A quoi sert le sexe ?
Nous serions-nous fait avoir ?
Question
fondamentale que tout le monde oublie de se poser : Sur le « comment »
il existe des tonnes et des tonnes de livres, magazines, publications
sur le sujet disponible en toutes les langues et éditions depuis
l’invention de l’écriture au moment même où les phéniciens ont commencé
à recenser les moutons sur des tables d’argile (Ben oui, faut bien
compter les naissances dans un élevage, bande de pervers).
Vous allez me dire, Le sexe sert à se reproduire : je réponds que c’est loin d’être le système le plus rentable !
Il y a des tas de bestioles qui se passent très bien du sexe : les bactéries, les végétaux, les champignons et pas mal d’animaux ne se gênant pas non plus. Donc des espèces, des genres voire des règnes entiers qui ne comptent jamais fleurette et qui pourtant, ont des effectifs en forme. Des créatures qui n’ont jamais à se battre pour une histoire de partenaire, n’ont pas besoin d’écrire des livres comme la comtesse de Clèves pour exprimer leur frustration, ne perdent pas d’énergie lors du coït, n’ont pas besoin de mâles, de conseiller conjugaux, de mécanismes biochimiques en voulez vous en voilà, de prendre des risques par des apanages de formes et de couleurs invraisemblables comme sur la photo et encore je ne fais pas de liste exhaustive.
Il semblerait donc que l’espèce humaine se soit fait avoir… Pour ne pas utiliser une expression plus en rapport avec le sujet.
Prenez un exemple : les présidents de la république. Il y en a un seul à la fois, en un exemplaire non remplaçable en cas d’avarie (démence sénile, mutilation, cancer, mégalomanie, etc.) et pour le remplacer c’est la galère. Le cloner artificiellement je n’en parle même pas. Si la nature avait pu les faire se reproduire clonalement, nous aurions eu une existence beaucoup plus simple !
En les gavant de leurs plats préférés en conditions favorable à 22°C, nous pourrions cultiver des présidents de manière simple : Qui de gaufres fourrées, qui de tête de veau sauce ravigote, qui de hamburger cheese-caviar-champagne…Et hop deux présidents ! Par bourgeonnement ou par scission comme vous préférez : Dans le premier cas un nouveau président se forme à partir d’un membre ou d’un organe du premier, dans l’autre il va se diviser en deux morceaux égaux selon un axe de symétrie. Si votre président est de sexe féminin, la parthénogenèse (naissance en apparence normale, mais où le jeune n’hérite que des gènes de la mère. Le problème ici c’est que les français n’ont jamais eu de présidente donc nous allons devoir laisser tomber ici cette possibilité). A partir de deux présidents nous en obtenons 4 présidents, puis 8 présidents, 16, 32, 64, 128, 256, 512, 1028, 2056 et ainsi de suite, soit 2 puissance n divisions de président).
Plus besoin de cordons de sécurités, de garde du corps, rien du tout, on peut en garder un exemplaire à l’Elysée et la France peut dormir tranquille ! Même pas besoin de se contenter de minables en guise de ministres, on a assez de président pour tout faire d’un coup ! Donc désormais, on réoriente le téléthon, on occupe les biologistes (payés souvent avec nos impôts je rappelle) pour qu’on puisse avoir 2 puissance N président avant 2012 comme ça il n’y aura plus jamais besoin d’élection !
Quoi ? Pourquoi vous me regardez comme ça ? Non, je n’ai pas besoin d’une nouvelle camisole de force, j’ai ce qu’il faut à la maison. Si je vous assure. Et c’est gentil pour les cachets, mais j’ai ma réserve. Non, je n’ai aucun lien de parenté quelconque avec un certain Mr Frankenstein. Pff, on essaie de faire plaisir, de faire progresser l’humanité avec des idées pertinentes et voilà comment on est récompensé… Quelle bande d’ingrats !
En fait, l’humanité l’a échappé belle
Je dois bien reconnaître qu’il y a quelques couacs à se reproduire uniquement de façon asexuée. Les mutations délétères étant beaucoup plus fréquentes que les bonnes et comme fatalement, y a toujours un moment où se produit une mutation, ça veut dire qu’à terme, on risque d’avoir des millions de présidents oui, mais tous complètement dégénérés car fatalement, il est impossible d’échapper aux mutations indéfiniment ! Pareil pour l’évolution, elle ralentit des quatre fers ! Comment voulez-vous faire une sélection naturelle ou artificielle entre des organismes quasiment identiques ? Bonjour l’adaptation à de nouvelles conditions d’existence… Petit exemple de politique-fiction.
19 juin 13941 de notre ère
Une famille française reste les yeux rivés sur une machine présentant une lointaine parenté avec un ordinateur à génération d’images 3D. Enfin, dans un crachotement dû à l’origine clandestine du signal, un hologramme grandeur nature apparaît. Celui-ci joue au tourniquet sur une antique chaise à roulette modèle début du troisième millénaire et comme c’était prévisible sur ce genre d’engin, finit par se casser la figure. Il se relève avec force de jurons grossiers en se tenant les reins et cherche le public du regard. Une fois en face, il se fend d’un énorme sourire. Il a encore des miettes de gaufres au sucre au coin de la bouche.
« Salut les copains ! Bon désolé pour le retard d’un jour hein, mais bon c’est pas comme si on était pressé non plus. Moi non en tout cas. Je crois que je devrais vous parler de bataille, de guerre et tout ça mais la guerre je suis contre alors on va plutôt se faire des réussites. Quelqu’un a un jeu de carte ? ».
Fin de la politique fiction.
Somme toute, se reproduire uniquement par voie asexuée n’est peut-être pas une si bonne idée que ça, je vous le concède.
Mais si vous allez jusqu’au bout du raisonnement, on peut se demander pourquoi le sexe permet justement d’éviter ce genre de souci.
Déjà, la fécondation permet de mélanger le paquet d’allèle et de les redistribuer aléatoirement : Chaque enfant hérite ainsi d’un chromosome de sa mère et d’un chromosome homologue de son père : les combinaisons d’allèles différents permettent l’expression d’un nouveau phénotype et plus tard, la sélection naturelle éliminera les combinaisons les moins adaptées pour garder les meilleures. Mais ça ne suffira pas à éviter que les enfants finissent en parfaits zombies en titubant et bavant des choses incompréhensibles hors de contrôle (si on y réfléchit bien, c’est d’ailleurs des attributs propres à tous les enfants entre un et trois ans, comme quoi…)
Donc dans ce cas là, comment avoir une descendance qui tient la route au long terme : Réponse : La recombinaison. En gros, avant la fabrication des gamètes, les chromosomes se placent chacun face à son homologue (c’est-à-dire que comme nous avons deux fois chaque chromosome, ils font tous face à leur jumeau) et s’échangent des morceaux entiers avant la division de la cellule. Comme ça, au hasard de ces reconfigurations, un chromosome va se coltiner la plupart des mutations potentiellement délétères et on va garder un chromosome « sain » voire qui va recevoir toutes les mutations apportant un avantage. Bon bien sûr, cela est vrai sur un grand nombre de génération et d’individu, mais comme le taux de mutation n’est pas très élevé non plus, ça passe bien.
Autre avantage du sexe : Regrouper les mutations positives. Ben oui : Si on ne brasse pas tout ça à un moment, ça va être dur d’avoir une descendance avec des avantages en béton. D’ailleurs c’est connu, demandez donc aux politiciens : On prend une idée à droite, une idée à gauche, on regroupe le tout pour obtenir un truc super efficace et tout le monde finit baisé pour la bonne cause. Là, c’est pareil (sachant qu’après, la sélection naturelle fait le tri en fonction de l’environnement et que plus il y a de petits et donc de combinaison de gènes et d’allèles différents, mieux c’est… C’est peut-être au niveau du nombre de petits à la génération suivante que ma métaphore tombe à l’eau en fait). De cette façon, les combinaisons sont vraiment innombrables et on obtient un maximum de diversité génétique : Si les conditions de l’environnement changent, il y a plus de chance que quelques individus arrivent à y faire face et à perpétuer l’espèce.
Ouf. Finalement, courir après un partenaire n’est peut-être pas une perte de temps.
Cela dit, ça laisse des tas de subtilités envisageables : de nombreuses bestioles unicellulaires ne font de la reproduction sexuée qu’en période de vache maigre. Le temps est agréable et la nourriture abondante ? Une simple division est plus rapide et moins compliquée. Les pucerons font de même : Ceux près de la Méditerranée sont tous femelles et se multiplient sans aide, tandis qu’à l’extrémité septentrionale de l’aire d’habitat des pucerons (les pays scandinaves quoi) y a production de mâle à l’approche de l’hiver : Le sexe permet de faciliter le passage de la mauvaise saison. Les bactéries qui n’ont jamais de reproduction sexuée, ont pleins de moyens de tricher : certaines peuvent récupérer des bouts d’ADN sur des bactéries mortes, d’autres ont des systèmes appelés pilus sexuels pour injecter leur ADN dans une autre bactérie, c’est ce qui ressemble le plus à du sexe chez elles ! Et même les virus leur sont utiles en transportant accidentellement des morceaux d’ADN bactérien accolé dans leur propre génome. Voire, une autre astuce qui a fait halluciner son découvreur humain : elles ont des systèmes dits « SOS » en cas de conditions défavorables à leur survie pour faire des divisions avec plus de mutations : ça veut dire plus de cas non viables, mais aussi plus de probabilité qu’une mutation favorable survienne. Ça compense le fait qu’elles ne fassent ni fécondation ni recombinaison.
A ce stade, les lecteurs masculins devraient se sentir soulagés de savoir que le sexe existe (oui bon je sais, 99,99% des gens ici n’ont pas attendu pour ça) puisque sans sexe, nul besoin de mâles. Pas forcément de femelles non plus mais la parthénogénèse, perte secondaire du sexe après son apparition, montre qu’elles peuvent se débrouiller toutes seules un moment, même si des ennuis divers apparaîtront certainement à long terme.
Donc oui, le sexe est une bonne nouvelle pour les mâles puisqu’elle justifie leur existence (en grande partie, mais certains savent aussi garder les gosses comme l’hippocampe ou l’agami à aile blanche). Mais ça ne veut pas dire que leur indépendance est assurée pour autant et les bizarreries chromosomiques masculines sont pléthores :
La femme, un mâle manqué
Le sexe mâle chez les mammifères est déterminé grosso modo d’abord par un premier gène lors du développement embryonnaire : le gène SRY, situé sur le chromosome sexuel Y. S’il vient à « muter » et devient non fonctionnel, l’embryon portant quand même XY donnera une femelle (pas forcément en bonne santé et fertile cependant).
L’homme, cette femelle dégénéré
Le coup de la femme qui serait un mâle manqué, je l’ai entendu en terminale, ce qui a beaucoup fait rigoler une bonne partie de la classe. Mais si comme moi vous avez l’esprit rancunier, voici un argument plus sérieux que « Eve, c’est le chef d’œuvre après le brouillon » : En gros, le chromosome Y est un minus par rapport au X. En fait, il a progressivement perdu des gènes au fil des mutations sans les compenser : Cette situation s’expliquerait par le fait qu’il ne soit transmis que d’homme en homme : Non, les mecs ne sont pas forcément de gros étourdis c’est juste qu’il faut plus de division pour faire un spermato qu’un ovule et par là, il y a plus de mutation ! Et comme ce n’est généralement pas plus gênant que ça, c’est resté tel quel dans nos chromosomes : L’unique chromosome X fait tout le boulot à la place du petit Y (ainsi épargné par la sélection naturelle, en somme). Par contre c’est aussi pour ça qu’il y a des maladies génétiques plus courantes chez les hommes : En cas de dysfonctionnement, ils n’ont pas d’allèles de secours comme les femmes.
Les fourmis : 1 femelle vaut 2 mâles
Non, ce n’est pas tiré d’une religion mysoandre. Mais les mâles ne sont ici vraiment, génétiquement parlant, que des moitiés de femelles ! La reine utilise du sperme pour produire des ouvrières ou des futures reines (la différenciation entre les deux se fait par l’alimentation). Par contre les mâles sont nés d’œufs non fécondés, pas tout à fait par parthénogénèse car il n’y a qu’une moitié du génome de la mère sans aucune compensation (ce ne sont pas des clones et ils n’y a aucun rattrapage du matériel génétique qui leur manque). Ajoutez à ça qu’ils copulent souvent avec leurs sœurs et vous aurez une idée du taux de consanguinité qui règne chez les héroïnes du best-seller de Bernard Weber. Heureusement qu’elles ne sont pas pédophiles et encore moins chômeuses, on aurait pu les prendre pour des nordistes. La situation est exactement la même chez les autres insectes sociaux de leur branche comme les abeilles. Ce système permet aussi d’expliquer comment des bestioles se sacrifiant pour leur reine ne constituent pas un contre-exemple à la sélection naturelle : Les ouvrières partagent la majeure partie de leur ADN avec leur génitrice, qui le transmet pour elles à la génération suivante.
Les guêpes du figuier : Orgie entre frères et sœurs
Désolé si le paragraphe précédent vous a choqué, mais là ça ne va décidément pas s’arranger. Les guêpes du figuier se reproduisent comme suit : Une femelle pleine entre dans une figue, qui est la fleur (avec une forme passablement incongrue c’est vrai) et non le fruit, y pond ses œufs, et meurt. Les larves éclosent, se bâfrent de chair de figue (les futures graines sont hors de leur portée) et finalement muent et s’accouplent. Si une seule mère guêpe est entrée dans la figue, c’est obligatoirement entre frères et sœurs. Les mâles meurent sans voir la lumière du jour et les femelles fécondées sortent pour trouver une nouvelle fleur de figuier, se couvrant de pollen en sortant de leur abri, et féconderont une autre fleur en allant pondre.
Mais alors, Oedipe, c’était du pipeau ?
Vous devez vous demander comment de tels systèmes peuvent persister alors qu’il est admis, dans toutes les cultures humaines que l’inceste, c’est le MAL. Ce qui est vrai pour les humains ne l’est pas forcément pour le reste du monde vivant : Un système consanguin « traditionnellement » en place dans une espèce revient à éliminer les mutations délétères presque aussitôt qu’elles se produisent puisqu’il y aura le plus souvent deux allèles identiques pour un gène, donc aucune « roue de secours » en cas de mauvaise mutation et les malades génétiques sont éliminés de suite.
Chez les autres bestioles comme nous, la présence d’un allèle en mauvais état est très souvent cachée par l’autre exemplaire, lui sain. D’ailleurs, le système de santé française rend obligatoire le dépistage de la mucoviscidose au-delà d’un certain seuil de risque. Si un frère et une sœur ont chacun des probabilités banales, ils franchissent quand même allègrement le seuil de risque en procréant ensemble.
De toute façon Yves Coppens l’a écrit bien mieux que moi : les raisons qui rendent l’inceste aussi néfaste sont d’ordre culturel plutôt que naturel : Négation du passage du temps au fil de l’histoire, pas de recherche d’autres familles et donc de nouveautés culturelles, pas d’alliés pour la tribu, etc. Comme quoi, tout ce qui est naturel n’est pas forcément applicable à l’être humain...