est difficile de se mettre à la place d’une personne peu (ou pas) qualifiée (celles pour qui la réforme de la formation de 2004 étaient principalement destinées). Ces personnes qui ne sont pas présentes sur Internet et représentent encore ce qu’on appelle la main d’œuvre ouvrière.

Dans une grande entreprise (ce sont elles avec qui nous travaillons généralement en tant que consultant et organisme de formation) dans les services du type nettoyage industriel ou sécurité (des centaines de milliers de personnes travaillent dans ces services et nous ne les rencontrerons pas non plus sur les forums évidemment ).

Comment s’y prendre pour demander son DIF quand on gagne le SMIC et qu’on est ouvrier non qualifié ?

Admettons que nous suivions le cheminement d’une personne écrivant et lisant correctement le français (en oubliant donc le 1/3 des salariés de ce secteur qui sans aide ne peuvent même pas remplir un formulaire). Nous partons du principe que le salarié est dans une entreprise qui ne lui facilite pas sa demande de DIF (la majorité encore des entreprises)

  • connaître son nombre d’heures de DIF Pas toujours évident puisque certaines (rares) entreprises n’ont pas toujours communiqué les compteurs (notamment un groupe dans la grande distribution avec 13 000 personnes !)
  • Comprendre ce que signifie par exemple « DIF=26 »  Des heures, des jours, un prix, un indice, une cotisation ? La fiche de paie française est la plus complexe et illisible du monde et la plupart des salariés ne regardent que la dernière ligne de cette fiche (ce en quoi ils ont tort)
  •  Savoir (ou réfléchir) à ce dont on a besoin pour compléter sa formation ou combler des manques. Assez facile pour un cadre ou une technicien mais bien plus difficile quand on a quitté l’école (sur un sentiment d’échec) il y a 20 ans.
  • Trouvez un organisme de formation qui vous écoutera (durant vos heures de travail évidemment), comprendra votre demande, vous conseillera et réalisera un devis ou une proposition de formation (mais sur quelle base tarifaire, quelles modalités pédagogiques, quels lieux de formation, quel temps de formation ?). Il y a 50 000 organismes de formation en France, sans Internet et une bonne pratique des communications téléphoniques il est presque impossible d’obtenir une réponse fiable sur ce point en moins d’1/2 journée de recherche active.
  • Trouvez le bon interlocuteur dans l’entreprise pour transmettre sa demande. Sur quel formulaire ? à qui ? (manager de terrain, service RH, service formation, direction, siège régional, national ….)
  • Transmettre sa demande par LRAR (ou contre un reçu daté et signé)
  • Attendre un mois sans souvent connaître la politique DIF de l’entreprise, les priorités de la branche, l’existence d’un accord d’entreprise, les formations existant dans le plan, les différences entre le plan de formation et le DIF
  • Recevoir une réponse négative (souvent) ou positive (parfois) dont on ne sait que faire ni comment la traiter
  • Partir enfin en formation si l’on a passé victorieusement par toutes ces étapes. Renouveler l’expérience tous les ans et garder une très forte motivation (pour 20 h de DIF, rappelons le !)

Comme nous l’avions démontré précédemment les entreprises ont joué de la complexité, du manque de transparence des démarches et des files d’attente pour décourager leurs salariés non qualifiés de se former.

Encore faut-il comprendre que la situation examinée ici est celle de travailleurs en CDI, mais pour les CDD c’est bien pire encore (il leur faut passer une douzaine d’épreuves autrement plus redoutables puisque l’employeur (du moment) est censé faciliter et soutenir la demande d’un salarié qu’il ne verra plus dans un ou trois mois.

En 2008, dernière année connue, 422 salariés en CDD ont pu réaliser un DIF soit un taux d’environ 1 pour 5 000 personnes !

Les syndicats auraient pu et jouer un rôle de médiateur et de facilitateur dans les entreprises privées. Ce ne fut guère le cas pour des raisons qu’il serait trop long d’énumérer ici (faible représentativité et représentation, manque de dialogue social, méconnaissance de la formation, méfiance traditionnelle envers la formation de la part d’organisations ne voulant pas contribuer à plus ou mieux produire….)  

Notre pays se retrouve donc avec un passif d’un milliard d’heures de DIF(bien plus en fait car dans les administrations la situation est similaire ) non réalisées et une belle marmite sociale dont le couvercle pourrait bien sauter dans les mois qui viennent.

 

Didier Cozin

Auteur des ouvrages "Histoire de DIF" et "Id-Reflex DIF"



2 réactions


  • philmar 8 mars 2010 15:08

     « méfiance traditionnelle envers la formation de la part d’organisations ne voulant pas contribuer à plus ou mieux produire….)  »

    Une grosse partie du problème est posé .
    Encore et toujours la lute des classes.

  • Yohan Yohan 8 mars 2010 19:42

    Les travailleurs non qualifiés sont aussi les moins informés sur leurs droits, il n’utilisent qu’exceptionnellement leur droit au CIF contrairement aux cadres qui savent mieux en tirer parti, alors le DIF (mal foutu) n’en parlons pas. De plus, demander une formation, c’est quelque part détérer la hache de guerre dans le contexte actuel. Les gens sont plus préoccupés par leur maintien dans l’emploi, la formation passe en ce moment au second rang de leurs préoccupations.


Réagir