samedi 3 septembre 2011 - par cti41

Rapport d’évaluation de la Loi relative au rattachement de la Gendarmerie au ministère de l’Intérieur : une démonstration d’auto-congratulation

Les deux parlementaires missionnés pour rendre ce rapport n’ayant pas jugé utile de répondre aux courriers qui leur ont été adressés par l’Association Gendarmes et Citoyens, c’est dans les 43 pages de ce compte rendu qu’il nous appartient de mesurer le poids qu’ils accordent à nos observations. Ayant eu l’occasion de lire des réponses à divers questionnements formulés aux membres du gouvernement ou aux parlementaires, les arguments particulièrement « passe-partout » habituellement employés n’auraient su nous satisfaire.

Pour remplir leur mission les deux parlementaires ont rencontré de hauts responsables de la Gendarmerie, de la Police, du ministère de l’Intérieur et de la Défense. Ils ont entendu les témoignages de deux officiers supérieurs impliqués dans la conception de la Loi de 2009 dont M. le Député Moyne-Bressand était le rapporteur. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Ils ont répondu aux sollicitations des syndicats Alliance et SNOP de la Police Nationale ainsi qu’une personne chargée de recherches sur les problématiques de défense et de sécurité militaire qui reste anonyme. Les autres associations touchant la Gendarmerie ne sont manifestement pas concernées.

S’agissant de l’étendue géographique de l’enquête on se rend compte qu’en dehors de la zone de défense de Metz, des régions Poitou-Charentes et Midi-Pyrénées les deux parlementaires se sont « déplacés » au niveau départemental dans l’Aveyron, dont Mme Escoffier est Sénatrice et dans l’Isère dont M. Moyne-Bressand est député. Le tout a été couronné par leur présence à deux cérémonies de sorties d’école des lieutenants de police à Cannes-Ecluses et officiers de Gendarmerie à Melun.

On ne saurait reprocher aux deux parlementaires de ne pas avoir rencontré plus de personnes concernées sur une zone plus large car le délai imparti, un peu plus de deux mois pour rendre « leur devoir », était particulièrement court ce qui pourrait laisser penser à un manque d’intérêt réel pour le sujet.

L’introduction pour la présentation du rapport est claire : « La mission a été confortée dans la conviction qui était la sienne de la bonne adaptation de cette loi à une évolution majeure de la Gendarmerie. »

 

Loi du 3 août 2009 entre opportunité et pugnacité :

La réforme était-elle inéluctable ? Oui car il faut conjuguer modernité et richesse de la tradition (on quitte les brodequins à clous et on garde les casernes).

Non si on se réfère aux valeurs et principes symbolisés par l’insigne de l’arme.

La loi « défendue » est un moyen terme entre tradition (des militaires soumis et silencieux) et modernité (mutualisation des moyens performants mis en place depuis longtemps).

S’en suit une explication de texte destinée à faire admettre (ou croire) que cette nouvelle politique initiée dans la « subtile alchimie de la Loi inspirée par le livre blanc de la défense et de la sécurité  » doit permettre un grand renforcement de la sécurité voulue par le chef de l’Etat.

On nous annonce tout de suite que « la préparation du budget 2008 a eu un effet détonateur pour imposer le principe du rattachement de la Gendarmerie au ministère de l’Intérieur  ». On en est plus à l’efficacité mais au problème d’argent. La Gendarmerie avait « Tout à gagner » au rattachement, parent pauvre de la Défense elle devenait fille gâtée de l’Intérieur. Le rapport n’hésite pas à se contredire en parlant d’un « rebasage de son budget, certes insuffisant qui la met en difficulté mais la place au niveau de la police ». Traduction : « Ce n’est pas pire que si c’était plus mal ».

S’agissant d’un débat interne aux armées nous avons droit à du « grand art ». Après avoir souligné combien les textes anciens avaient codifié l’organisation et le service de la Gendarmerie, on nous ressort les mini-révolutions de 1949, 1989 et 2001 pour dire qu’elle a entraîné, par son comportement, le « rejet et l’exaspération de la part des autres militaires, d’où un divorce dans la famille militaire effaçant les obstacles au rattachement à l’intérieur » la Loi de 2009 apportant l’apaisement avec les autres militaires. Je suppose que celui qui a écrit ça a du sourire en lisant dans le reste du rapport qu’il faut à tous prix maintenir la militarité de la Gendarmerie.

Viennent ensuite des paragraphes destinés à donner du sens à ce rattachement. On y trouve le symbole donné par la présence d’un policier et un gendarme à la grille de la Place Beauvau ; La cohabitation géographique des deux directeurs gendarmerie et police à proximité du ministre de l’Intérieur leur permettant de « s’apprivoiser  » mutuellement ; Le gain de temps pour pratiquer la « réunionite » ; On trouve un éclair de lucidité lorsqu’on lit que « la RGPP, dont la vocation première était de rationaliser les organisation administrative pour un meilleur service, a été détournée pour n’être plus qu’économie budgétaire  ». Nous passerons sur l’autocongratulation comme sur le calendrier de présentation des Lois et décrets (qui ne sont pas encore tous promulgués). Tout ceci n’est pas le souci du gendarme de base, pas plus que celui du citoyen qui tient à sa sécurité. Le paragraphe se termine en faisant valoir la détermination absolue des plus hautes autorités des deux forces qui ont « réussi le triple défi sécuritaire, budgétaire et identitaire provoqué par la Loi de 2009  ». On a juste oublié l’humain, il y a peu de temps encore on pouvait lire « Gendarmerie une force humaine » est-ce encore d’actualité ?

 

Politique de sécurité, réponses opérationnelles qui renforcent l’efficacité de l’action de l’Etat :

Nous devons prendre acte qu’il est reconnu que sur le terrain police et gendarmerie ont appris, avant la Loi, à travailler ensemble et entretenir des relations qui pouvaient ne pas être conflictuelles. 

Concernant la territorialisation et la mise à disposition des Préfets en conservant la chaîne hiérarchique, les problèmes de subordination et les relations d’autorités, la mission n’a pas trouvé de solution et il est probable que longtemps encore il existera une défiance des uns à l’égard des autres avec des abus d’autorités.

S’agissant de la police judiciaire il est dit que les magistrats conservaient le libre choix des services chargés d’une enquête. J’ignore si les magistrats de Paris ont été consultés, eux qui ne voient plus les gendarmes qu’en temps que chargés d’escortes. Toujours sur le même sujet il semblerait que les magistrats soient satisfaits des réunions de coordination des divers services, comme si elles n’existaient pas avant 2009. Il apparaît que l’autorité préfectorale s’immisce parfois dans le rôle judicaire.

 Un petit paragraphe tente de justifier l’abandon de la réquisition en maintien de l’ordre en précisant que le Préfet n’avait plus lieu de requérir puisqu’il est maintenant responsable de l’organisation et de l’emploi des forces de sécurité.

 Le ministère de l’Intérieur et les directeurs généraux ont en charge « la construction d’une organisation rassemblée, cohérente et forte de ses différences ». Très jolie formule dont la mise en application ne serait pas simple si, en définitive, tout n’était pas sous l’autorité des Préfets. On constate que chaque département gère ses problèmes sous l’autorité des Préfets et qu’ensuite les retours d’expériences sont adressés aux directions qui ont en charge de les « acter ». Tout ceci grâce à une coopération opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires (circulaire CORAT). Les GIR existaient on les départementalise à Grenoble, les UTEQ, les UMIR et d’autres structures ont été créées. Nous pouvons nous interroger sur leur efficacité dans la mesure où elles ne semblent pas vouloir se généraliser. S’agissant des réunions ouvertes à de nombreux intervenants elles ont tendance à se multiplier mais semblent entraîner des craintes sur des indiscrétions inopportunes.

 Le principe de coordination opérationnelle étant posé arrive l’évocation de la mise à disposition des moyens pour éviter à l’un ou l’autre service d’avoir à s’en doter. Si une complémentarité des laboratoires centraux (équilibrée ou non) est acquise on sait pertinemment qu’en matière de moyens aériens, nautiques, cynophiles, police technique, véhicules spécifiques et motocyclistes, la gendarmerie en est largement pourvue ce qui représente un gros investissement sur son budget. Il ne faudra donc pas s’étonner de voir une mutualisation déséquilibrée.

 Différentes structures ont été créées à grand renfort de sigles, l’une ou l’autre n’en est pas toujours satisfaite estimant qu’on lui retirait des prérogatives, la mission reconnaît que ces spécialisation devront être éprouvées et aménagées dans le temps. Certaines uniformatisations sont envisagées mais on peut douter de leur efficacité quand on sait que dans un même service elles sont parfois difficiles à mettre en place. On connaît également avec quelle réticence un service de renseignement unique chapeauté par la police est venu perturber l’institution Gendarmerie. La mission a mis le doigt sur ce problème sans prescrire de remède. Il est probable que dans certains secteurs on ait conservé, discrètement, un service de renseignement opérationnel.

La mutualisation de grands services ou des passations de marchés publics n’amènent pas de remarque particulière.

 

Entre confiance et méfiance :

La parité est évoquée par la mission, il s’agit d’une évolution constante et si la police dispose de puissants syndicats pour défendre les intérêts de leurs adhérents les gendarmes sont bien loin d’y parvenir. A noter que s’agissant des grilles indiciaires on se souvient brusquement de l’appartenance de la Gendarmerie à l’armée avec la crainte qu’en cas d’obtention d’avantages salariaux les militaires ne revendiquent les mêmes. Les passerelles statutaires, pour aller d’un service vers l’autre, sont évoquées. A notre avis il ne s’agit pas d’une mesure significative mais d’une opération marketing pour faire admettre le rapprochement forcé. Les candidats retenus sont peu nombreux et il faudra attendre encore plus d’une année avant de connaître les résultats.

L’évocation des structures gendarmerie ne doivent pas intéresser outre mesure les militaires des unités de base, encore moins les réorganisations au niveau de l’administration centrale, à proximité du ministre.

Les réductions de budgets sont évoquées et la mission admet « qu’elles limitent singulièrement toute ambition d’entreprendre de grands changements de même que le domaine de l’immobilier est sévèrement touché ». Nous pouvons lire que la seule consolation de la gendarmerie est de « savoir que la police ne connaît pas un meilleur sort » Il s’agit d’une réflexion totalement déplacée les problèmes rencontrés par les policiers n’ont pas de quoi consoler les gendarmes qui sont embarqués sur la même galère.

La vision de la mission concernant le dialogue interne et le dialogue social est totalement erronée. Dire que les gendarmes éprouvent « un vague sentiment de frustration » parler de « l’institution d’un dialogue permettant aux militaires de faire entendre une voix discordante par rapport à leur hiérarchie  » « Une représentation forte à l’image de celle des syndicats de police » « Une véritable réforme de la participation et de la concertation » « Ce système, s’il n’est pas symétrique de celui que connaît la police, permet de concilier dans un esprit constructif avec la hiérarchie, le principe du statut militaire et la liberté d’expression. Depuis qu’il a été mis en place la DGGN a relevé que le climat social s’en est trouvé apaisé, les militaires n’hésitant pas à formuler leurs observations sur un forum qui leur a été spécialement ouvert  » ; Ces propos son totalement faux et n’ont aucun rapport avec le sentiment éprouvé par une majorité de gendarmes. La mission le reconnaît elle-même en précisant que les gendarmes constatent quotidiennement les différences de comportement que génèrent les deux systèmes. Elle cite l’exemple de la dissolution de l’escadron de Rennes annoncée le même jour ou le ministre de l’Intérieur renonçait à dissoudre deux compagnies de CRS. Elle évoque la volonté du ministre et des directeurs de tendre vers un équilibre harmonieux, nous en prenons acte.

 On ne pouvait éviter un paragraphe sur le statut militaire des gendarmes garant du dualisme policier. La mission soulève le risque pour la Gendarmerie de perdre son âme en cas d’aménagements nouveaux de son statut. S’en suit un commentaire sur le principe de loyauté, de discipline, de disponibilité au service des citoyens et d’obéissance jusqu’au sacrifice (comme si les policiers ne partageaient pas les même valeurs). Ce paragraphe se termine par l’affirmation que « jamais la gendarmerie de s’est sentie aussi bien au milieu des armées et jamais les armées ne l’ont aussi bien acceptée ». Madame et Monsieur les parlementaires cette phrase est totalement hors de propos, aujourd’hui, mis à part les dizaines de gendarmes qui risquent leur vie en Afghanistan où dans d’autres OPEX ou ceux qui appartiennent encore à des services spécialisées les gendarmes ne sont plus des militaires à part entière même s’ils revendiquent toujours leur appartenance au métier des armes.

 L’immobilier : La mission constate des problèmes préoccupants à ce niveau, entraînant parfois un climat social fragilisé. Bien quelle reconnaisse que ce logement permet au gendarme, « même en dehors de ses heures de service, de répondre à des situations d’urgence  », elle alerte sur le fait que « la réduction du parc des logements ou son état de vétusté, s’ils devaient s’aggraver, seraient de nature à ébranler un pan du statut militaire de la gendarmerie. Il s’agit d’un enjeu primordial qu’elle tient à souligner avec gravité ».

 Les parlementaires remarquent que « dans son appartenance au ministère de la défense, la gendarmerie bénéficiait du soutien des armées à un niveau que l’intérieur n’est pas en mesure d’assumer pleinement » dont acte, ceci va dans le sens de ce que constatent chaque jour les gendarmes : une dégradation des conditions de travail et de vie familiale.

Dans sa conclusion la mission assène « ses » vérités affirmant que « la réforme s’est calmement, presque sereinement installée, les doutes sur sa faisabilité on été levés, les obstacles statutaires progressivement tombent ramenant la confiance, tant chez les policiers que chez les gendarmes ». Faire de la militarité la qualité première des gendarmes est une erreur fondamentale. Pour les militaires en général et les gendarmes en particulier ils veulent être citoyens à part entière et pas citoyens entièrement à part. Ils veulent un droit d’expression (réel) et un droit d’association professionnelle.

Dire qu’être militaire « c’est ne plus s’appartenir, ne plus appartenir à sa famille ; c’est appartenir à la Nation » est une affirmation grandiloquente digne des généraux de la grande guerre qui n’a plus rien à voir avec la réalité du vingt-et-unième siècle.


Christian Contini. Président AG&C http://sites.google.com/site/assogendarmesetcitoyens/

D’autres articles dans le magazine de l’association gendarmes et citoyens de septembre (en particulier un dossier sur les suicides en Gendarmerie).

http://issuu.com/agecassociation/docs/agec_magazine_septembre_2011_209



2 réactions


  • scripta manent scripta manent 3 septembre 2011 12:20


    Souhaitons que cet article, documenté et mesuré, contribue à faire mieux connaître la problématique du « rapprochement » de la Gendarmerie et de la Police nationales.
    Cette évolution lourde de conséquences a été décidée et mise en oeuvre avec beaucoup de discrétion et il est très probable que la plupart des citoyens français n’en ont pas vraiment connaissance.
    Qu’il y ait eu matière à une meilleure coordination entre ces deux corps, c’est fort probable. Mais il n’était pas nécessaire pour cela de placer la Gendarmerie sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et des préfets. Aurait-on voulu faire « rentrer dans le rang » une organisation prestigieuse et efficace, capable de résister aux pressions partisances des princes du moment que l’on n’aurait pas agi autrement.


  • BOBW BOBW 3 septembre 2011 21:17

    Ce qui est éminemment regrettable et dangereux c’est que ces manoeuvres sournoises sont effectuées en « catimini » par le gouvernement et le président, pour renforcer le caractère de plus en plus autoritaire du « régime » qui ,avec son illégitimité grandissante (moins de 25% de consensus) et les« fissures » et faiblesses de sa majorité craint des mouvements sociaux et politiques de mécontentement de plus en plus nombreux.


    Résistons et informons les citoyens à tous les niveaux malgré la langue de bois imposée aux médias !

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