mardi 20 septembre 2005 - par Emmanuel Delannoy

Une innovation majeure dans la propriété intellectuelle en biologie

Depuis quelques années, je me demandais quand ça arriverait. Des chercheurs, journalistes, observateurs l’avaient relevé : il était devenu de plus en plus difficile, sans même prendre en considération l’aspect éthique des choses, de progresser dans la recherche en biologie, tant le brevet, utilisé de manière offensive, devenait un frein plus qu’un moteur pour l’innovation dans ce domaine.

L’article de Krishna Ravi Srinivas, « La cause des biolinuxes », ou celui de Dorothée Benoit-Browaeys « Quand les brevets bloquent la recherche », et d’autres, en témoignent (voir notamment les ressources citées à la fin de ces articles, ou la bibliographie de ma thèse « Biotechnologies et développement durable »). Certaines initiatives, comme celle de la Fondation Rockefeller, nommée PIPRA, ou une initiative commune aux organismes de recherche en agronomie en France, allaient dans le sens de la création de pools de brevet, afin d’assouplir la circulation de la connaissance. Je précise que je n’ai fondamentalement rien contre le principe même du brevet. Dans la lettre et dans l’esprit, cet instrument de protection de la propriété intellectuelle permet d’atteindre un double objectif : protéger l’inventeur, en lui assurant une période d’exclusivité sur le fruit de son travail, censée augmenter ses chances de rentabiliser celui-ci, et assurer la diffusion de l’information, indispensable à la poursuite de la recherche et de l’innovation.

Mais au cours des dernières années, cet instrument a souvent été utilisé de manière détournée, afin d’en faire une arme permettant de bloquer, ou en tout cas de ralentir significativement la progression de ses concurrents. L’obligation de publication était souvent elle-même détournée (voir notamment cette discussion). Le succès des licences de type « Open Source », dans le domaine du logiciel, et celui des licences « Creative Commons », dans le domaine de la publication scientifique, entre autres, laissaient entrevoir de possibles évolutions dans le domaine de la protection des inventions en biotechnologies.

L’enjeu est de taille : le renchérissement de la recherche consécutif aux exigences de licences de la part de détenteurs de droits contribuait encore à accroître la fracture existant entre le nord et le sud dans ce domaine, alors que les enjeux du sud (maladies tropicales, aridité des sols et avancées des déserts), sont énormes, et nécessitent des investissements importants en recherche dans les sciences du vivant. Une initiative vient d’émerger, avec le lancement par Cambia de l’initiative BIOS, et notamment de la licence « Biological Open Source ». Cette licence est déjà utilisée pour protéger plusieurs technologies ; et elle permet, tout en protégeant son inventeur, d’assurer efficacement la diffusion et l’amélioration d’une technologie par une approche collaborative.

C’est une avancée importante, qui vient enrichir un peu plus la panoplie des instruments de protection de la propriété intellectuelle, permettant à chaque acteur des biotechnologies (fondation, organisme de recherche public, entreprise privée), de se construire sa propre stratégie.

D’autres initiatives viendront. Comme quoi, l’innovation n’est pas limitée au champ technologique, elle s’étend aussi à l’environnement juridique qui l’entoure.
Et l’expérience du logiciel montre que plusieurs instruments peuvent coexister avec succès, permettant à de nouveaux modèles économiques d’émerger.




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