vendredi 6 juin 2008 - par ProAnima

Après cent ans de solitude, la « révolution » cellulaire enfin en marche ?

« Révolution cellulaire » en cours dans le domaine de la toxicité.

Après trente ans d’hégémonie du gène, on annonce enfin le retour de la cellule comme élément central du vivant et comme outil incontournable de la biotechnologie. Il faut saluer cette prise de conscience, si tardive soit-elle (la récente annonce dont il est fait mention fait suite à un impressionnant travail de fond réalisé depuis plusieurs années par les agences réglementaires et scientifiques américaines et qui a abouti il y a quelques mois à un rapport de synthèse final de quelque 200 pages).

Dans un pays qui commémore à tout va, rendons justice puisque l’occasion se présente, à une avancée scientifique tout juste centenaire. C’était en 1907, année où Ross Harrison, un jeune professeur de l’université de Yale, décrit la première fois une technique de culture de cellules qu’il applique à des neurones de grenouille. Le sulfureux Alexis Carrel, chirurgien français, expatrié à New York au début du siècle, reprend rapidement la méthode et déclare : « j’ai découvert que la vie hors de l’organisme est possible ». La machine est lancée. Carrel crée une lignée cellulaire qu’il dit immortelle. Il prétend l’avoir maintenue en culture pendant plus de vingt ans et entretient un mysticisme autour des modèles cellulaires et de leur potentiel thérapeutique. Dans le même temps, l’opinion publique britannique se braque sur les travaux de l’Institut Strangeways à Cambridge qui présente la culture cellulaire et tissulaire comme l’outil le plus prometteur de l’avenir de la recherche en biologie. « Sommes-nous sur le point de créer la vie ? » titrent en gros caractères les tabloïdes. En tout cas, vers la fin des années 20, l’influence de la culture cellulaire sur l’imaginaire collectif en est à son apogée. Les cellules vont permettre de re-créer des organismes et pourquoi pas… des bébés éprouvettes. Une cellule de réflexion se cristallise autour d’un groupe d’amis londoniens, chercheurs et écrivains, les Haldane et les Huxley. Elle aboutit à plusieurs publications et la parution en 1931 du retentissant Meilleur des mondes qui traduit avec subtilité cette fiction plausible.

Carrel, alors au sommet de sa carrière de chirurgien, rentre en France dans les années 30 avec dans ses bagages un prix Nobel, mais également des idées et des propos eugénistes qui préfigurent les heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale. Le sérieux de la discipline va en être largement affecté. Après guerre, la technologie est déjà parfaitement maîtrisée et le seul débat qui persiste reste celui du droit des patients à disposer de leurs cellules. L’histoire d’Henrietta Lacks, patiente qui va malgré elle fournir ses cellules – dites HeLa – à partir des années 50 à des générations de chercheurs est un cas d’école. A partir des années 70, le soufflé s’est tellement effondré que plus personne, dans l’opinion publique, ne fait plus cas des cultures de cellules. La recherche est laissée aux chercheurs qui se cloîtrent dans leurs laboratoires. Ce n’est qu’avec la maîtrise des cellules souches en ce début de XXIe siècle que s’ouvre enfin le dialogue.

Dans ce contexte historique, qu’en est-il des applications des cultures cellulaires en toxicologie ? Le débat est lancé depuis une vingtaine d’années. Il y a ceux qui pensent qu’une cellule ou un tissu reconstitué ne remplaceront jamais un organisme entier et ceux qui affirment à l’inverse que le modèle animal ne peut en aucun cas s’extrapoler à l’homme. S’ajoutent de légitimes problèmes d’éthique dans un monde où nous tuons des animaux pour notre bien-être dans un contexte environnemental où l’homme se montre de plus en plus irrespectueux de la nature. Pourtant, grâce aux nombreux modèles mathématiques et statistiques, l’arbitre entre l’animal et la cellule existe depuis un certain temps et plusieurs tests de toxicité cellulaires ont déjà démontré leur capacité à remplacer des tests animaux.

Venons-en à l’avenir. Quels tests financer et pour quels horizons ? Soyons simple et disons qu’il y a deux stratégies possibles. La première, dite phénotypique – on peut risquer le terme de phénomique – consiste à se concentrer sur un événement majeur et global associé à la toxicité comme par exemple la mort cellulaire ou l’apparition de lésions de l’ADN. Sa difficulté principale est d’assurer le débit suffisant et compatible avec les besoins du futur. Comme exemple, on peut citer bien sur la directive REACH qui impose de tester dans les dix ans à venir plus de 30 000 molécules à une quinzaine de doses différentes et dans différents contextes de toxicité. La seconde, dite génomique, aborde le problème par l’angle opposé. On ne cible pas un événement, mais on analyse (ou tente d’analyser) la somme des micro-événements que traduit l’expression de l’ensemble de nos gènes.

La première approche reste pragmatique. Elle s’attache à concilier les aspects réglementaires et les données contemporaines de la biologie cellulaire. Sa vision est à court terme et répond à des cahiers des charges précis. Elle souffre d’un sous-financement chronique qui a pour conséquence de maintenir l’omniprésence du modèle animal dans les décisions réglementaires. La seconde est ambitieuse et parie sur une meilleure connaissance de la fonction des gènes dans les années à venir. Car tout est là. Sans idée précise du rôle des gènes qui s’allument ou qui s’éteignent dans les biopuces, point d’information et point de salut. Or, sur les quelque 30 000 gènes qui constituent notre patrimoine, seule la fonction de quelques centaines est élucidée avec précision. Bien sûr, les efforts dans ce domaine sont considérables, mais les connaissances à accumuler le sont tout autant. Si la « révolution cellulaire » se résume donc à la toxico génomique comme le suggère l’article du 18 février, elle ressemble alors à une poignée de barbudos encore retranchés dans notre Sierra Maestra chromosomique, et bien incapables, pour l’heure, de renverser l’ordre des choses. Non, l’effort doit être mené en parallèle sur les deux fronts, lesquels d’ailleurs ne s’excluent pas mutuellement. Le premier front - phénomique - devrait aboutir à des solutions concrètes et rapides, le second - génomique - évoluera encore un temps au rythme des découvertes et révolutionnera, un jour peut-être, les outils de la toxicologie.

De Christophe Furger, docteur en biologie (université Paris VI), chercheur en biologie cellulaire.




Réagir