Victimes du travail : enfin des améliorations ?
C’est la première fois, depuis 1898, qu’une proposition de loi aussi complète sur la réparation des victimes du travail devrait être déposée au Parlement.

Jamais depuis 1898 une proposition de loi n’avait comporté de telles
avancées pour les victimes du travail. À l’origine de ce texte, une quarantaine de parlementaires (lire interview ci-dessous). Mais aussi la récente décision du Conseil constitutionnel qui a, en quelque sorte, rendu justice aux victimes du travail en examinant une des premières questions prioritaires de constitutionnalité prévue par la réforme des institutions de 2008 : une victime du travail qui démontre la faute inexcusable de son employeur peut dorénavant solliciter l’indemnisation de tous ses frais... et restes à charge ! La décision du Conseil constitutionnel, du 18 juin dernier, souligne clairement que les victimes et leurs ayants droit peuvent exiger la réparation de tous leurs préjudices lorsque la faute de l’employeur est démontrée.
Ce n’est pas encore la réparation intégrale pour toutes les victimes du travail. Mais il ne fallait pas laisser passer l’occasion de transformer cette décision historique, qui s’applique d’emblée, en loi.
Réexamen
Lors du débat sur la fiscalisation des indemnités journalières, de sinistre
mémoire pour les victimes du travail, Marie-Anne Montchamp, à l’origine avec Jean-Yves Cousin, de cette proposition de loi, à laquelle se sont ralliés nombre de députés, avait appelé à un réexamen de la question de l’indemnisation des victimes du travail. C’est pourquoi la proposition de loi ne se contente pas de transposer dans la loi la décision du Conseil constitutionnel, mais apporte d’autres améliorations. Si ce projet ne remet pas en cause les fondements du système d’indemnisation actuel, les 6 articles qu’il comporte à ce stade peuvent changer radicalement les conditions de prise en charge et d’existence des victimes du travail. Le texte s’appuie aussi sur le rapport de Michel Laroque, en mars 2004, sur « la rénovation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles », remis à François Fillon, ministre des Affaires sociales et du Travail, à cette époque.
L’article premier de la proposition qui devrait être déposée à l’Assemblée nationale, prévoit une réparation intégrale en cas de faute inexcusable de
l'employeur. Comme l’avait suggeré le rapport Laroque, les entreprises devraient avoir une obligation d’assurance, déductible fiscalement. La proposition préserve donc la physionomie actuelle du système avec un coût mesuré. De plus, comme aux États-Unis, elle peut avoir un effet important sur la prévention ; les primes d’assurance augmentant en fonction des sinistres subis.
L’article 2, lui, garantirait à toutes les victimes du travail, sans exception, une indemnisation intégrale des pertes de salaires durant l’incapacité temporaire de travail.
Le troisième article permettrait aux victimes, alors même qu’elles se trouvent en incapacité temporaire ou définitive, de pouvoir obtenir la prise en charge d’une aide humaine si leur état ne les autorise pas à accomplir certains actes de la vie ordinaire. En effet, aujourd’hui, l’indemnisation de la tierce personne par la majoration tierce personne est totalement dépassée. Les victimes sont obligées de se tourner vers la solidarité nationale (nos impôts, via les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH)) pour trouver le complément !
Moins de 10 %
L’article 4 vise à améliorer l’indemnisation des victimes qui présentent un taux d’incapacité inférieur à 10 % afin de leur garantir une indemnisation prenant véritablement en compte les retombées socio-professionnelles de l’accident ou de la maladie. C’est le cas typique d’une femme d’une cinquantaine d’année souffrant d’un trouble musculo-squelettique et déclarée inapte au travail. Sans diplôme, avec une capacité de mobilisation très réduite, elle ne touche qu’un capital de 3884,38 euros qui correspond à un taux de 9 % ! Ses chances de se réinsérer professionnellement sont faibles !
L’article 5 supprimerait la règle dite du « taux utile » pour le calcul de la rente. Cette règle abaisse le montant de l’indemnisation des victimes. Ainsi, la rente serait égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité de la personne, sans aucune minoration.
Enfin, l’article 6 supprimerait la condition liée au degré d’incapacité pour saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles pour les victimes de maladies psychiques qui ont une cause professionnelle. Au final, il permet de mieux reconnaître les personnes souffrant d’une pathologie hors tableaux.
Article paru en partie dans le journal de la FNATH, "A part entière" (Janvier 2011). Pour en savoir plus : www.fnath.org : découvrez le Livre blanc de cette association pour une meilleure indemnisation des victimes.
INTERVIEW
"Un système devenu inéquitable ! ”
J e a n - Y v e s Cousin, député UMP de Condé-sur-Noireau (Calvados) est à l’origine, avec Marie -Anne Montchamp, de cette proposition de loi visant à améliorer l’indemnisation des victimes du travail. Trois questions.
D'où vient cette initiative ?
Nous sommes deux personnes : Marie-Anne Montchamp, qui était députée et qui est devenue secrétaire d’État aux Solidarités et moi-même. Il s’agit d’une initiative conjointe et d’un travail qui tient, pour ce qui me concerne, au fait que je suis très sensible à la question de la réparation. Je viens d’une circonscription, Condé-sur- Noireau, qui a payé un lourd tribut à l’amiante. Ce drame me bouleverse. On connaît tous les deux les problématiques liées aux accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et nous partageons une conviction : compte tenu des avancées législatives et jurisprudentielles dans d’autres domaines où il est question de réparation de dommages causés à des victimes (comme les victimes de la route), on est en droit d’estimer que le régime des AT-MP est devenu inéquitable.
Quel rôle a joué le vote pour la fiscalisation des indemnités journalières dans votre projet ?
Je n’ai pas adhéré à titre personnel à cette initiative de mon groupe. Je pense qu’à partir du moment où l’on a commencé à toucher à cette fiscalisation, il aurait fallu aller plus loin et remettre tout à plat. Ce que nous proposons, c’est d’aboutir à une indemnisation équitable des victimes d’AT-MP. Je peux ajouter que les affaires malheureuses de suicides ou de stress au travail pèsent aussi beaucoup dans l’urgence de la remise à plat de ce système. Nombre de nos collègues parlementaires, comme moi-même, ont été émus et interpellés par ces drames !
Pouvez-vous nous dire quand cette proposition sera mise à l’ordre du jour ?
Pour l’instant, ce texte a reçu la cosignature d’une quarantaine de députés, ce qui est bien. Il faudra le déposer auprès de notre groupe parlementaire avant qu’il ne soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée. Mais avant tout, il nous faudra prouver qu’il est viable, en quelque sorte, sur le plan budgétaire. Nous travaillons à l’heure actuelle afin de répondre à cette recevabilité financière avant de présenter notre projet au ministre concerné, Xavier Bertrand. Je ne peux vous donner de date plus précise. Tout ce que je peux vous affirmer, c’est que nous voulons mettre toutes les chances de notre côté pour faire examiner cette proposition. Toutes les voix seront les bienvenues, y compris celles des autres partis représentés au Parlement.
Propos recueillis par Pierre LUTON