mardi 25 octobre 2011 - par Handicap.fr

Sexualité et handicap : un tabou à faire sauter !

Les personnes handicapées qui vivent en établissements ont-elles droit à une sexualité ? Oui dans le fond mais comment dans la forme ? Un groupe de travail mis en place par L'ADAPT libère la parole des encadrants et des résidents sur un sujet sensible.

Libertins ! Voilà ce qu'ose dire Jean-Baptiste, moniteur en ESAT, de ses travailleurs. En tant que responsable de la menuiserie, il doit gérer à la fois leurs compétences professionnelles et leurs déboires sentimentaux et sexuels ! A l'heure où le débat sur l'assistanat sexuel fait rage autour de ceux qui sont empêchés dans leur sexualité, d'autres s'en donnent à cœur joie, de manière active et parfois débridée.

Non, les personnes handicapées ne sont pas des anges asexués ! C'est pourtant ce qu'on a essayé de leur faire croire, de nous faire croire depuis toujours. Jusqu'à ce Pascal Duquenne s'adonne à une scène d'amour dans le « Huitième jour » ! Trisomique et romantique, ça peut en effet rimer ! Mais tout n'est pas toujours aussi rose derrière les murs des ateliers protégés et autres établissements, et avoir une ébauche de vie affective, c'est parfois le parcours du combattant.

Enfin un groupe de parole dédié !

« Nos travailleurs ont une vie sentimentale très dense, insiste Jean-Baptiste. Nous avons tenté l'intégration d'une jeune femme dans notre atelier mais c'est devenu très compliqué. Elle s'est rapprochée d'un des travailleurs, l'a quitté et a retrouvé quelqu'un au bout d'une semaine. Ils passent de l'un à l'autre très facilement. Nous en avons un, c'est un vrai tombeur ! Ils semblent débarrassés de toute inhibition. Ici, le libertinage est affirmé, et la fidélité est loin d'être un concept acquis... » Un sort enviable, finalement ? Pas vraiment ! Allons plus loin avec Muriel Péquery. Au sein de L'ADAPT Seine-Maritime, elle a mis en place, en 2006, une initiative plutôt innovante, voire révolutionnaire. Avec l'appui du directeur d'un foyer d'hébergement de l'ARRED (une association rouennaise), elle anime en effet un groupe de travail qui rassemble les professionnels de L'ADAPT et aborde les questions de vie sentimentale et de sexualité, dont ils peuvent à leur tour débattre avec leurs usagers lors de groupes de parole. De véritables exutoires où les non-dits et tabous volent enfin en éclat. Pour les uns comme pour les autres... Car les équipes d'encadrement sont, elles aussi, prises au dépourvu par cette problématique. Comment, en effet, tolérer des ébats dans les toilettes collectives ou des caresses insistantes aux vues de tous ? « Ce groupe de travail est donc également très important pour les professionnels, explique Muriel, puisqu'ils peuvent trouver des réponses à des situations qui, il faut bien l'avouer, ne sont pas faciles à aborder. » Un engagement nécessaire, et courageux, car il va sans dire que les détracteurs ont la dent dure : « Lorsque j'ai mis ce principe en place, explique Muriel, on m'a traitée d'obsédée sexuelle. Je travaillais dans un foyer pour déficients intellectuels où le règlement intérieur précisait qu'il était interdit d'avoir un rapport, ou même de s'embrasser ou de se tenir par la main. » Une bombe à retardement...

Les revers du modèle « porno »


Car l'analyse de Muriel est sans appel. « Les jeunes handicapés ne sont ni des anges ni une bêtes, ils ont des besoins et des désirs, comme tout le monde ». Or les institutions dans lesquelles ils vivent, mais également leurs familles, ne leur permettent jamais d'aborder ces questions délicates. Ils ne connaissent pas leur corps, n'ont jamais expérimenté les jeux innocents entre copains-copines et cousins-cousines. Et puis, soudain, à l'adolescence, ils sont en proie à des sensations qu'ils n'ont jamais soupçonnées, et qu'ils doivent continuer à taire. Ils ne sont pas en mesure de maîtriser leurs désirs et passent souvent à l'acte au cours de rapports considérés comme délictuels. « On m'avait demandé de gérer le cas d'un résident qu'on accusait d'attouchements sur un enfant. Il avait fait cela sans aucun vice et sans mesurer la portée de ses actes. Tout simplement parce qu'on n'avait jamais pris la peine de lui expliquer que c'était interdit. » La violence devient, elle aussi, un mode d'expression récurrent car ces jeunes n'ont souvent appréhendé la sexualité qu'à travers le prisme réducteur des films pornos où la femme est un objet, où toutes les humiliations sont permises. Des jeunes femmes qui vivent en couple se plaignent de la façon dont elles sont traitées par leur compagnon, sans ménagement, tout d'abord parce qu'ils n'ont que cette référence du sexe, mais aussi parce qu'ils ont une méconnaissance totale de leur corps. Comment appréhender et respecter son partenaire lorsqu'on ne se connaît pas soi-même ? « Ils n'ont aucun modèle, aucun mode de fonctionnement enseigné alors ils répondent tout simplement à leurs pulsions. C'est pourquoi, il est urgent de libérer la parole mais aussi de travailler avec eux sur leur schéma corporel. »

Parentalité compliquée

Toujours surveillés, un éducateur sur le dos qui guette leurs faits et gestes, et réprime ceux qui peuvent paraître déplacés... Marie, 23 ans, a un petit copain depuis six ans. Fidèle et amoureuse, elle envisage même d'acheter un appartement pour y vivre ensemble. Mais, pour le moment, elle est logée en appartement collectif avec deux autres jeunes femmes. Suivie par le SAVS local, elle peut recevoir son ami en journée mais pas question de passer la nuit avec lui. C'est inscrit dans le règlement ! Et puisque le week-end, elle retourne chez ses parents, c'est un peu compliqué pour l'intimité. Au delà de la sexualité, c'est aussi la question de la parentalité des personnes handicapées qui se profile. Les grossesses surviennent plus souvent qu'on ne le croit, par accident, par caprice, par désir ardent. « Chez les jeunes femmes déficientes intellectuelles, poursuit Muriel, on observe des grossesses à répétition, ce qu'on appelle le désir « d'enfant de remplacement ». Elles tombent enceinte, accouchent en CHU, rencontrent un système qui les juge inaptes, sont dépossédées de leur bébé... Et recommencent ! » L'établissement de L'ADAPT travaille actuellement sur un document d'évaluation à la capacité d'être parent qui permettrait aux éducateurs d'accompagner celles et ceux qui ont ce projet, pourquoi pas légitime, d'enfant.

Partie non négociable de notre humanité


Bref, sexe et handicap livrent un scénario qui semble échapper aux conventions, si tant est qu'il y en ait dans ce domaine... Mais à la faveur d'initiatives, trop rares (?), comme celle proposée par Muriel, les langues commencent à se délier. En février 2011, en partenariat avec l'ARRED, elle organisait un colloque sur ce thème, « Vivre sa sexualité avec un handicap ; comprendre pour accompagner ». Le sujet n'est pas facile mais la prise en compte de cette problématique semble s'amorcer, sous l'impulsion, notamment, des nouvelles générations de parents qui prennent conscience que leurs enfants sont de futurs hommes et femmes avant d'être des « handicapés ». « Et c'est tant mieux, conclut Muriel. J'ai croisé bon nombre de femmes qui ont aujourd'hui 50 ans, qui n'ont jamais eu de petits copains, deviennent acariâtres et jalouses, et tombent amoureuses du premier éducateur qui passe, avec une possessivité souvent déplaisante. » Il faut partir du principe que l'équilibre sexuel est loin d'être une fantaisie, peu importe l'individu. Une vie affective épanouie fait partie des libertés fondamentales, a le mérite de favoriser l'ouverture à l'autre et donc de faciliter l'insertion sociale et professionnelle. Un sésame, en quelque sorte, partie non négociable de notre humanité commune.

Handicap.fr - E.Dal'Secco http://www.handicap.fr



16 réactions


  • tikhomir 25 octobre 2011 11:06

    C’est très bien d’aborder ce sujet. L’idéal, ce serait de ne pas faire la même idiotie qu’avec les jeunes : leur parler de sexe, etc. mais jamais d’amour. L’éducation sexuelle doit aller de pair avec l’éducation affective.


    • kiouty 25 octobre 2011 11:23

      Comment ça ?
      J’ai entendu toute ma jeunesse qu’il y avait une différence entre baiser et faire l’amour, et que faire l’amour, c’était mieux que baiser tout seul.
      C’est le gros cliché qu’on apprend aux jeunes, justement, et que je trouve d’ailleurs un peu débile, mais bon.


    • tikhomir 25 octobre 2011 11:30

      Si vous n’avez entendu que ça dans votre jeunesse alors c’était assez simplet comme éducation (si on peut encore appeler ça une éducation...).


  • Harfang Harfang 25 octobre 2011 11:17

    Sujet très intéressant, bien que pas facile à aborder.
    Et comme d’habitude, on constate que « cacher la poussière sous le tapis » ne résout rien.

    Un article courageux, bien documenté, et un débat qui mériterait d’être posé.


  • foufouille foufouille 25 octobre 2011 13:05

    les handicapes mentaux sont surtout consideres comme de bons outils


  • King Al Batar King Al Batar 25 octobre 2011 13:10

    Quand j’étais étudiant j’ai travaillé en tant que veilleur de nuit dans une clinique pour handicapé moteur.
    Cette clinique prenait en charge des adolescents victime d’accidents de la route, obligés de beneficier de soins permanent et intégrait un lycée pour qu’ils puissent suivre une scolarité.C’est d’ailleurs le principe de la Fondation Sante des Etudiants de France, dont on parle peu.
    Il y avait également des adultes handicapés, aussi, qui suivait des soin de réducation fonctionelle pendant 6 mois à 1 ans, et d’autre personne qui eux étaient condamnés à la chaise roulante à vie.
    Et bien, il y avait des prostituées qui venaient savoir si on tolérait leur service, et je peux vous dire qu’à part l’étage des mineur ou bien sur elles ne pouvaient se rendre, eles étaient très bien accueilli.
    Moral, pas moral, je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est que sans elles, cela devait certainement être pir pour ces messieurs... EN revanche que faire pour les dames ?


    • Dominitille 25 octobre 2011 14:08

      Bertrand,
      On vous dit adultes handicapés et vous parlez de sex toys vibromasseurs ! encore faut-il que les dames en question puissent les tenir au moins dans leurs mains.
      Pornographie ? normal l’auteur du commentaire n’en parle pas non plus.
      Le contact humain pour les dames ce n’est pas obligatoire non plus ?
      Frustré que votre article ne soit pas passé ?


    • Dominitille 25 octobre 2011 15:02

      Quoi qu’il en soit, les handicapés et handicapées ont droit à une vie sexuelle.
      L’activité sexuelle tarifée sera toujours étiquetée prostitution, il faudra attendre encore un peu pour que se mette en place une variante qui deviendra un job comme un autre.
      Les mentalités ne changeront pas d’un coup de baguette magique.
      Une reconversion des prostituées et prostitués pourquoi pas ?
      Mais quoiqu’il en soit encore, les hommes handicapés ont droit à la visite de femmes mais pour les femmes handicapées cela intéresse moins, on leur donne un joujou à pile comme contact de substitution. Un peu mysogine comme approche même si vous vous en défendez ;
       Bonne journée


    • King Al Batar King Al Batar 25 octobre 2011 16:36

      Domitille,
      Je suis d’accord avec vous le mecanique ne remplace par l’organique.
      Par contre et j’ai peut être oublié de le signaler, c’est que personne n’appelait ses dames. Elles se presentaient d’elles même pour proposer leur service. Et bien que l’on critique cela si on veut, pour des valeurs morales, mais moi je trouve qu’elles ont grand coeur ! Il y a peut être un interet financier évident, mais au moins elles rendent un vrai service.
      Je suis désolé de parler en ces termes, mais je les trouvait admirables ses femmes, de professionalisme (LOL) et de générosité.


    • Dominitille 25 octobre 2011 22:04

      King Al Batar,
      Je ne suis pas contre le fait que les hommes handicapés aient la visite des femmes, bien au contraire puisque c’est un besoin physique. Mais bien trop souvent les femmes font figure de figurantes et on ne pense pas à elles en termes de besoin. Le tout masculin a encore de beaux jours.
      Bonne nuit


    • King Al Batar King Al Batar 26 octobre 2011 09:21

      Disons qu’à ce niveau là, les femmes (prostituées) sont plus genereuses et moins regardante que les hommes malheureusment...


    • LE CHAT LE CHAT 26 octobre 2011 10:06

      @king al batar

      pour les dames ?

      Leur filer le portable de DSK , il ferait enfin une bonne action !  smiley


    • karpediem karpediem 28 octobre 2011 23:50

      .... Tel est le thème de ce beau film intitulé «  » Nationale 7 «  » qui fait découvrir la vie quotidienne dans un petit foyer de long séjour, les amitiés, les attachement sentimentaux ... les initiations et fialement LA sortie sexualisée d’un patient dans la caravane d’une péripatéticienne le long de cette route si célèbre.

      A montrer aux soignants et aux éducateurs smiley


    • karpediem karpediem 28 octobre 2011 23:58

      .... Tel est le thème de ce beau film intitulé «  » Nationale 7 «  » qui fait découvrir la vie quotidienne dans un petit foyer de vie (tristounet et ancré dans ses habitudes mesquines) pour personnes handicapées physiques : les amitiés, les attachement sentimentaux ... les initiations et finalement LA sortie sexualisée d’un patient dans la caravane d’une péripatéticienne le long de cette route si célèbre.

      A offrir aux soignants et aux éducateurs


  • ficelle 25 octobre 2011 13:18

    Je suis vieux, moche, fauché,et je pue .

    J’attends........


  • karpediem karpediem 28 octobre 2011 23:42

    Intéressante intervention tellement rare hors la presse spécialisée, les assoces et les professionnels : merci donc à l’auteure, aux autres témoins et aux commentateurs ! Bien de vos post sont importants et si utiles surtout sur ce site «  » grand public «  » à vocation généraliste.  smiley

    Je fais suivre vers des directions et administrateurs + délégués de l’APF et de l’UNAPEI qui gèrent des centaines d’établissements et lieux de vie, foyers et appartement : espérons que le nombre de lecteurs augmente sensiblement ...


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