lundi 7 novembre 2005 - par Laurent Bervas

Quand les jeunes se vengeront

Les flambées de violence qui font aujourd’hui les gros titres sont dramatiques. Une partie de la « jeunesse » a, en quelque sorte, décroché du système, et semble incontôlable.

Est-ce que cette violence débordera un jour des banlieues ? Est-ce que ce malaise n’est pas finalement emblématique de la jeunesse et de la société en général ?

Une phrase m’avait interpellé il y a quelque temps. Pascal, un copain âgé de 28 ans et diplômé d’une école d’ingénieur : « Vous savez, avoir un pavillon en banlieue, un 4x4 ou une bonne retraite, ça ne me fait pas rêver, de toutes façon je pense que je n’aurai rien de tout ça  ».

Je me suis souvenu, à ce moment, d’une autre phrase entendue lors d’un repas. Marc se posait la question « Je ne sais pas comment on s’enrichit en France, je voudrais bien savoir ». Il avait la quarantaine, lui et sa femme travaillaient dans un grand groupe international. Malgré des revenus confortables et une situation enviable, il avait une inquiétude sur sa retraite, celle de ses enfants. Si eux se posaient cette question, qu’en était-il de tous les autres  ?
Quand la « haute bourgeoisie » commence à douter, on peut se demander sur quoi repose le système (politique)  ? Peut-être qu’il ne repose aujourd’hui que sur la peur, la peur du vide, la peur du chaos.

L’interrogation de Marc illustre « la fatigue des élites », la « révolte de la classe moyennes », dossiers régulièrement repris dans les news magazines français. Le livre d’anticipation Millénium People (2) est souvent cité en exemple. Il raconte «  le soulèvement des classes moyennes d’un quartier cossu de Londres. Menacés par le chômage, pris en étau entre la pression des clients et celle des actionnaires, ces hommes et ces femmes se considèrent comme les nouveaux prolétaires du XXIe siècle et fomentent des attentats contre les symboles d’une société de consommation à laquelle ils ne croient plus » (L’Expansion, du 27/04/05).

Je pense cependant que la vraie rupture est à chercher ailleurs. Les cadres, les membres des professions libérales qui ont passé la quarantaine continueront malgré tout à soutenir le système. Ils ont en quelque sorte « mis le doigt dans l’engrenage  », et ont le sentiment qu’ils ont plus à perdre si le système s’écroule. A mon sens la fracture est générationnelle. Ce sont les autres, ceux qui viennent après, qui décrochent comme Pascal. Eux, ils n’ont rien à perdre.

La télévision et les news magazines en parlent peu, car ce n’est pas leur public. Il faut aller chercher du côté de la presse pour « jeunes ». Dossier intitulé « 27 ans, BAC + 5 et toujours stagiaire », dans Glamour. Portraits de jeunes, presque trentenaires : Gabrielle, 27 ans, diplômée de Dauphine + DESS de finance, 24 mois de stages avant de décrocher un job.

Il y a un tabou autour de cette situation : les écoles défendent leurs fonds de commerce et les entreprises ne se vantent pas de tourner avec des stagiaires. Si la situation n’est pas nouvelle, j’ai le sentiment qu’elle se dégrade. Juan, un ami en recherche d’emploi, me disait recevoir aujourd’hui principalement des offres de stages, alors qu’il y a un moins d’un an, il répondait encore à de "vraies" annonces.

Alors peut-être que les jeunes se vengeront un jour  ? C’est en tout cas le titre d’un article signé par Marc Ulmann (3)  :

Combien de temps accepteront-ils d’ « acquitter des cotisations sociales qui, d’après des statistiques récentes, vont pour les trois quarts aux plus de 60 ans. Or, ces « vieux » ont un niveau de vie supérieur à la moyenne nationale et détiennent les trois quarts de l’ensemble du patrimoine. »

Les jeunes auraient déjà eu motif à révolte l’année dernière, lors de la préparation de la «  réforme » sur les retraites. La « concertation » réunissait des ministres, des syndicalistes, des fonctionnaires et autres personnalités qui, en moyenne, avaient plus de 50 ans. Or le sujet de la discussion pouvait se résumer en une phrase : « Comment faire payer durablement par les jeunes la retraite de vieux dont le nombre ira croissant ? ». Nul doute que si les jeunes avaient eu leur mot à dire, ils auraient amendé notre système par «  répartition » en arguant que la « solidarité intergénérationnelle » ne peut pas être à sens unique.

Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est qu’un diplôme d’école de commerce ou d’école d’ingénieur n’est plus un gage de réussite. Beaucoup de ces jeunes diplômés qui pensaient faire partie de l’élite se sentent aujourd’hui exclus.

La révolution, si elle a lieu, trouvera facilement ses soldats et ses généraux. Quand les enfants de la bourgeoisie doutent, on peut se poser la question : combien de temps cela peut-il tenir ?

MAJ :
Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos. Il ne s’agit pas d’entretenir un "jeunisme" béat, car le chômage des séniors est tout aussi scandaleux. Si j’insiste sur la désespérance des trentenaires, c’est que c’est de là que viendra probablement la rupture.


(1) James Graham Ballard denoël -
(2) Remarquons que cette situation n’est pas spécifique à la France : en Espagne le livre devenu best-seller «  Beaux et pauvres » décrit une situation similaire.
(3) Source : le club des vigilants 20 septembre 2005


5 réactions


  • Rage (---.---.120.224) 7 novembre 2005 11:44

    Bonjour,

    Je suis l’un de ces jeunes de 24 ans, diplômé Bac+5 actuellement en situation précaire puisque je travaille dans une petite structure où je suis payé 993€ nets/ mois (SMIC).

    Mon pseudo veut tout dire. Oui j’en ai vraiment marre d’être pris pour un con. Oui j’en ai aussi raz le bol de toujours prouver à l’un ou à l’autre que j’ai le niveau (j’ai mon DESS mention Bien). Oui j’en ai marre de voir que l’on ne peut pas décoller dans ce pays où le « modèle social » est une excuse pour ne pas payer les diplômés et toujours faire les cadeaux aux mêmes issus d’une génération qui a connu le plein emploi, le béton et l’argent. Oui j’en ai marre de voir des retraités partir avec 4000€/ mois de retraites alors que je n’arrive même à trouver un emploi et qui plus est au mieux payer 1300€. Oui j’en ai marre de voir que le talent ne paye pas et que seuls les cheveux blancs soient considérées comme un facteur de valorisation de salaire.

    Bien sûr que je comprends le malaise des « cités » même si je condamne les méthodes et une partie de ceux qui foutent le feu aux bagnoles de leurs voisins. Mais parmi ceux-là, n’y a t’il pas aussi des gens qui en ont plus que plein le dos que de ne jamais pouvoir s’élever socialement ? Des gens qui en ont aussi assez de devoir « s’intégrer », respecter et faire des efforts ?

    Si moi, diplômé de DESS, j’en ai marre de tout cela, que peuvent penser des gens qui sont dans des situations « pires » que la mienne ?

    Alors oui, notre génération est précarisée, pompée par une partie de « séniors » qui veulent terminer leur travail de sappe de l’Etat. Nous devrions manifester (retraites, sécu, etc..) mais que faire quand on nous musele par la pression de ne pas trouver de boulot, par le fait de ne plus être dans les clous ou de ne pas faire plaisir à tout le monde ? Que faire quand une partie des jeunes ne se rend pas compte de la situation ou sinon trop tard et au pied du mur ?

    Je ne sais pas, mais une chose est certaine, un jour, ce sera bien à nous d’affronter nos responsabilités.

    Et ce jour là, peut-être que nous n’oublierons pas les « galères » dans lesquels nous avons été plongé par l’incompétence profonde de nos « dirigeants ».

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  • colza (---.---.185.95) 7 novembre 2005 14:36

    Ne mettez pas tous les retraités dans le même panier. Il y a 40 ans que je travaille, que je cotise à un régime de retraite et à une complémentaire et que je vais probablement ne pas avoir plus de 800/900 euros par mois. Croyez vous que je n’en ai aussi « gros sur la patate ».

    Ceci mis au point, je suis d’accord avec vous pour dire que la situation des jeunes diplômés (et des jeunes en général) n’est pas des plus faciles.


  • Rage (---.---.120.224) 7 novembre 2005 17:03

    Je ne mets pas tous les « vieux » dans le même panier évidemment. La canicule en est une très bonne illustration.

    Disons pour « résumer » qu’un morceau de la génération « baby-boom » a non seulement torpillé ses homologues (les séniors actuels), la génération suivante (55/65) et s’affaire actuellement a laisser pourrir la situation de ses propres enfants ou petits-enfants.

    Cela rejoint parfaitement une conception suivant laquelle 10% des gens concentrent 90% des richesses pendant que les autres travaillent (quand ils en ont un !) au SMIC et cotisent pour des retraites dorées. Pour mettre en avant la phrase de mon buraliste (c’est pour dire) : « Nous travaillons pour que les autres puisse vivre sans travailler ». A chacun d’y entendre sa réalité...


  • julialix (---.---.116.210) 7 novembre 2005 22:58

    Les retraites Vaste problème !!!

    Je reve d’un livre qui mette tout à plat : le salaire de début de chaque profession ou corps, le salaire de fin de carrière puis la retraite.

    La France est un pays à deux vitesses : il y a les fonctionnaires d’un coté et les autres. La France est un Eldorado qui n’a plus les moyens et il faut faire des économies pour conserver la plus grande partie de nos acquis. Bien ! Mais pourquoi ce sont toujours les memes qui se serrent la ceinture ?

    La SNCM puis les transports marseillais qui font grève jusqu’à plus soif, prenant les petites gens allant travailler en otage, conbien cela coùte par jours ces petites conneries et combien de petites PMI cela met en faillite. Peut importe puisque ces fonctionnaires ou assimilés ne peuvent etre débauchés pour leur audace.

    Et toujours pour ces entreprise d’état ou assimilées combien de pourcentage de stagiaires non rémunérés ont-ils dans leurs rangs ?

    Les jeunes d’aujourd’hui sont désabusés et amers ! Il y a de quoi quand on voit l’égoisme de certains.

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  • FWM (---.---.9.14) 8 novembre 2005 13:21

    TIREZ SUR LES AMBULANCES

    Ce pourrait être le titre d’un film mais je crois qu’il ne faut pas tout mélanger, les casseurs des banlieues ne sont pas tous les jeunes, et certains de ces casseurs gagnent plus en une journée que certains cadres supérieurs en raison d’une économie souterraine fondée sur les trafics et la drogue. On ne peut donc pas extrapoler à partir de ce qui se passe dans les cités pour expliquer tous les maux de la jeunesse et de la société française. Le problème c’est qu’aujourd’hui des gens qui par exemple écrivent des bouquins minables ou anecdotiques ont plus de couverture médiatique que des prix nobels qui font vraiment avancer la société. Le problème c’est qu’aujourd’hui il vaut mieux passer à la « Star’Ac » que d’avoir fait des études pour jouir d’une certaine reconnaissance (en ce sens les casseurs ont raison de vouloir passer à la Télé). Le sacro-saint « Vu à la Télé » est l’élixir de toutes les réussites, le nouvel ascensceur social au contraire de l’école et de l’université. Ceci posé, les retraités n’ont rien à voir la dedans, et les insuffisances de la société n’excusent pas et justifient moins encore les actes de barbarie et de sauvagerie inouie de la racaille des cîtés.

    Les cités ne sont pas non plus des favellas et agresser parce qu’on a rien à manger peut encore se comprendre mais ce n’est pas la même chose que d’agresser pour un portable ou tuer pour un appareil photo, lorsque l’on vit dans un logement social. Or ces individus portent souvent « de la marque », disposent de téléphones portables dernier cri et bien souvent de véhicules largement hors de portée des honnêtes gens (dont ils brulent les véhicules). Il faut donc aussi nuancer la pauvreté des cités car certains avancent que l’ économie souterraine localisée dans ces territoires représenterait entre 15 et 20 % du PIB en France (à vérifier cependant).

    De la même façon, ceux qui fustigent la société de consommation pour expliquer les violences actuelles et le brigandage font fausse route car certains pourraient tout aussi rétorquer que l’islam radicalise les frustrations. Certains avancent aussi en guise d’explication les séquelles du colonialisme, or ni la Hollande, ni la Belgique qui connaissent dans une large mesure des problèmes comparables avec leurs communautés musulmanes, n’ont eu de colonies en Afrique du Nord. De plus, combien de temps encore les jeunes générations de part et d’autre des communautés vont elles se voir ressasser des faits historiques dont elles n’ont souvent aucune idée et qui ne les concernent pas. Or de telle explications intellectuellement séduisantes et si françaises ne résistent pas une seule seconde à la situation à laquelle nous sommes confrontés et ne font pas avancer les choses. Le vrai problème commence par par l’éducation dès le plus jeune âge . Les parents sont les vrais responsables en laissant sortir de jeunes adolescents dehors à l’heure ou ils feraient mieux de bosser leurs devoirs. AInsi progressivement, l’enfant roi (souvent mâle) qui impose sa tyrannie à ses proches devient au fur et à mesure le voyou qui terrorise le quartier et s’arroge le droit de violer en bande pour finir en gangster qui tire sur les ambulances (les pompiers).

    Ne laissons pas les partis extemistes de tous bords s’emparer des vrais thèmes de sociétés que sont les conflits de valeurs entre communautés afin de pouvoir refonder un vrai contrat social qui nous permette de continuer à vivre ensemble dans l’harmonie et le respect mutuel.

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