Vers une technologie du contrôle
Evoquer le sujet du contrôle des personnes via l'utilisation des nouvelles technologies est devenu assez courant et peut sembler irréel, futuriste et quelque peu exagéré dans son principe.
C'est finalement la position inverse qui paraîtra bientôt assez peu convaincante.
Insidieusement nous sommes de plus en plus entourés d'outils technologiques, matériels ou immatériels, toujours plus puissants et toujours plus 'intelligent'. A force de les côtoyer, nous ne les voyons quasiment plus ou en tout cas nous ne les ressentons plus comme étant intrusif dans nos vies. Ils sont devenus nos compagnons, comme une extension de nous-même.
Que nous nous en servions ou pas, ils sont autour de nous, ils sont devenus notre environnement courant.
Le plus emblématique étant bien entendu notre téléphone portable. Qui connaît quelqu'un qui désormais n'a pas de téléphone portable ? Ne pas avoir de portable apparaissait, il y a quelques années encore, comme une forme de résistance douce à l'envahissement progressif de ces nouvelles technologies mais serait considéré aujourd'hui comme une sorte d'anomalie.
On peut citer également d'autres appareils qui se sont peu à peu incrustés dans nos vies :
· les systèmes GPS dans nos voitures,
· les caméras de surveillance que nous ne remarquons même plus (combien de fois dans une journée apparaissant nous sur un écran de télé-surveillance ?),
· les appareils photos numériques,
· les box internet, l'internet en lui-même,
· les montres connectées désormais,
· les ordinateurs et leurs logiciels que nous ne percevons même plus comme des matériels technologiques tant nous les utilisons,
· les consoles de jeux vidéo,
· la télévision,
· les chaines hi-fi,
· les casques de réalité virtuelle qui commencent à apparaître...
· et bien sûr les satellites, dont nous finissons par oublier l'existence,
J'en oublie beaucoup et ne cite que les plus courants pour chacun d'entre nous.
Tous ces appareils sont désormais basés sur la technologie numérique et peuvent donc s'interconnecter et échanger des données. C'est d'ailleurs sûrement là la vraie révolution, passée quasiment inaperçue.
On peut citer également les nombreuses cartes (bancaire, de réduction, de télé-péage, d'assurance maladie, ..bientôt d'identité) que nous possédons et qui sont de plus en plus basée sur une puce électronique et la technologie RFID (accès des données à distance proche).
Les cartes bancaires alimentent ainsi des bases de données qui enregistrent des éléments personnels nous concernant et permettent de définir une typologie de la personne et par là-même un comportement type.
L'ensemble de ces appareils dans leur ensemble sont ainsi capables de regrouper un certain nombre d'informations personnelles, financières, comportementales, économiques, ...dans de gigantesques bases, dont nous avons du mal à imaginer la taille et les interconnections possibles, ce que l'on appelle désormais le big data.
Qui est propriétaire de ces bases de données ? Sur quel fondement juridique des données personnelles peuvent-elles appartenir à quelqu'un ? De quelle manière l'Etat, de par sa fonction régalienne, peut-il avoir accès à des bases commerciales ?
Cette évolution, tout comme la puissance de nos ordinateurs, n'est pas linéaire mais presque exponentielle. Elle va donc très, très vite et nous avons du mal à analyser son développement et sa progression tant ils sont rapides.
Tous ces appareils sont capables d'enregistrer et de conserver des données qui nous concernent.
On constate ainsi que les données laissées ou données sur les sites sociaux ou commerciaux peuvent être conservées et utilisées quasiment sans limitation de durée. Les utilisateurs de ces sites n'ont déjà plus la maîtrise de leurs informations. Même cet article est désormais intégré dans la toile de manière quasi définitive. L'internet qui paraît très volatil apparaît au final comme plus dur que le marbre.
On oublie parfois qu'un système GPS est capable de définir notre zone territorial, car finalement nous fréquentons toujours plus ou moins les mêmes endroits et nous sortons peu de 'notre' territoire (notre maison, notre travail, nos zones de loisir, …). Il serait donc potentiellement possible de définir pour chacun d'entre nous une zone de fréquentation habituelle.
Toute sortie hors de cette zone serait considérée comme une anomalie par le système de contrôle.
Globalement cela permettrait de détecter les individus se déplaçant beaucoup et qui de ce fait sont potentiellement dangereux.
Car tout comportement inhabituel peut finalement être considéré comme suspect.
Il existe également un fort développement des technologies de reconnaissance faciale aidé en cela par le développement des systèmes d'intelligence artificielle.
Ces nouveaux systèmes de reconnaissance sont désormais capables de détecter un comportement agressif envers une autre personne.
On peut imaginer ce que ces systèmes seront capables de déceler dans quelques années avec l'amélioration des optiques de caméra (focus, précision, détection thermique, analyse des mouvements,...) et des systèmes d'intelligence artificielle.
Il devient également possible de repérer quelqu'un via les systèmes de radiofréquence :
· repérage d'ondes émises par un téléphone portable
· ou bien incluse dans une carte d'identité électronique
On songe également à l'utilisation des systèmes biométriques dont l'utilisation va sans aucun doute s'intensifier notamment pour l'accès à des sites sécurisés que ce soit des sites internet ou bien des sites tels que des banques voir des magasins ou des administrations.
La lutte contre le terrorisme sera mise en avant pour développer l'utilisation de tels systèmes.
Une société qui a peur est demandeuse de tels systèmes de contrôle qui dans un premier temps apparaissent bénéfique car permettant de sécuriser des lieux.
Mais c'est désormais l'ensemble de la population qui est contrôlé afin de cibler ses éléments à risque.
On doit aussi s'interroger sur la fiabilité de tels systèmes de contrôle car une erreur pourrait avoir des effets dramatiques pour la personne qui la subirait.
Des hackers qui auraient accès à ces données pourraient les utiliser à des fins commerciales ou bien pour des escroqueries, comme cela est déjà le cas pour les vols de numéro de carte bancaire ou de numéro de sécurité sociale.
Par ailleurs, la durée de conservation des documents pose également un problème et peut être vue comme une intrusion dans la vie privée des personnes (déplacement des personnes, rencontres, mails personnels, ...).
La société Google, on ne le sait pas forcément, analyse tous les mails envoyés et reçus via sa messagerie Gmail pour y détecter des mots clés qui seront utilisés pour déterminer les goûts (et les opinions ?) de chaque utilisateur et définir ainsi des profils type. Elle peut le faire car l'utilisateur lui en a donné l'autorisation lorsqu'il a accepté et validé les conditions d'utilisation de la messagerie Gmail, sans s'en rendre forcément compte.
Ces systèmes de surveillance qui sont donc à la base présentés comme devant aider à protéger et à sécuriser les personnes pourront au final avoir des effets hautement néfastes tant du point de vue des libertés des personnes que de la protection de leur vie privée.
Il s'agit dans ce cas de trouver le bon équilibre en matière de contrôle afin de ne pas tomber dans des excès qui remettrait en cause notre liberté d'expression et d'action ainsi que notre autonomie face à un Etat tout puissant ou même face à des sociétés commerciales utilisant ces données pour discriminer des personnes. Ainsi des mutuelles santé pourraient utiliser des bases de données pour sélectionner les personnes les moins à risque et rejeter les autres.
Il serait donc intéressant et même nécessaire qu'une commission regroupant des experts, des scientifiques, des philosophes, des membres d'association et des personnes de la société civile soit créée afin de réfléchir ensemble sur les modalités de mise en place et d'utilisation de tels systèmes de contrôle.
De manière plus générale, on constate que cette évolution se fait quasiment d'elle-même, sans évolution définie ni orientation. Les instances politiques se sont désengagées de tout contrôle et de toute réflexion sur ce type d'évolution sociétale. On assiste à un abandon de l'Etat sur ces questions. On le constate pour de nombreux autres sujets et c'est là une bien triste constatation.