mardi 8 octobre 2019 - par Sylvain Rakotoarison

Bioéthique 2019 (2) : attention, les embryons humains ne sont pas que des « amas de cellules »

« Puisqu’il s’agit des "lois de bioéthique" et non de principe de compétition internationale, on s’étonne de l’argument avancé par certains d’un risque de "retard" par rapport à des concurrents étrangers, en particulier pour d’éventuels brevets. Pourtant, la loi comme les discours obligés évoquent largement la "dignité" de l’embryon humain et le "respect" qui serait dû à cette potentialité de personne. » (Pr. Jacques Testart, Mediapart, le 28 mars 2011).



Attention, un train peut en cacher un autre. Un train de la bioéthique. J’avais déjà alerté le 10 juillet 2013 sur le grand danger des révisions des lois sur la recherche sur les embryons humains, notamment lorsqu’une loi, en dehors de tout cadre de concertation pour la bioéthique, a été adoptée en catimini en plein été, et elle fut promulguée le 6 août 2013 (ceux qui me connaissent ne peuvent guère me reprocher d’être contre la recherche scientifique en général !). Voici que cette loi, déjà bien trop "libérale" va être une nouvelle fois assouplie dans la plus grande discrétion, dans la foulée de la PMA, mesure sociétale symptomatique dont le bruit et la fureur médiatiques effacent toutes les autres mesures parfois bien plus importantes dans leurs enjeux éthiques.

Depuis le 24 septembre 2019, les députés sont effectivement en train d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique déposé par le gouvernement le 24 juillet 2019 et modifié et validé par une commission parlementaire spéciale le 13 septembre 2019. Les médias font beaucoup état de son article premier qui propose l’extension de la PMA.

Une première manifestation des opposants à ce projet, contre la "PMA sans père", a réuni ce dimanche 6 octobre 2019 à Paris, entre le Sénat et Montparnasse, environ 600 000 personnes selon les organisateurs et 42 000 personnes selon la police. Je ne sais pas si cela peut être considéré comme un succès ou un échec, mais toujours est-il que cet article premier semble être approuvé par une majorité de sondés, dans les récentes enquêtes d’opinion, et qu’aucune opposition très virulente n’existe au sein du Palais-Bourbon (les opposants de gauche du gouvernement y sont très favorables, et les opposants à droite et au centre droit hésitent sur la ligne à suivre). Il y a peu de doute que cette réforme passera, et passera beaucoup plus facilement que bien d’autres réformes dites sociétales comme la loi Veil ou le mariage pour tous.


L’enjeu de dignité des embryons humains

Pourtant, à mon sens, les enjeux éthiques ne sont pas les plus importants dans cet article premier. Le projet a intégré de nombreuses dispositions (il y a sept "titres" dans ce texte), notamment sur le plan de la famille et de la filiation (conséquence directe de l’extension de la PMA), mais également sur la recherche sur les embryons humains. Dans l’esprit du gouvernement, il y a une nécessité de favoriser cette recherche afin de renforcer la technologie sur la procréation. C’est un peu tiré par les cheveux, car, à mon sens, il s’agit de deux sujets très différents.

Or, ce titre IV du projet de loi (articles 14 à 18) évoque ce sujet très sensible de la recherche sur l’embryon humain. Déjà, remarquons que l’appellation de ce titre n’est pas en perspective sous l’angle de l’éthique mais sous l’angle de la recherche (lire le texte du professeur Jacques Testart mis en tête de cet article, qui a plus de huit ans mais qui reste toujours valable aujourd’hui, plus que jamais). Il parle en effet de « soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine ». C’est un beau titre, mais qui laisse de côté justement l’éthique, qui, pourtant, est le sujet majeur de ce projet de loi.

Les conditions sur la recherche sur l’embryon humain ne sont pas très médiatisées. Heureusement, les députés ont déposé beaucoup d’amendements, comme l’a fait remarquer Frédérique Vidal, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, lors de son audition parlementaire du 9 septembre 2019 : « Ce qui a conduit le législateur à se pencher sur la bioéthique pour la première fois, en 1994, est l’ampleur du questionnement éthique lié à la recherche sur l’embryon. Ce sujet demeure source de débats, comme en témoignent les très nombreux amendements déposés sur ce seul aspect du projet de loi. Rappelons que ce dernier réaffirme les grands principes de notre droit de la bioéthique en en précisant la portée. D’abord, l’interdiction de produire des embryons à des fins de recherche demeure. Le gouvernement réaffirme son attachement à ce principe fort, énoncé par des textes internationaux dont nous sommes signataires. Les embryons proposés à la recherche ont été conçus dans le cadre d’un projet parental et leur destination est conditionnée au recueil du consentement du couple et au contrôle de l’Agence de la biomédecine. ».

Malgré ces grands principes, le projet de loi détricote les "freins éthiques". Et Frédérique Vidal n’a pas caché son objectif : « Nous serons attentifs à toutes les suggestions qui permettront de garantir la sécurité juridique des chercheurs et laboratoires. ». La sécurité juridique, c’est de ne pas être hors-la-loi avec ses travaux de recherches. C’est donc réduire les contraintes éthiques. L’intention est assez clairement annoncée.

Les députés n’ont pas encore débattu de cette partie du projet au stade actuel (avant la séance publique du lundi 7 octobre 2019). Mais déjà en débat préliminaire, certains députés étaient très combatifs pour s’attaquer à cette partie du texte qui assouplit énormément les conditions de recherches sur les embryons humains. Ce sujet est complexe, tant juridiquement que scientifiquement. La dignité humaine est de respecter ce qui est une vie humaine, et l’embryon humain, en ce sens, est une personne en devenir, qui n’a pas toutes les protections, puisque l’avortement est autorisé (et pas seulement l’embryon, le fœtus également), mais parallèlement, il jouit d’un statut juridique particulier. C’est ce statut qu’on est en train de modifier, de le dégrader, en fin de compte.


Un "amas de cellules", vraiment ?

Ce qui a beaucoup choqué certains députés, c’est la phrase qu’a (maladroitement) prononcée la Ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn dans l’Hémicycle lors de la séance du 26 septembre 2019. Elle a en effet déclaré : « Le débat sur ces sujets est toujours épidermique. Vous avez utilisé un terme qui choque, monsieur Breton [Xavier Breton, député LR, très investi dans les débats éthiques], en affirmant qu’on tuait des embryons pour la recherche. Non. L’embryon n’est pas un être humain, mais un amas de cellules. ». Grincements de dents.

Le député centristes Charles de Courson a alors immédiatement exprimé son émotion devant une telle phrase : « Quel est le statut juridique de l’embryon surnuméraire ? Vous avez dit quelque chose qui m’a choqué, madame la ministre : l’embryon est un amas de cellules. Moi, je suis un amas de cellules, madame la ministre. Mais on ne fait pas de recherches sur moi-même sans que je donne mon accord. Rabelais disait que "science sans conscience n’est que ruine de l’âme". Or, en tant que législateurs, nous n’avons pas répondu à cette question qui hante les débats bioéthiques depuis des années : quel est le statut juridique de l’embryon surnuméraire ? On invoque la technique, encore faut-il avoir une certaine conception des êtres. En tout cas, je suis désolé, mais l’embryon surnuméraire n’est pas qu’un amas de cellules. ».

Le député LR Xavier Breton, lui aussi, a réagi : « Nous avons bien entendu madame la ministre des solidarités et de la santé nous expliquer qu’un embryon était "un amas de cellules". Il était réduit à cela ! Si l’on se fonde sur cette définition, l’embryon est un produit, un matériau avec des caractéristiques et des qualités diverses. On peut en disposer comme d’un bien que l’on achète chez Conforama en s’adressant au service après-vente auquel on explique qu’il y a tel ou tel défaut et que l’on veut faire un échange. Mais il existe une autre approche de l’embryon qui serait un peu plus qu’un amas de cellules. Nous avions d’ailleurs cru comprendre, en écoutant le rapporteur Jean-Louis Touraine s’exprimer sur la procréation médicalement assistée post mortem qu’il existait bien un intérêt supérieur de l’embryon. On voit que la confusion règne. La notion de qualité de l’embryon est très gênante. (…) Nous ne disons pas que l’embryon est une personne humaine (…) ; nous estimons seulement que, dès lors qu’un doute existe, (…) nous disons : il y a la vie à naître. Nous parlons d’une interrogation qui traverse les âges et les siècles. Vous y répondez de manière définitive en affirmant qu’un embryon n’est qu’un amas de cellules dont on peut faire ce que l’on veut, un produit dont je définis la qualité et les caractéristiques. Nous pensons qu’il faut aller un peu plus loin sur un sujet qui taraude l’humanité. Nous n’avons pas de réponses définitives, mais nous pouvons au moins partager nos doutes. C’est tout l’objet de l’article 16 du code civil, qui garantit le respect de la vie dès son commencement, ou de la loi Veil qui respecte un équilibre entre la liberté de la femme et la protection de la vie à naître. Vous, vous en restez à la notion d’amas de cellules. C’est pour cela que nous nous interrogeons sur la notion de "qualité" de l’embryon, telle que vous l’employez dans le projet de loi. Il faut absolument la définir dans le texte. ».

Comprenant la réaction de ces députés, Agnès Buzyn est finalement revenue quelques minutes plus tard sur sa déclaration pour préciser heureusement : « Pour donner une idée de ce que cela représente visuellement, j’ai eu recours à une image, mais je ne nie en rien la personne humaine potentielle qu’est l’embryon. C’est d’ailleurs au nom de cette potentialité de l’humain que nous devons respecter la dignité de l’embryon, et que des lois de bioéthique s’appliquent à lui et à sa spécificité, que ce soit dans le cadre de l’AMP, l’assistance médicale à la procréation, ou de la recherche. Je prie ceux que j’ai pu choquer par mon propos de bien vouloir me pardonner. En AMP, la notion de qualité de l’embryon a un sens précis. Elle concerne par exemple l’embryon dont le nombre de cellules est insuffisant par rapport au stade de développement attendu, ce qui laisse imaginer l’existence de nécroses cellulaires. Le terme sera utilisé pour évoquer des cellules fragmentées qui font soupçonner une effraction de l’embryon au moment de la décongélation par la manipulation. On parle de qualité visuelle de l’embryon. Ce terme est objectivable visuellement. Cela mérite d’être précisé, car il ne faut pas faire de procès d’intention sur ce fondement. » (26 septembre 2019).

D’ailleurs, l’incident s’est clos assez rapidement puisque, dans un souci d’apaisement, le député Xavier Breton a même retiré son amendement qui voulait changer le mot "qualité" pour ne pas polémiquer sur uniquement un mot de vocabulaire : « Si, plutôt que "sauf si un problème de qualité affecte ces embryons", vous aviez écrit "sauf si ces embryons ne sont pas viables", cela aurait été plus clair. Dans ce cadre, nous pouvons nous entendre. Sur la foi d’une explication sur laquelle nous pouvons nous accorder et qui sera inscrite dans le compte-rendu de nos débats, je retire mon amendement. ». La députée NI Emmanuelle Ménard a retiré également un amendement du même type.

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Pour essayer de comprendre quels sont les enjeux qui sont touchés par le projet de loi actuel, il faut essayer de faire un résumé que j’espère le plus clair possible de la situation scientifique et de la situation juridique de la recherche sur l’embryon humain.


Pourquoi la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches ?

La procréation par fécondation in vitro a permis la conception d’embryons humains, mais tous n’ont pas été implantés dans l’utérus de la mère, et sont alors congelés ou détruits. Le concept de "projet parental" associé à un embryon donné est essentiel car s’il n’y a plus de projet parental (embryon surnuméraire), alors il y a éventuellement destruction ou stockage de l’embryon, le stockage en vue éventuellement d’un don ultérieur ou, selon le législateur, en vue d’une recherche sur celui-ci, dans le cas du consentement des géniteurs d’origine. En 2015, on compte en France plus de 220 000 embryons humains ainsi stockés. Le stockage ne peut être prolongé au-delà de cinq années.

Pourquoi voudrait-on faire des recherches sur l’embryon humain ? Au début du développement de l’embryon, chaque cellule (de la première aux suivantes) a une propriété fascinante : elle est tout en un, elle a la potentialité de tous les organes de l’être en devenir, avant toute spécialisation ultérieure. Ce sont des cellules souches embryonnaires. Elles sont totipotentes, permettant de développer un nouvel organisme humain (un nouvel embryon, c’est le principe des jumeaux), ou pluripotentes, permettant de produire tout type de tissu humain. Elles ont été identifiées en 1998 et pourraient être une clef pour produire des organes compatibles à greffer chez les personnes qui sont en attente de greffe.

Notons que pour l’instant, aucun objectif n’a été atteint sur les recherches de ce type, lorsqu’elles ont été juridiquement possibles dans certains pays. Le Japon a récemment autorisé une recherche très particulière puisqu’il s’agit d’intégrer des cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal (porc par exemple) pour ensuite récupérer des organes à greffer sur les personnes humaines le nécessitant. Pour l’instant, jamais un animal n’est né ainsi mais on imagine la diversité et les menaces qui caractérisent une telle recherche.


Si le projet de loi préserve clairement (et même plus explicitement qu’auparavant) l’interdiction d’introduire une cellule souche embryonnaire d’origine animale dans un embryon humain, il semble plutôt dans la logique d’autoriser l’inverse, à savoir l’introduction d’une cellule souche embryonnaire humaine dans un embryon animal, car, selon la ministre, il y a de fortes attentes thérapeutiques dans ce domaine.

Le gros problème de la recherche sur ces cellules souches embryonnaires, c’est qu’on doit détruire l’embryon pour prélever ces cellules. En faisant cela, le chercheur considère l’embryon humain comme un simple matériau biologique et pas une personne humaine en devenir, dans sa spécificité et son unicité.

D’autres cellules souches existent, dites adultes, qu’on peut récupérer dans le sang du cordon ombilical lors de la naissance ou même dans le cordon ombilical lui-même. Avec ces cellules, des traitements thérapeutiques peuvent être faits pour soigner les leucémies, les brûlures, etc. Ces cellules présentent moins de problèmes éthiques que les cellules souches dérivées d’embryon humain.

Enfin, depuis 2007, l’équipe du professeur Shinia Yamanaka travaille au Japon sur des cellules souches dites pluripotentes induites (iPS en anglais), travail qui lui a valu l’attribution du Prix Nobel de Médecine en octobre 2012. Ces cellules souches ne sont pas issues de l’embryon ni du cordon ombilical, mais sont des cellules adultes "normales" qui ont été reprogrammées (par un procédé particulier) pour devenir des cellules pluripotentes.

Les conséquences éthiques sont énormes puisque ces cellules iPS, qui peuvent être prélevées sur une personne sans la détruire (sans la tuer), peuvent ainsi être utilisées (avec le consentement du donneur, bien évidemment) à des fins de recherches scientifiques sans que se pose le problème de la destruction volontaire de l’embryon à des fins qui ne sont pas thérapeutiques (et donc à des fins utilitaires). En simplifiant certes bien trop grossièrement, on peut faire l’analogie avec des cheveux coupés qu’un coiffeur récupérerait pour en faire ce qu’il veut (dès lors que le propriétaire des cheveux est d’accord, il n’y a pas, a priori, de gros problèmes éthiques, voir cependant plus bas ce que propose la loi).

Avec les cellules iPS, la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’a plus beaucoup de sens et devient anachronique, d’autant plus que l’utilisation de ces dernières pose de graves problèmes éthiques. Même si, effectivement, la recherche sur les cellules iPS n’a pas plus abouti que sur les cellules souches embryonnaires, on peut imaginer plus de facilité à organiser une recherche moins contestable éthiquement. L’avenir paraît être dans cette voie et non en partant d’un embryon humain.


Ce que dit l’Église catholique

Venons-en maintenant à l’aspect juridique de ces recherches. Mais avant de présenter la législation française sur le sujet, je voudrais d’abord présenter ce qu’en pense l’Église catholique. Pourquoi ? Parce que l’Église catholique a toujours cherché à prendre en compte les nouvelles technologies pour tenter de définir ce qui est moralement admissible, selon la doctrine catholique, et ce qu’il ne l’est pas. Sous certaines conditions, l’Église accepte un certain nombre de techniques modernes, comme le diagnostic prénatal et la fécondation in vitro (sans donneur extérieur aux parents).

Il ne faut effectivement pas croire que l’Église soit opposée à toute avancée scientifique et l’auteur du texte suivant, qui l’était en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (une sorte de ministre de la doctrine), fut aussi celui qui a inspiré, sinon rédigé "Fides et ratio" [La Foi et la Raison], la très fameuse encyclique du pape Jean-Paul II publiée le 14 septembre 1998 qui commence ainsi : « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. ».

Cet auteur, donc, c’est Mgr Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, qui a publié le 22 février 1987 un texte "sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation : réponses à quelques questions d’actualité" : « L’être humain doit être respecté, comme une personne, dès le premier instant de son existence. (…) "[La science génétique] a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme individuel avec ses propres caractéristiques déjà bien déterminées. Dès la fécondation, est commencée l’aventure d’une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir" [déclaration de la Congrégation de la doctrine de la foi du 18 novembre 1974]. ».

Le pape Jean-Paul II a par ailleurs déclaré le 29 octobre 1983 à la 35e assemblée générale de l’Association médicale mondiale : « Une intervention strictement thérapeutique [sur l’embryon] se fixe comme objectif la guérison de diverses maladies, comme celles dues à des déficiences chromosomiques, sera, en principe, considérée comme souhaitable, pourvu qu’elle tende à la vraie promotion du bien-être personnel de l’homme, sans porter atteinte à son intégrité ou détériorer ses conditions de vie. Une telle intervention se situe en effet dans la logique de la tradition morale chrétienne. ».

Néanmoins, le texte du 22 février 1987 est très clair sur la recherche et l’expérimentation sur un embryon humain non mort hors objectif thérapeutique sur l’embryon lui-même : « Aucune finalité, même noble en soi comme la prévision d’une utilité pour la science, pour d’autres êtres humains ou pour la société, ne peut en quelque manière justifier l’expérimentation sur des embryons ou des fœtus humains vivants (…). L’utilisation de l’embryon humain ou d’un fœtus comme objet ou instrument d’expérimentation représente un délit à l’égard de leur dignité d’êtres humains ayant droit au même respect que l’enfant déjà né et toute personne humaine. (…) Dans le cas de l’expérimentation clairement thérapeutique, c’est-à-dire s’il s’agissait de thérapies expérimentales utilisées au bénéfice de l’embryon lui-même comme une tentative extrême pour lui sauver la vie, et faute d’autres thérapies valables, le recours à des remèdes ou à des procédés pas encore entièrement éprouvés peut être licite. ».

Quant au problème insoluble des embryons surnuméraires, l’Église n’a aucune réponse et parle de leur "sort absurde" : « Par le fait qu’ils ont été produits in vitro, ces embryons non transférés dans le corps de la mère, et qualifiés de "surnuméraires", demeurent exposés à un sort absurde, sans qu’il soit possible de leur donner des voies de survie certaines et licitement réalisables. ».

Pour résumer la position de l’Église catholique sur le sujet, le texte du 22 février 1987 propose ce principe simple pour guider la réflexion éthique : « La recherche médicale doit s’abstenir d’interventions sur les embryons vivants, à moins qu’il n’y ait certitude morale de ne causer de dommage ni à la vie ni à l’intégrité de l’enfant à naître et de sa mère, et à condition que les parents aient donné pour intervention sur l’embryon leur consentement livre et informé. ».

Une autre déclaration de la Congrégation de la doctrine de la foi publiée plus récemment, le 8 septembre 2008, précise : « La réalité de l’être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d’affirmer ni un changement de nature, ni une gradation de la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et éthique. L’embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne. ». Il n’y a donc pas à distinguer un embryon humain avec ou sans projet parental, avant ou après son implantation pour gestation.

Une fiche sur le sujet publiée récemment par la Conférence des évêques de France insiste sur ce point : « Les recherches tant sur l’embryon que sur les cellules souches embryonnaires, dans la mesure où elle implique la destruction d’embryons humains (…), représentent une grave transgression éthique car elles atteignent un être humain dont l’extrême vulnérabilité tend à masquer sa dignité. L’instrumentation d’un être humain ne peut jamais se justifier, même en vue d’une finalité thérapeutique espérée. Et moins encore pour alimenter la recherche fondamentale, par exemple en vue d’améliorer les résultats de l’AMP. (…) La transgression éthique [sur les embryons] se justifie d’autant moins que les recherches sur les cellules souches qu’elles soient adultes, issues du cordon, ou pluripotentes induites, ne se heurtent à aucune objection éthique majeure. ».


Cadre juridique de la recherche sur l’embryon humain

Ces réflexions ne sont pas seulement celles des catholiques puisque la France a exprimé la même volonté d’interdire toute expérimentation sur les embryons humains dans sa première loi sur la bioéthique, la loi du 29 juillet 1994 qui a inscrit à l’article 16 du code civil le principe soutenu par le christianisme du « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». La loi a repris l’avis n°1 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) du 22 mai 1984 qui a défini l’embryon humain comme une « personne humaine potentielle ».

La loi du 6 août 2004 a assoupli une première fois l’interdiction de toute recherche portant atteinte à l’intégrité de l’embryon humain en introduisant des dérogations temporaires à l’interdiction sur des embryons n’étant plus associés à un projet parental et dans le but de "progrès thérapeutiques majeurs". La loi du 7 juillet 2011 a augmenté la possibilité des dérogations notamment en remplaçant l’objectif thérapeutique par l’objectif médical, avec une clause de conscience pour les chercheurs (ayant le droit de refuser de travailler sur ces sujets).

Et puis, il y a eu cette loi du 6 août 2013 que j’ai citée en début d’article, votée à la sauvette dans la chaleur de l’été, qui a complètement bouleversé le principe d’interdiction. Certes, la loi n’a à peu près rien changé concrètement sur la réalité des recherches dans ce domaine, sauf le principe d’interdiction. Avant 2013, il était interdit de faire des recherches sur les embryons humains (et donc, sur les cellules souches embryonnaires), sauf dérogation. Après 2013, ces recherches sont permises, mais nécessitent une autorisation.

Et les conditions d’obtention de l’autorisation étaient alors à peu près les mêmes que les conditions pour avoir une dérogation. Mais le paradigme de l’autorité de l’État a ainsi totalement changé. Et il n’était pas difficile de prévoir qu’inévitablement, profitant de cette brèche juridique, la loi assouplirait encore et encore ces recherches sur les embryons humains alors qu’avec les cellules souches pluripotentes induites, les recherches sur les embryons ne sont plus nécessaires pour faire les mêmes avancées technologiques (voir mes explications plus haut).

D’ailleurs, ce fut le cas dès la loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé, où, dans le cadre d’une PMA, sont possibles (article 155) les recherches sur les gamètes destinés à faire un embryon humain, ou sur l’embryon humain in vitro, avant ou après son implantation dans l’utérus, avec trois principes : consentement, prudence et gratuité.

Pourtant, la France a ratifié la Convention d’Oviedo, qui interdit formellement, dans son article 18, la fabrication d’embryons humains aux fins de recherche (ce principe est respecté par la France, même dans le projet de loi actuel, on n’a pas le droit de produire des embryons uniquement pour faire de la recherche, elle doit se faire à partir des embryons surnuméraires issus initialement d’un projet parental).

Non seulement le législateur a, en gros, une décennie de retard, du point de vue des chercheurs (du moins, ceux qui se moquent des problèmes éthiques), mais en plus, il casse désormais le principe initial de respect des embryons humains, ouvrant la porte à tous les débordements futurs.

Pourquoi ? Parce que le titre IV du projet de loi modifie considérablement les contraintes déjà réduites sur la recherche sur les embryons humains. Désormais, au lieu d’une autorisation, une simple déclaration suffira peut-être (article 14 du projet de loi). Cela veut dire que si l’autorité compétente (je passe sur les détails) ne répond pas selon un certain délai (réduit), l’autorisation est considérée comme acquise. C’est une nouvelle fois très différent de l’autorisation formelle (qui nécessite une réponse de l’autorité).


Attention à la déréglementation sur l’embryon humain !

Un nouveau verrou est donc en train peut-être de sauter. J’écris "peut-être" car la ministre a laissé une certaine marge de manœuvre sur les amendements qui pourraient être approuvés par le gouvernement au cours de la discussion parlementaire.

On voit donc l’évolution. 1994 : interdiction complète de jouer avec les embryons humains. 1998 : découverte des cellules souches embryonnaires. 2004 : interdiction sauf dérogation. 2007 : découverte des cellules iPS. 2011 : dérogation élargie. 2013 : autorisation sous conditions. 2019-2020 : peut-être simple déclaration ?

Il y a d’autres assouplissements prévu par le projet de loi. Par exemple, actuellement, on n’a pas le droit de développer un embryon humain au-delà de sept jours. Avec ce texte (article 14), cela passe à quatorze jours (comme beaucoup de législations européennes actuelles). On est très loin des douze semaines du fœtus pour l’avortement, c’est vrai, mais la différence est que cette action sur l’embryon n’a aucune utilité pour l’embryon lui-même et l’être en devenir associé, ni même pour les géniteurs (au contraire de l’avortement où l’idée de la loi Veil, je le répète, était de sauver la mère). Il n’est ici considéré que comme un matériau biologique, comme du sang, des cellules de peau, etc.

Le sujet est complexe et il faut reconnaître que le projet de loi est contrasté. Ainsi, il propose, dans son article 15, un statut particulier aux cellules souches iPS, ce qui n’était pas le cas auparavant (c’est très théorique, car, à ma connaissance, aucune équipe française ne travaille pour l’instant sur ces cellules iPS) parce qu’elles ont cependant des caractéristiques particulières et que rien n’empêcherait dans un avenir plus ou moins lointain de produire un embryon humain à partir de ces cellules iPS. Ce nouveau statut serait donc plutôt un progrès dans le cadre de l’éthique.

Mais parallèlement, le texte (article 14) propose de distinguer le statut de l’embryon humain du statut des cellules souches embryonnaires. Pourquoi ? Parce que des cellules souches embryonnaires sont cultivées à partir d’une lignée. Pour démarrer une lignée, il a fallu détruire un embryon, mais ensuite, les autres cellules provenant de cette lignée n’ont pas détruit d’autres embryons.

Les recherches sur l’embryon humain concernent tous les humains. C’est pourquoi j’espère que l’écho médiatique ne s’arrêtera pas à la PMA, mais bien à ce drôle d’être qu’est l’embryon humain, aussi difficile à définir qu’à comprendre.

Avec le débat sur l’immigration programmé ce lundi 7 octobre 2019 dans l’après-midi, le calendrier parlementaire de la fin de l’examen en première lecture du projet de loi sur la bioéthique a été un peu bousculé. Le vote final sur le texte devait avoir lieu le 9 octobre 2019 et pourrait être repoussé au 15 octobre 2019. Après ce texte, la discussion budgétaire occupera les deux mois qui vont venir. Après l’Assemblée Nationale, le Sénat aura à examiner ce texte sur la bioéthique (en probablement l’amendant beaucoup), mais pas avant la fin des discussions budgétaires, donc après janvier 2020. Je reviendrai précisément sur ce texte (probablement adopté par les députés) et sur ses mesures tant sur la PMA et ses conséquences que sur la recherche sur les embryons humains.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 octobre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Lire notamment la fiche de la Conférence des évêques de France sur la recherche sur l’embryon humain (eglise-bioethique.fr).
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
Chaque vie humaine compte.
L’embryon puis le fœtus est-il une personne humaine ?
La PMA.
Le mariage pour tous.
L’avortement.
La peine de mort.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.

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9 réactions


  • troletbuse troletbuse 8 octobre 2019 10:51

    En revanche, les cervelles de toute la Lremie ne sont que des amas de cellules incohérentes. Il faut éliminer toutes ces malformés et malformées.


  • Sozenz 8 octobre 2019 12:50

    https://www.youtube.com/watch?v=gt6llffad88

    ce monsieur fait l annonce de ce que sa clic met en place .

    ça veut faire les visionnaires , les philosophes mais en fait ils se rejouissent de ce qui se met en place et auquel il ont participé activement 

    ce sont des personnages immonde

     .


    • troletbuse troletbuse 8 octobre 2019 13:47

      @Sozenz
      Cet ATTILA est une belle crevure.
      TotoParkingson commence peut-être à s’éveiller. Il serait temps


    • Paul Leleu 8 octobre 2019 23:38

      @Sozenz

      pourtant, il ne fait que reprendre les analyses du marxisme qui disait que le marché s’étendrait peu à peu à tous les secteurs de la vie, et dans tous les espaces du monde ...

      c’est aussi l’analyse de l’église catholique traditionnelle, qui disait que Satan étendrait son emprise sur le monde...

      alors d’un côté les gens ils gueulent contre le capitalisme, mais d’un auter côté ils se vautrent dans l’inculture et le consumérisme... nos compatriotes en sont un bel exemple... à un moment donné, il faut faire face à ses contradictions...

      je pense effectivement que la première question est morale : l’homme veut-il se vouer à la marchandise ou à l’esprit ? Mais comme disait l’église catholique : « on ne peut pas servir Dieu et l’Argent »...

      par ailleurs, il avance l’argument selon lequel des états isolés ne seraient pas en mesure d’imposer leur loi à un marché globalisé, et plaide pour un état mondial... je n’ai pas d’avis arrêté sur la question... j’aimerais avoir des arguments (autre chose que Attali le méchant bla bla)... car c’est effectivement une question grave : quel est le meilleur rempart pour juguler la force du marché ?


  • Paul Leleu 9 octobre 2019 00:11

    merci à l’auteur pour ses articles qui tentent d’élever le débat, et de poser les vraies questions...

    le problème, c’est que ce sont les opposants qui axent ce débat sur la « PMA sans père »... des gens comme Testard ne trouvent rien à redire de la mise à mort de 200 000 embryons par an dans les IVG... car en fait le véritable débat pour eux est existentiel : la préservation du « magistère » du couple hétérosexuel qui leur sert de béquille existentielle.

    l’IVG et la PMA actuelle, servent justement à préserver artificiellement le « magistère » du couple hétérosexuel... dans ce cadre, les mise à mort ou les tripatouillages d’embryons ne leur posent aucun problème... c’est « pour le bien »...

    par contre, quand on étend la PMA à des célibataires et des lesbiennes, cela remet en question le « magistère » du couple hétérosexuel... Alors là, on pousse des oh et des ah.

    Comme vous le dites très justement, la PMA des célibataires et des lesbiennes ne va rien changer aux exéprimentations sur les embryons... Mais c’est justement ce sur quoi les opposants se focalisent, preuve de leur mauvaise foi.


  • Jeanlaquille 9 octobre 2019 08:00

    Félicitations....


  • Julot_Fr 9 octobre 2019 08:57

    La PMA n’est maniere de faire du business pour nos milliardaires.. ils peuvent compromettre la bouffe pour nous obliger a en passer par la PMA.. Leur reve etant de pouvoir taxer l’air qu’on respire


  • zygzornifle zygzornifle 9 octobre 2019 09:48

    L’enjeu de dignité des embryons humains

    Coll , ensuite cet embryon deviendra un SDF , un RSA , un chômeur , un smicard et il finira sa misérable vie torturé en EHPAD , elle est ou la dignité le dedans , a moins qu’il finisse en CRS sanguinaire aux ordres d’un gouvernement malade ...


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