samedi 11 décembre 2021 - par C’est Nabum

Tout sur la roue

Le cycle infernal de nos fatuités

Quand il y a près de six mille ans, en Mésopotamie ou plus sûrement en Europe centrale, le monde allait faire un bond prodigieux en se roulant sur lui-même pour porter un lourd fardeau, personne ne pouvait imaginer que ce qui alors, n'était qu'un moyen technique fantastique pour simplifier la vie des individus allait devenir l'expression la plus aboutie du délire consumériste de la civilisation de la fin des temps.

La roue débuta sa prodigieuse carrière en se faisant pleine. Elle apparut là où les humains disposaient d'animaux de trait pour les suppléer dans l'art de déplacer de lourdes charges. Un axe de rotation et le tour était joué, les gens pouvaient aller de l'avant tout en envisageant de voir plus grand. Le premier pas sans doute dans un cycle infernal mais comment pouvaient-ils l'envisager ?

La roue fit une cure d'amaigrissement en s'évidant. Les rayons n'avaient rien de sympathiques, ils se mirent immédiatement au service de l'armée. Le char précéda tout ce qui lui succéda pour transporter aisément d'un point à l'autre, ceux qui ne voulaient pas aller à pied. La roue se mit d'entrée au service de la destruction ou du pouvoir puisque Jupiter s'en attribua l'emblème pour matérialiser sa puissance après notre ami Taramis qu'il avait singé.

Suivie alors une longue période d'évolution technique au service du confort du transport. La roue chercha tous les aménagements possibles pour cesser de secouer comme des pruneaux ce qu'elle était chargée de déplacer. Le cerclage en fer, la bande roulante, le caoutchouc, le pneu et la chambre à air vinrent compléter au fil du temps le dispositif. La roue pensait en avoir terminé avec sa révolution.

Elle ne pouvait savoir qu'elle allait entrer de plain-pied dans la compétition sportive en gagnant tout à la fois en rigidité, souplesse, légèreté et fiabilité. Termes certainement contradictoires mais qui parvinrent à se concilier afin que les courses aillent toujours plus vite. Est-ce ce qui mit la puce à l'oreille aux tenants de la grande décadence ? Je ne puis l'affirmer.

La roue pensait avoir fait le tour de la question. Elle allait son train, se modifiant au gré des terrains, des besoins, des modes de transport mais restant les pieds sur terre. Puis d'un coup, elle voulut s'envoyer en l'air, voyant tout en grand, voulant illuminer de mille feux la vacuité de ceux qui venaient s'y faire rouler.

La grande roue devint l'archétype du consumérisme de la nativité. Le cycle infernal du gaspillage énergétique trouvait son aboutissement dans l'installation au cœur de l'hiver et des grandes villes de cet emblème d'une civilisation en déconfiture. Gavés de lumière, de musique, d'achats, d'odeurs, les rouliers s'installent pour s'assurer qu'ils ne savent plus où ils vont.

Prendre une roue pour aller nulle part, voilà bien ce que nos ancêtres ne parviendraient pas à comprendre. La roue allait de l'avant, elle se contente de prendre de la hauteur pour satisfaire l'orgueil, la suffisance et l'envie d'avoir froid de ceux qui se grisent de dépenser à tour de bras. C'est sans doute le point ultime de l'évolution, la fin d'un cycle qui suppose ensuite le grand néant, la catastrophe.

À quoi bon lever les yeux au ciel pour fustiger ce qui en apparence emporte l'adhésion collective. Un marché de Noël dans une grande cité doit disposer de sa grande roue à moins de passer à côté de la plaque. Les communes plus petites lui préféreront la patinoire, sans doute pour se prémunir de la prochaine catastrophe climatique. Pour Noël, toujours plus, toujours pire, dans une frénésie de fin du monde. Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez les humains qui échappent encore à la misère. S'ils pouvaient au moins apercevoir du haut de leur grande-roue, le monde qui se meurt à leurs pieds : le petit tour n'aurait pas été inutile.

À contre-plongée.



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