lundi 1er novembre 2021 - par lephénix

De la dévoration à la dénumérisation du monde

 

Le déploiement à marche forcée du « numérique » est-il compatible avec les « équilibres vitaux de la biosphère » et les besoins véritables de l’humain ? Pour le philosophe Fabrice Flipo, le doute n’est pas de mise : l’industrie du numérique détruit l’environnement ainsi que les liens humains – et jusqu’à la conscience humaine...

Nos modes de vie ultraconnectés sous pilotage algorithmique creusent-ils la fosse commune de l’espèce présumée humaine qui a consenti à sa techno-zombification et à la dévoration de sa niche écologique ?

Le fonctionnement de l’industrie numérique consomme 10% de l’électricité mondiale – une consommation qui s’annonce exponentielle pour les années à venir, lesquelles nous semblent comptées... Fabrice Flipo cite l’estimation d’une étude de 2015, issue de l’industrie des semi-conducteurs, pour éclairer cet impensé de l’écologie dite « politique » : « au rythme actuel de la croissance de la puissance de calcul, et du fait du ralentissement progressif des gains en matière d’efficacité énergétique, le numérique pourrait consommer, avant 2070, l’équivalent de toute l’énergie mondiale dépensée en 2010 ». Mais que fait la police de la pensée « verte » ? Est-il besoin de rappeller que faute d’avoir été mis « au service d’une transition des sociétés industrielles », le secteur numérique a « surtout servi leur expansion » ? En d’autres termes : avons-nous vraiment besoin de « tout ça » ? C’est-à-dire de toujours plus de jeux en ligne et de porno, de gadgets connectés et de capteurs, de 5 ou 6 G pour traiter toujours plus de données, de « téléphones » 8K pour prendre des vidéos en « haute résolution » ou de voitures « autonomes » et autres robots taxis avant le "métavers" annoncé comme inéluctable ? Avons-nous réellement besoin d’e-sport ou d’e-médecine et de toujours plus de « dématérialisation » et d’ « intelligence artificielle » alors que l’illusion de « l’immatériel » ne tient plus devant l’évidence de la dévastation écologique ?

Les intérêts d’une « minorité technophile excessivement choyée » promouvant une société toujours plus électrisée et numérisée sont-ils ceux de la majorité des habitants de la planète ? Pourquoi créer et attiser des besoins que la multitude des « consommateurs » n’a pas et qui sont contraires aux intérêts les plus vitaux de l’espèce présumée pensante ?

 

Une société de moins en moins soutenable

La numérisation forcenée des besoins de base annonce une dilapidation sans précédent dans une fuite en avant technologique qui tient du fondamentalisme le plus obtus voire suicidaire. Ainsi de l’agriculture, tributaire du climat et « écrasée sous le poids de contraintes de toutes sortes, pourvu qu’on ait du numérique » : « telle est la hiérarchie des besoins, du côté de la Bourse, des banques et des Etats ». Pourquoi ce tsunami de chèques en blanc signés pour « le numérique » ? Se connecter ou se nourrir, faudra-t-il choisir bientôt ? Comment ignorer que la « tech » tire la demande de ressources ?

Or, « le numérique ne remplace pas le pétrole et n’est donc pas à ce titre « le pétrole » du XXIe siècle »... Il ne fait qu’en consumer des quantités hallucinantes au nom d’une « efficacité énergétique » outrageusement fantasmée... Avons-nous besoin de toujours plus de données traitées ou simplement de... sobriété de nos modes de vie ? Mais si la dite sobriété s’avère « vertueuse » voire même très salutaire pour la planète, elle ne sert pas les intérêts et orientations des « acteurs » du numérique et des dirigeants de la « start-up nation »...

Encore faudrait-il comprendre qu’en matière de stockage, « on ne dispose pas plus de serveurs en quantité illimitée qu’on ne dispose de bibliothèques ou de papier  » - « tout ne peut donc pas être stocké »... Et puis, une puissance de calcul « augmentée » signifie voracité énergivore...

Fabrice Flipo recommande d’assumer rien moins qu’une confrontation politique en impliquant toutes les parties prenantes (associations, entreprises du numérique, citoyens et usagers, collectivités locales, enseignement, syndicats, ONG, médias, etc.) pour « dénumériser les secteurs qui peuvent l’être, par exemple les véhicules automobiles » et articuler des choix collectifs et individuels tant au niveau local que « global ».

Autant dire que la prise de conscience devrait dépasser les petits groupes « techno-critiques » pour toucher tous les usagers et habitants de la planète vraiment soucieux de leur écosystème comme de leur survie à moyen terme... Elle devrait déboucher vers une véritable « écologie populaire » propice aux alternatives en matière de soutenabilité agricole ou urbaine. Précisément, des études d’opinion comme celle de l’Ifop pour l’Académie des technologies révélait en 2020 que « le niveau d’inquiétude des Français vis-à-vis des technologies s’envole, et leur défiance aussi  ».

Assurément, il y a « urgence écologique » - et bien davantage... Celle de « défaire ce qui nous défait » - et de se défaire de « dispositifs numériques » autant écocides que liberticides ?

Y aurait-il des limites naturelles au-delà desquelles votre « pass » pour de « nouvelles réalités » englobantes, « augmentées » ou réécrites n’est définitivement plus valable ?

Fabrice Flipo, La Numérisation du monde – un désastre écologique, l’échappée, 160 p., 14 €



4 réactions


  • rogal 1er novembre 2021 11:32

    Le numérique est-il autre chose que l’informatique ?


    • lephénix lephénix 1er novembre 2021 11:59

      @rogal
      techniquement oui mais ontologiquement c’est l’extension ultime de ce désir d’illimitation de l’espèce présumée pensante au-delà du cadre spatio-temporel qu marque ses limites, bref de subversion des cadres ontologiques de l’existence avec tout le potentiel écocide et liberticide qui va avec...


  • Iris Iris 1er novembre 2021 12:21

    Merci pour l’article, je partage.

     

    avons-nous vraiment besoin de « tout ça » ?

     
    Besoin et envie, il est effectivement urgent de se poser cette question.

    Et si une volonté majoritaire pouvait par miracle se dégager, disons à l’échelle d’un pays comme la France, alors la question suivante serait de savoir comment l’imposer.

    Je suis pessimiste, en attendant il y a toujours le colibri...


    • lephénix lephénix 4 novembre 2021 17:09

      @Iris
      merci pour votre visite et votre réaction, désolé pour le délai de réponse, étant souvent absent des écrans...
      une conscience et une volonté majoritaires ne semblent pas se dégager, ce qui n’est pas étonnant, compte tenu de l’histoire du pays... chacun y fait plus ou moins sa part du colibri sans « faire société » pour autant... Le pessimisme est le commencement d’un basculement des consciences vers ce qui devrait être à partir de ce que nous ne voulons pas, une fois « ceci » clairement identifié...


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