mercredi 24 février 2010 - par Chang

Violence scolaire : violence mimétique

La proximité des élections agite la cour. La ruche bourdonne, vrombit. Tous sont sommés à nouveau de butiner le miel du pouvoir : la peur et son florilège anxiogène de discours sécuritaires. On doit toucher au cœur. On choisira donc les plus fragiles, les vieux, les jeunes, en fonction de quelques faits divers propices martelés en boucle sur les médias. la violence scolaire fera l’affaire. Dans l’urgence on proclamera un « Grenelle » comme il y en eut tant d’autres…

La violence scolaire frappe fort. Elle hurle les défaillances d’une société en crise dont elle est le miroir. Porteuse de barbaries annoncées, elle est d’autant plus spectaculaire qu’elle se déroule dans le sanctuaire même de la culture, de la connaissance, qui ont justement pour vocation dans tout groupe humain à la réduire, la réguler, pour permettre la vie commune. L’école est d’abord ce lieu de parcours initiatique, de rites de passage par lequel l’adolescent va apprendre « les contraintes de civilisation » que cela nécessite. Si ce processus, qui s’apparente au « refoulement » ne fonctionne pas, on obtient, comme l’écrivait Freud, des canailles et non des névrosés... C’est cela qui rend cette violence si énigmatique.

Il y a un profond désarroi de tous devant cette énigme qu’il est lâche d’instrumentaliser, devant ce refus pour les jeunes d’aller « vers le vaste monde », le tout nimbé de déliquescence du langage et de décrépitude de l’écrit. En fait les jeunes savent que l’école de la république n’est plus là pour tenir ses promesses : diplômes bradés inutiles, précarité et chômage annoncés, galères. Ils savent que ce n’est pas la culture, la connaissance qui leur apportera les désirs de faire, de construire, d’être quelqu’un : l’exemple vient de la France d’en haut...Eux, ils sont celle d’en bas. Alors cette violence n’est que la mécanique de la logique d’un désir mimétique qui produit des conduites de recherche apparemment volontaires de l’échec : détruire ce qui vous fait mal... Tout ce qu’ils perçoivent du monde le leur répète jusqu’à la nausée.

Jean Paul Delevoye, le médiateur de la république, évoque une société « fatiguée psychiquement », minée par « l’angoisse du déclassement ». Une société « fragmentée » ou le chacun pour soi remplace le désir de vivre ensemble. Une société en « grande tension nerveuse » formant « la France des invisibles »… Il ajoute que « la distanciation par rapport à eux [les politiques] n’a jamais été aussi forte ». « Trop d’émotions collectives, souvent médiatisées et pas de constructions collectives »….

Alors, face à cette déréliction de la vertu républicaine, face à un monde d’avidité compulsive sans précédent, comment s’étonner que des jeunes, témoins sensibles, écorchés, se jettent et s’abandonnent dans la violence scolaire comme refus d’un monde qu’ils vomissent. Comment s’étonner qu’ils ne soient pas tentés par des formes de brutalités mimétiques et substitutives d’une figure tutélaire de l’État, d’une figure d’un père le plus souvent absent en adhérant à des bandes agressives où ils trouveront ce qui leur manque : une identité, des règles, des valeurs, mêmes dévoyées. Ils s’y noient plus qu’ils ne les constituent. En cela ils sont en phase avec la société.

Les médiocres solutions électoralistes, les garrots sécuritaires opportunistes n’y changeront rien. La multiplication des caméras, des portiques, l’appel à des nervis, des milices troubles aux statuts incertains sont dérisoires. Pire ! Elles ne serviront qu’à discréditer encore plus la culture, le « penser par soi-même ». Elles saperont l’autorité des éducateurs, des professeurs héroïques qui servent encore de hautes valeurs dont on nous montre jusqu’au sommet de l’État qu’elles n’ont plus cours... Elles achèveront de fragiliser le modèle républicain déjà vacillant. Reprenons encore Delevoye : « se protéger de l’autre dans une société fragmentée, inquiète et sans espérance collective, politiquement cela peut mal tourner. L’histoire nous montre que le ressentiment et la peur nourrissent le populisme » et toutes ses dérives. Il devient urgent de resacraliser laïquement l’école républicaine constructrice d’identité, lui redonner ce rôle émancipateur de passeur d’une génération à l’ autre. Visionnaire, Hannah Arendt écrivait : « l’autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut signifier qu’une chose : que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé leurs enfants. ».

http://www.cromwellbar.blogspot.com

 



4 réactions


  • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 24 février 2010 13:42

    Je suis globalement d’accord avec cet article ; la référence à Freud, peu connue, est pertinente ; nous sommes effectivement passés d’une civilisation névrotique à une civilisation perverse. J’ai relu dernièrement le Malaise dans la Culture (ou Malaise dans la Civilisation) de Freud. Aujourd’hui, c’est bel et bien Thanatos et la pulsion de mort qui a repris ses droits, contre, précisément, l’Eros (fût-il « desexualisé », expression de Freud) de la culture, de la solidarité, de l’entraide, de la camaraderie.

    Compliment à l’auteur de l’article.

    LP Roche, auteur sans pseudonyme


  • srobyl srobyl 24 février 2010 18:16

    Bonjour et merci pour l’article
    Ce qui se passe dans les établissements scolaires a bien tout l’air d’être le reflet de notre société de requins ;
    Un indice (parmi d’autres) qui est peut-être révélateur d’un malaise général : la prolifération d’émissions du type « faites entrer l’accusé », qui semblent jouer un peu le même rôle que les concours de danse non stop du film « on achève bien les chevaux »  : le spectacle de la souffrance de l’autre comme exutoire à ses propres maux


  • ddacoudre ddacoudre 24 février 2010 19:02

    bonjour dan

    bonne analyse.

    c’est le résultat d’un long cheminement qui a commencé avec la mort symbolique de la lutte des classe signifié par Mr Mitterrand. il signait ainsi symboliquement s’entend, la victoire de l’individualisme sur la conscience du groupe. c’est pourquoi celui-ci se reconstitue au travers des communautarismes et tribus de touts sortes, dans une jungle concentrationnaire un homme seul se trouve trés vite désocialisé et si le travail ne le permet plus cette socialisation qui à besoin d’être assuré à lors elle se propage et se glisse dans tous les yeux ou ceux qui y sont confronté l’emportent.

    au delà de cette réalité il y a l’usage politique qui en est honteusement fait comme tu le soulignes.

    mes deux articles sous le tien traitent de ce sujet également.

    cordialement.


  • peace06 25 février 2010 00:44

    La politique de « l’enfant roi » porte ses fruits ! comment un enfant à qui on n’a jamais dit « non » peut il l’admettre de son enseignant, de son collègue ?
    La politique de « l’avocat à tout prix » porte ses fruits... on n’ose plus dire quoi que ce soit à qui que ce soit de peur de se faire trainer au tribunal...
    Diviser pour mieux regner.... l’individu au lieu de la collectivité...


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