vendredi 3 juillet 2015 - par C’est Nabum

Sacré farceur

Les gens sont soupe au lait ....

Un tour pendable !

Monsieur Jean, nous l'appellerons ainsi, n'est jamais avare d'anecdotes. Quand il se met à narrer ses aventures, ses farces et ses souvenirs, je me demande vraiment si ce n'est pas lui le conteur. Il est intarissable, drôle aussi avec cette expression gourmande qui passe par-dessus ses lunettes, ce doigt pointé qui marque la cadence et enfonce le clou de ses innombrables espiègleries.

Car l'homme est un coquin. Il aime à jouer des tours plus pendables les uns que les autres. Une seconde nature à moins que ce ne fût sa véritable nature et qu'il n'ait manqué sa vocation. Avec lui, tout y passe : la blague téléphonique, le trait d'humour, la grosse pantalonnade ou le scénario le plus subtil. On peut se demander même s'il ne passe pas son existence à épier la bonne occasion pour jeter son dévolu sur une pauvre victime.

Le plus souvent, il a mis les rieurs de son côté, n'en faisant jamais trop pour ne pas blesser, ridiculiser ou offusquer celui qui tombait sous ses griffes. Plaisantin mais pas mesquin, il ne veut pas faire mal ; simplement le rire est son moteur, la plaisanterie sa drogue. Il nourrit ainsi ses conversations de ses tours passés, à l'affût sans doute du suivant, se demandant si vous-même qui l'écoutez ainsi, ne pouvez pas bientôt devenir sa nouvelle cible.

Puis soudain, l'homme se fait plus grave. Dans sa belle collection burlesque, il y a la blague à part : celle qui lui a laissé un goût amer, bien des regrets aussi et une réputation délétère en son petit village de la Loire bourguignonne. Pourtant tout avait commencé le mieux du monde, c'est du moins ainsi qu'il avait conçu son plan machiavélique …

Dans son village tranquille et paisible, nulle querelle de clocher. Les gens vivaient heureux et chacun vaquait à ses occupations sans se soucier plus du voisin que dans la plupart de nos charmantes communes rurales. Monsieur Jean y était comme un poisson dans l'eau ; c'était son village de vacances, la terre de sa belle-famille et il y avait fait son trou.

Soudain, l'oisiveté des vacances étant de mauvais conseil, notre sacré farceur imagina une blague qui nécessitait mise en scène et préparation. Dans la bourgade, deux terrains à bâtir aiguisaient la convoitise des uns, les envies des autres et la curiosité de ceux qui n'avaient aucun intérêt en jeu. La terre demeure une valeur refuge dans nos provinces …

Monsieur Jean se mit à imaginer une destination pour chacune de ces deux jolies parcelles, libres encore bien que placées au cœur de la commune. Ainsi, conseiller communal de sa ville de résidence, il savait assez les enjeux municipaux et les règles administratives pour fomenter une idée qui n'avait pu naître que dans un cerveau embrumé …

Muni d'un ordinateur, notre homme établit de faux certificats d'urbanisme au nom d'une société immobilière dont le nom aurait dû mettre la puce à l'oreille- à moins que ce ne fût ailleurs- à des esprits moins sourcilleux. La société Coq-Six, la bien nommée, avait jeté son dévolu sur la petite cité tranquille pour installer deux immeubles de 14 mètres de hauteur et d'une surface non négligeable.

Le premier, situé tout près du centre bourg, était passé par une adjudication pour un intermédiaire qui se prévalait d' amitiés franco-roumaines. La construction allait permettre d'établir un lot de résidences en dur pour la communauté des gens du voyages. Le second, un peu plus à la périphérie, permettrait l'installation d'une dizaine de familles dans des appartements à caractères sociaux.

Les écriteaux, rédigés de main de maître-farceur, il n'était plus qu'à aller les installer nuitamment auprès des lieux incriminés et à laisser monter la mayonnaise. Le potache était heureux de sa blague ; il en avait glissé quelques mots à l'oreille de comparses, pour qu'ils profitent eux aussi du remue-ménage supposé.

Le lendemain, ils furent servis au-delà de toutes leurs espérances. Les petits poissons comme les grosses pièces avaient mordu joyeusement à l'hameçon. Plus la ficelle est grosse, plus le piège fonctionne, semble-t-il, et la bourgade ne tarda pas à être en ébullition. Madame le maire qui n'avait rien remarqué et qui n'était au courant de rien fut littéralement submergée d'appels scandalisés, indignés, révoltés, insultants ou pire encore.

Le bureau de l'hôtel de ville n'était pas le seul endroit en surchauffe. Le bar du coin bruissait de toutes les plaintes et réflexions imaginables. La populace grondait, la peur et les pensées les plus insidieuses déroulaient leur cortège de propos honteux, de mots qui repoussent, qui condamnent, qui détruisent.

Bien vite, les quelques confidents ne surent que dire. L'ampleur de la catastrophe leur avait interdit toute manœuvre apaisante. La rumeur était lancée au galop : elle balayait tout le fragile équilibre du village. Madame le Maire était vouée aux gémonies, elle était habillée, non seulement pour l'hiver, mais encore pour toutes les autres saisons. Les services de l'Etat en prenaient plein leur grade et même les propriétaires légitimes des terrains finissaient par croire que l'Etat leur avait joué un sale tour dans le dos.

La journée n'était pas achevée que c'était la révolution au pays. Plus aucune conversation ne s'aventurait sur d'autres voies que ces deux-là. Le village était à feu et à sang d'encre. Plaintes, protestations, appels à la préfecture … Tout le cortège de la citoyenneté outragée était en marche et monsieur Jean n'en menait plus large. Comment se sortir de ce joli bazar, de ce sac de nœuds pas du tout malins ? La farce avait tourné vinaigre ce qui n'était pas pour surprendre ce natif d'Orléans.

Deux jours après son forfait nocturne, rien n'était calmé, bien au contraire. Monsieur Jean était incapable de reprendre la main. Comment crever la bulle ? Il en était à se poser la question de l'aveu quand il fut convoqué à la mairie. Le bruit avait sans doute circulé, son nom donné en pâture : ce qui n'est jamais bon signe en pays d'élevage. Sommé de s'expliquer , il avait face à lui le véritable promoteur qui avait acheté un des terrains pour mener une opération plus consensuelle.

L'homme était au bord du désespoir. Tout ce bruit autour du terrain risquait de réduire en poussière ses projets. Il allait être ruiné. Il évoquait l'idée de la faillite, du suicide, du dépôt de plainte. Ses propos étaient incohérents et sa colère immense. Monsieur Jean était penaud comme le petit enfant pris les doigts dans le bocal de confiture. Il lui fallait faire amende honorable, avouer partout sa faute et demander pardon.

Le mal était fait. Il lui fallut de longues années pour que certains lui parlent à nouveau. Dans le village, on changeait de trottoir à son approche, on ne le saluait pas, on le montrait du doigt. La farce avait réveillé de vieux démons, des fantômes qui demeurent si fortement ancrés dans nos consciences. Jean n'aurait pas dû jouer avec ceux-là.

Le farceur en avait fini de son récit. Au fil de cette évocation, le sourire habituellement toujours présent en lui s'était estompé, avait fini par disparaître. Il revivait ces moments douloureux, la faute qui avait fait basculer la farce dans la blague du très mauvais goût. Un ange passa ; le silence se fit, le regard se voila …

Je lui avouai que cette histoire n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Le sourire revint. Monsieur Jean étant un lecteur quotidien de mes billets, il reprit son entrain. Le mauvais souvenir allait être exorcisé. Il se remit en train et reprit, sur un ton enjoué, le récit d'autres de ses exploits. Je vous laisse en profiter à l'occasion. Vous demanderez le mari de la gourmande et il se fera un plaisir de vous conter quelques facéties de son cru.

Immobilièrement sien.



8 réactions


  • juluch juluch 3 juillet 2015 11:41

    Un joli récit.....c’est authentique ou issus de votre imagination ??


    Comme quoi les blagues peuvent aller très loin comme les mensonges.

    Merci Nabum.

  • Radix Radix 3 juillet 2015 12:22

    Bonjour Nabum

    Une farce est réussie si l’on évite d’appuyer sur les « mauvais » ressorts de l’âme humaine.

    Mon père m’en a raconté une qu’il avait faite dans son village du sud-ouest.
    Une nuit, avec ses copains ils ont entassé tous les pots de fleurs accessibles autour du monument aux mort.
    Le lendemain les joyeux lurons étaient aux premières loges sur la place pour assister aux « négociations » musclées sur la propriété des pots de géranium !

    Radix


    • C'est Nabum C’est Nabum 4 juillet 2015 13:28

      @Radix

      Chacun a alors pris sa brouette pour récupérer ses géraniums et de ce jour sinistre date la mode détestable du Géranium à roulette


  • Ruut Ruut 3 juillet 2015 15:26

    Une bonne blague ne doit blesser que son auteur, sinon elle est mauvaise.


  • sleeping-zombie 4 juillet 2015 14:03

    Monsieur Jean ignorait donc jusqu’à quel point on n’aime pas les pauvres dans ce pays ?
    On ne joue pas impunément avec la pyramide sociale...


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