Prix de l’eau potable en France : leçons de Taïwan
Des agences de l'ONU aux opinions publiques du monde entier, tous sont d'accord pour considérer que l'eau potable n'est pas une marchandise, mais un bien naturel collectif indispensable à la vie humaine, animale et végétale.
Pourtant, cette reconnaissance du caractère collectif, public, nécessaire à la vie est dans de nombreux pays une position verbale sans conséquence pratique puisque l'eau potable y est, soit considérée comme un produit marchand privé, soit inaccessible faute de structures techniques suffisantes.
Afin d'étudier de plus près des situations différentes partant d'une déclaration commune d'intention orale, nous présentons ici un comparatif instructif sur le prix de l'eau potable entre deux Etats développés : la France et Taïwan.

Différences de prix et de mode de gestion entre la France et Taïwan : faits et chiffres instructifs
Afin de comparer ce qui est comparable, nous ne nous occuperons que du prix de l'eau potable toutes taxes incluses dans les deux pays.
En France, il n'existe pas de société nationale des eaux potables, puisque le captage, le transport, le traitement et la distribution de l'eau sont placés sous la responsabilité des communes ou des entités intercommunales.
Les communes ou entités intercommunales peuvent se regrouper, soit en syndicats de gestion publique, soit déléguer à des sociétés privées ce service public selon la loi française. D'où une moyenne nationale tarifaire qui cache des différences ahurissantes qui vont du simple au triple !
A Taïwan, l'eau, considéré comme bien public national, est sous la responsabilité de l'Etat qui a créé pour cela TWC, Taïwan Water Corporation, ou société des eaux de Taïwan, entreprise d'Etat. Là où l'Etat ne peut pas encore fournir l'eau potable (régions de montagnes à éboulements récurrents), les communes s'y sont substituées en assurant un service de gestion municipale directe.
Quelques chiffres et de faits sont à retenir d'emblée après cette brève entrée en matière :
En France, en 2011, selon les sources les plus autorisées, le prix moyen de l'eau potable au m3 est de 1,75 euros. (l'assainissement est ici bien laissé de côté), mais le tarif varie de 1,10 euro à plus de 3,30 euros selon les communes et le mode de gestion en vigueur !
A Taïwan, sous la gestion de TWC, le prix moyen TTC de l'eau au m3, frais de maintenance et taxes incluses, varie selon le barème suivant pour les particuliers :
10 m3 par mois avec un tuyau de 13 mm : 91,35 NT$ ou environ 2,01 euros
20 m3 par mois avec un tuyau de 13 mm : 216,85 NT$ ou environ 5,05 euros
10 m3 par mois avec une canalisation de 20 mm : 109,20 NT$ ou environ 2,20 euros
20 m3 par mois avec une canalisation de 20 mm : 224,70NT$ ou environ 5,10 euros
Ainsi, une facture du bureau de la TWC pour un logement sis à Chenggong (ville moyenne de 30000 habitants) montre un total TTC de 216,85 NT$ pour 20 m3 de consommation, soit environ 5 euros pour le mois de novembre 2011.
Dans les communes où TWC ne peut intervenir, les mairies ont établi des programmes de tuyaux souples prélevant l'eau de source des montagnes pour alimenter les villages isolés. Là, on ne paie pas au m3, on paie une contribution forfaitaire pour les installations, leur construction et leur entretien (coûteux du fait des pluies, des typhons et des tremblements de terre) à la mairie qui, en général, selon les lieux, varie de 150 à 250 NT$ par mois, soit de 3,90 euros à 6 euros. !
Ainsi, consommer 20m3 d'eau potable à Taïwan, pays où les installations des eaux sont soumises à de terribles et onéreuses contraintes climatiques, géologiques et sismiques, coûte environ 5 euros contre environ de 22 euros à 66 euros en France, selon l'endroit, le tout sans typhons, tremblements de terre et glissements de terrain gigantesques !!!
Pour les lecteurs qui auraient des doutes sur la réalité de nos informations, chose bien légitime, ce lien permet de visualiser les tableaux tarifaires de TWC . Le premier tableau indique le prix selon le nombre de m3 par mois ou par deux mois-ligne du dessous, taxes incluses. Le deuxième tableau fixe par mois ou par deux mois le tarif de maintenance en fonction du diamètre de la canalisation du logement.
http://www.water.gov.tw/04service/ser_c_main.asp
Quelles raisons à de tels différentiels tarifaires ?
Il existe plusieurs facteurs contradictoires qui tendent à expliquer -pas à justifier- ces écarts de prix énormes.
Ecartons d'abord l'argument des frais généraux et des charges incompressibles : les salaires et charges des employés de TWC sont comparables en équivalent monétaire international (parité des monnaies), avec ceux des employés français de la même branche professionnelle, même si leur pouvoir d'achat est bien supérieur, ce qui est un autre problème.
En France, les charges techniques réelles sont le captage, le transport, le traitement et la distribution de l'eau. Il en est de même à Taïwan. En France, les frais d'entretien des réseaux, parfois longs, sont importants. A Taïwan, outre leur entretien, il faut y ajouter des réparations urgentes quasi-permanentes, sauf en milieu urbain.
Donc, sur un plan général, il existe une certaine équivalence des obligations inévitables pour les opérateurs tant français que taïwanais.
La politique de captage de l'eau peut expliquer des variations : en France, elle est essentiellement basée sur les prélèvements faits sur les cours d'eau, les réserves aquatiques et les nappes phréatiques. Ainsi, les coûts de captage et de transport sont accrus, sans éviter parfois les manques en saison sèche.
A Taïwan, TWC a construit, avec l'Etat, dans tout le pays, de vastes lacs-réservoirs qui permettent de stocker l'eau, lacs-réservoirs étant reliés à un système national centralisé des conduites.
De ce fait, les coûts de captage et de transport sont aussi centralisés, bien répartis et allégés, car les installations, disséminées en France en petites unités onéreuses, sont ici énormes, donc importantes, rentables et bien surveillées par des moyens technologiques modernes. De plus, ces lacs-réservoirs génèrent des ressources financières via le tourisme qu'ils attirent.
Alors, d'où proviennent encore ces différences plus que substantielles de prix pour la population ?
En premier lieu, ce qui fait au sens propre la différence est le mode de gestion.
En France, il est en majorité privé ou régi selon des normes de l'économie de marché, avec des actionnaires exigeant des retours suffisants à leurs yeux sur leurs investissements. Pour aggraver le mal, le système est décentralisé, avec des structures petites et lourdes, ce qui laisse la porte ouverte à des dérives et scandales ici et là, avec des frais énormes pour de petites structures.
En plus, l'Etat ne protège pas en France les intérêts des consommateurs sur le prix fixé par les organismes publics ou privés sous délégation de service public. Bref, en France, l'eau est avant tout une marchandise sur laquelle il faut réaliser des marges importantes, sans parler des taxes communales et autres.
A Taïwan, la gestion étatique de l'eau a divers avantages : la gestion centralisée et planifiée de TWC offre la possibilité d'équilibrage incessant des dépenses entre les secteurs géographiques, les zones urbaines étant les moins onéreuses, mais celles qui, du fait de leur consommation massive, apportent le plus de ressources financières. TWC joue le rôle d'un organisme de péréquation en faveur des habitants du pays, avec un prix EGAL au m3 pour chacun !
L'obligation légale de devoir assurer un prix bas, fixé et réglementé, oblige à l'efficacité technique permanente et au contrôle strict des comptes, à l'instar de ceux de l'Etat auquel TWC est rattachée. La corruption ne peut s'y faufiler car les mécanismes de gestion publique, avec en arrière-plan la menace de la sanction pénale et/ou électorale pour les dirigeants politiques et les gestionnaires, assurent un contrôle gestionnaire efficace et rigoureux. TWC ne paie pas des élus, seulement son personnel.
En France, le prix de l'eau bénéficie d'abord à un secteur privé à la gourmandise sans limites légales déterminées. En plus, les communes et leurs regroupements se servent de la gestion de l'eau pour alimenter aussi leurs budgets propres avec des taxes dont elles décident librement.
A tout cela se rajoutent les indemnités versées aux élus chargés de la gestion ou du contrôle de la gestion de l'eau. Voilà comment un prix peut se multiplier, au détriment des consommateurs et des ressources en eau du pays.
A Taïwan, l'eau, comme l'électricité, est vue comme un bien public, mais aussi comme un moyen de propulser l'économie et le développement du pays via l'Etat. En effet, l'eau -comme l'électricité- fournie aussi aux entreprises du pays leur permettent, avec des coûts très bas, de favoriser des prix de revient, donc de vente bas sur le marché intérieur, mais aussi mondial.
En France, la privatisation de l'eau, comme de l'électricité, a conduit à un étouffement supplémentaire de l'économie, avec des dérives notables et coûteuses à la société.
Conclusion générale
Si on se place du point de vue du citoyen-consommateur, mais aussi du point de vue des entreprises utilisatrices d'eau non-potable en masse, il est évident qu'une entreprise d'Etat centralisant et pouvant équilibrer les tarifs avec une politique de captage, de transport et de traitement fondé sur des unités de production plus grosses et concentrées à partir de lacs-réservoirs importants confère des avantages substantiels sur plusieurs plans.
Certes, en France, pays où les petits pouvoirs locaux sont influents et ont pris l'eau comme une ressource financière avant d'en comprendre le caractère public prioritaire, doter le pays d'une politique de l'eau cohérente, globale, intelligente et profitable à toute la collectivité demeure un défi majeur.
En ce sens, l'exemple de TWC à Taïwan, et de la gestion directe par les mairies dans les zones géologiques instables, est une référence qui peut susciter une réflexion large en vue de mettre la préservation au meilleur coût pour tous des ressources déclinantes en eau potable.
Si, à Taïwan, des politiques réfléchis, s'appuyant sur un corps d'ingénieurs et de géologues aussi qualifiés qu'efficaces, ont pu assurer au pays, à sa population, à ses industries l'eau, potable ou non, à bon marché, le tout dans des conditions physiques difficiles, et avec une géographie compliquée, la question se pose de savoir si, pour la France, les nécessités du moment en eau potable ne sont pas l'occasion de construire enfin un système national pour l'eau potable, avant que les intérêts privés égoïstes, la corruption et les baronnies locales désuètes autant que coûteuses n'aient ruiné les réserves en eau du pays, en rendant de plus son prix EXORBITANT dans une société civilisée.
Nota bene
Pour les lecteurs anglophones voulant en savoir plus sur TWC, sa gestion, ses données comptables, ses mécanismes de contrôle public, suivre ce lien en anglais qui donne une idée de la vraie transparence des informations :
http://www.water.gov.tw/eng/index.asp
Dans un prochain article, nous évoquerons le prix du kw/h fourni aux citoyens de Taïwan par la société d'Etat Taiwan Power Company (appelée ici par tous Taipower) et le prix donné par EDF privatisé en France, avec la myriade de taxes et de contributions qui ne cesse de s'allonger. Là aussi, la comparaison est ravageuse pour les choix publics faits par les autorités.