mardi 17 avril 2012 - par Vincent Verschoore

Faut-il réintégrer la notion de progrès dans l’Evolution ?

La notion de progrès, dans le contexte de l’évolution naturelle, n’existe plus vraiment depuis que l’orthodoxie évolutionniste, issue des travaux de Darwin et développée par de nombreux scientifiques depuis lors, présente les facteurs de sélection naturelle et de contingence comme seuls responsables du fait évolutionnaire. La sélection naturelle est, selon l’orthodoxie en vigueur, d’une part l’effet de mutations génétiques générant des traits favorisant la survie d’un groupe par rapport à un autre, et d’autre part la capacité d’adaptation des espèces à la pression environnementale - domaine également de l’épigénétique. La contingence est un concept notamment développé par le biologiste Stephen J. Gould qui propose que l’évolution est ponctuée de remises à zéro et de coups de pouces imprévisibles (du fait de cataclysmes par exemple) qui font que le “film” de l’évolution ne se déroule jamais deux fois de la même façon.

Donc pour résumer la position orthodoxe, la combinaison de mutations génétiques, de pressions de l’environnement et d’accidents font que le monde du vivant est parti de choses simples pour arriver à la complexité actuelle – sachant que cette complexité est essentiellement le fait de multiples variations sur quelques architectures de base tels les vertébrés, alors que ces architectures étaient nettement plus nombreuses à l’époque précambrienne (-570 millions d’années) mais ont, pur la plupart, disparus. Ce sujet est développé dans l’article ”De la Contingence et de l’Evolution“.

Cette approche ne reconnait pas l’existence possible d’une ”force de progrès” évolutive, qui ferait que l’évolution tendrait toujours vers les mêmes formes, du simple au complexe, au-delà de la “chance” génétique et de la contingence. A ne pas confondre avec les dogmes créationnistes et assimilés qui partent du principe que la complexité est arrivée telle quelle. Cette notion de progrès intrinsèque est issue d’une réflexion théorique de chercheurs tels John Smart de l’Université Libre de Bruxelles : outre les processus de sélection naturelle, il existerait un processus inhérent vers de plus en plus de complexité que l’on peut décrire sur base de quatre arguments.

Premièrement, une redéfinition du concept de “progrès” selon la règle, proposée par l’astrophysicien Eric Chaisson de l’Université de Harvard, de la “densité de taux énergétique” ou ERD (energy rate density, voir http://dx.doi.org/10.1002/cplx.20323), soit la mesure du niveau d’énergie traversant chaque gramme d’un système donné, en ergs par gramme par seconde. Selon cette mesure, une étoile a un ERD de l’ordre de 2 ergs /g/s, à comparer avec 3 000 à 6 000 ergs/g/s pour une simple plante domestique, 20 000 ergs/g/s pour un être humain, 40 000 ergs/g/s pour une société de chasseurs-cueilleurs et 2 millions d’ergs/g/s pour notre société technologique actuelle ! Pour Chaisson, l’ERD est une mesure universelle de complexité des systèmes, de l’espace interstellaire aux sociétés les plus avancées technologiquement parlant. De plus, un graphique des ERD des systèmes complexes contre la date de leur apparition sur l’échelle de l’Univers montre une ligne allant toujours vers la haut, soit une augmentation constante de la complexité avec le temps.

Deuxièmement, une interprétation inhabituelle de la seconde loi de la thermodynamique (qui décrète que l’univers tend vers la désorganisation, ou l’augmentation de son entropie) est que pour contrer cette augmentation générale de l’entropie l’apparition de la complexité est en fait une nécessité fondamentale. Sans cela, la complexité n’apparaîtrait jamais, étouffée par le seconde loi. En termes physiques, la seconde loi de la thermodynamique s’applique stricto sensu à des systèmes en équilibre, mais cette condition est rarement celle des systèmes spécifiques : la Terre, par exemple, est chauffée par le Soleil créant ainsi un gradient énergétique à sa surface. Là où existent de tels gradients, des poches de complexité peuvent se créer et générer des gradients supplémentaires qui génèrent encore plus de complexité, etc.. et cela même si le système global, l’Univers, reste subordonné à la seconde loi. Voir http://dx.doi.org/10.1038/scientificamerican1108-62

Troisièmement, la notion d’évolution convergente. Prenant le contre-pied du film de Gould, cette notion repose sur le constat que des espèces très différentes vivant dans des environnements similaires évoluent de façon similaire. Autrement dit, le film de la vie, à environnement comparable, se rejouerait en général de manière comparable d’une session à l’autre. Kevin Kelly, fondateur de Wired Magazine, propose dans son ouvrageWhat Technology Wants plusieurs exemples d’évolution convergente : le battement d’aile des oiseaux, des chauves-souris et des ptérodactyles ; l’écholocation des dauphins, chauve-souris (encore !) et oiseaux spécifiques aux grottes ; poissons de l’arctique et de l’antarctique ayant développé les mêmes composants antigel ; et l’oeil qui s’est développé de manière indépendante au moins six fois. Pour Kelly, de nombreuses solutions évolutives ne sont pas accidentelles mais inévitables et pas seulement au niveau des organes : le cerveau, l’esprit, la société, la technologie en font aussi partie. Pour Nicolas Clayton, de l’Université de Cambridge, l’intelligence pourrait également être une propriété de l’évolution convergente. Autant les singes et les corbeaux sont sur des branches très éloignées de l’arbre de l’évolution et possèdent des cerveaux structurés différemment, autant ces espèces ont développé des capacités similaires dont l’usage d’outils, les relations sociales complexes et la tricherie ! L’intelligence, alors, apparaîtrait systématiquement dès que les circonstances le permettent.

Et quatrièmement, l’intégration du catastrophisme non pas comme des évènements qui remettent les compteurs à zéro (par exemple, la disparition des dinosaures permettant l’avènement des mammifères) mais comme des simples effets accélérateurs ou ralentisseurs d’une évolution qui aurait lieu de toutes façons. Selon le paléontologue Simon Conway Morris de l’Université de Cambridge, si la météorite ayant causé la disparition des dinosaures ne s’était pas écrasée sur Terre, ces derniers auraient pu vivre 30 millions d’années de plus jusqu’à la glaciation suivante, qui aurait tués les espèces vivant au nord et au sud des tropiques laissant ainsi une place aux mammifères dans ces zones. Ensuite, de par l’évolution convergente ces mammifères auraient évolué vers l’usage d’outils et d’armes, et mis fin aux dinosaures de toutes façons. Ce à quoi j’ai envie de rétorquer que les dinosaures auraient tout aussi bien pu se développer vers une forme de sophistication leur permettant de résister à cela, mais il faut bien admettre que nous n’avons aucun exemple de lézard ou d’oiseau ayant atteint ce stade d’évolution.

En conclusion de tout ceci, la notion de progrès inhérent au processus de l’évolution ouvre une brèche dans l’orthodoxie qui mise tout, finalement, sur le facteur chance. Cette approche a aussi le mérite de répondre aux questions que pose le Intelligent Design (une forme plus subtile et réfléchie du créationnisme) qui fait remarquer, à juste titre, que l’apparition simultanées ou répétées d’organes complexe est difficilement conciliable avec la “chance” seule et en déduit (plus discutablement) qu’il doit donc y avoir un “créateur” quelque part qui fourni les “plans” de base. Mais bien entendu, il reste à comprendre qu’elle pourrait être la nature profonde de cette convergence évolutive, de ce progrès inhérent menant vers les mêmes formes de complexité. Le débat est loin d’être clos.



15 réactions


  • diverna diverna 17 avril 2012 09:50

    Je n’aime pas le terme « Progrès » ; la complexification suffirait, me semble-t-il, à votre propos. Le nom de Pierre Teilhard de Chardin pouvait aussi être évoqué tant son oeuvre est façonnée par cette idée de complexification du vivant. . Ce qui relance la question : complexification jusqu’où ? Vers quoi tendons nous ?

    Question subsidiaire : avez-vous demandé à être en « actualité - technologie » ?


    • Vincent Verschoore Vincent Verschoore 17 avril 2012 17:21

      Question subsidiaire : avez-vous demandé à être en « actualité - technologie » ? Non...


      Il faudrait un terme qui intègre les notions de complexité et de récurrence. 

  • Roosevelt_vs_Keynes 17 avril 2012 10:55

    Dommage qu’il ne soit pas question, dans cet article, du créateur de la notion de biosphère et de noosphère : Vladimir Vernadsky.


  • Claude Courty Claudec 17 avril 2012 17:48

    Il ne s’agit ici bien entendu, que de progrès technique ou plus largement matériel. Quid du progrès moral, de l’évolution des mentalités, sans laquelle le reste n’est que vanité. Qu’a fait perdre à l’homme, à part sa toison, ce progrès et cette évolution tant vantés ?

    La planète était peuplée d’environ 250 millions d’êtres humains, à l’aube de notre ère.

    Au début du second millénaire, cette population compte 7 milliards d’habitants, dont 1,2 à 1,4 milliard vivent dans un état de pauvreté profonde.

    L’homme, et le progrès dont il est l’auteur, ont ainsi créé, en 20 siècles, 5 fois plus de miséreux qu’il n’y avait d’habitants de toutes conditions sur terre.

    Et la population augmente quotidiennement de 220 à 250 000 individus (au net des décès). 

    Pendant ce temps-là nous continuons à gloser. De quoi s’interroger, non ? N’est-il pas grand temps d’ouvrir les yeux, d’en débattre sérieusement et surtout d’agir.

    http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com

    Sociologie, démographie - De la richesse à l’exclusion sociale aujourd’hui et à la barbarie demain, par la démographie au service du reste.


  • sylvie 17 avril 2012 17:50

    Merci Vincent, reste à répéter la vraie notion de Progrès dans la vie sociale et ce n’est certe pas le progrès tel que compri par le système.


    • Vincent Verschoore Vincent Verschoore 17 avril 2012 19:23

      C’est pour l’instant un autre débat mais je ne doute pas que le Progrès, le vrai, se définira un jour en intégrant des éléments de justice sociale (et de justice tout court d’ailleurs) et de bonheur autant que des éléments de complexité matérielle. L’étude de la relation entre ces deux aspects serait d’ailleurs passionante, me semble t’il. 


  • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 17 avril 2012 18:15

    Toute la question est de savoir si un avantage comparatif adaptatif dans le sens de la complexité , (externe et/ou interne, à savoir sexuel et culturel), ce qu’admettent les darwiniens, est ou non un progrès.
     
    Si la notion d’avantage comparatif suffit, la notion de progrès est pour le moins scientifiquement inadéquate car elle introduit , au coeur de l’évolution, des jugements de valeurs qui n’ont rien à y faire.

    Si elle ne suffit pas, il faut alors décider que l’évolution est toujours dirigée dans le sens d’un progrès supérieur donc spirituel, voire moral, qui nous place au sommet de la complexité, si tant est que celle-ci soit une valeur nécessairement positive. Ce qui revient à faire de l’évolution l’expression d’un plan surnaturel et surhumain finaliste donc divin.


    • Vincent Verschoore Vincent Verschoore 17 avril 2012 19:03

      Il me semble, justement, que cette approche réintroduit une certaine notion de valeur. Ce qui ouvre toutes sortes d’ambiguïtés, je vous l’accord, mais l’idée que la notion de valeur soit nécessairement absente d’un processus naturel tient plus du dogme que de la démonstration. Il faudrait définir très précisément ce que l’on entend par « valeur ». 


  • non667 17 avril 2012 22:54

    pas besoin de tortiller du cul pour chier droit !et nous pondre des théories à la mord moi le nœud !
     l ’évolutionisme est une véritable escroquerie intellectuelle ! pire que lissenko !la sélection naturelle opère indéniablement un TRI parmi L’EXISTANT mais ne crée rien qui n’existait auparavant . comme pour lissenko c’est de la manipulation politique sous couvert de scientisme qui ne leurre que les gogos qui se prennent pour des savants parce qu’ils ont lu ces âneries auxquelles il n’ont aucun esprit critique à opposer sidérés qu’ils sont par les illusionnistes !
    avouez qu’ il n’existe et n’existera jamais de preuves de l’apparition de la vie a partir d’éléments inertes par des processus heuristiques et évolutionnistes !
    par rapport a l’existance des dieux programmeurs en languages « génétique » 0 - 0 la balle au centre !
    sauf si on admet que chaque brin d’herbe est un miracle d’organisation !


  • Abou Antoun Abou Antoun 17 avril 2012 23:26

    la sélection naturelle opère indéniablement un TRI parmi L’EXISTANT
    Ceci est absurde !
    Cela suppose une hypothèse créationniste avec un stock initial d’espèces de départ et un appauvrissement systématique progressif. Les humains auraient donc été contemporains des dinosaures, les premiers ayant réussi l’examen de passage et les seconds s’étant fait recaler il y a 65 millions d’années.
    On devrait donc trouver des fossiles humains vieux de plus de 100000 d’années.


  • Abou Antoun Abou Antoun 17 avril 2012 23:31

    La notion de progrès correspond à celle d’avancement en direction d’un but.
    A ma connaissance le but final de l’humanité n’étant pas connu, on ne sait pas si on peut considérer comme progrès le perfectionnement des techniques qui résout certains problèmes pratiques mais nous rapproche de la fin de plus en plus vite. L’humanité risque fort de finir victime de son succès et de sa prolifération résultant de ce succès.


    • Abou Antoun Abou Antoun 18 avril 2012 08:54

      Le moinsseur doit connaître le but de l’humanité.
      Peut-il me le communqiuer ?
      Merci ?


    • gordon71 gordon71 18 avril 2012 08:59

      le moinsseur onaniste n’a pas le temps de lire les articles 


      son argument et sa joie de vivre c’est d’aligner les moins 

      AGORAVOX devrait établir un palmarès des moinsseurs

      Monsieur moins serait ainsi champion de quelquechose

  • celui qui maugréé celui qui maugréé 18 avril 2012 17:10

    Attention convergence évolutive signifie convergence de forme pour répondre à des contrainte communes ou assez proches mais la solution en détail peut varier grandement.

    Exemple : hydrodynamisme des poisson cartilagineux, puis osseux, reptiles marins, et mammiferes marins. les formes exterieures se ressemblent parfois beaucoup mais l’adaptation se fait par rapport à des adaptations antérieures notamment physiologiques et qui nuancent le tout. ( respiration aquatique, apnée etc ) .

    prenons des extremes :
    cas numero 1 le calmar et le dauphin sont très hydrodynamiques
     cas numro deux : la chauve souris et l’oiseau sont adaptés au vol, les insectes aussi ... .

    Il n’empêche pour des résultats proches dans chacun des cas, le fonctionnement est assez dyssemblable.

    On tend aussi à désormais prendre en compte certains paramètres accélérant les mutations ( exposition a des radiations solaires par exemple) .

    Enfin l’évolution implique aussi que des systèmes trop spécialisés aboutie régulièrement à des extinctions => dans ce cas on appelle ceci une impasse évolutive. ( cela peut très bien concerner l’homme au fait .. )


    tout ceci si je me souvient bien de ma formation initiale de premier et second cycle universitaire en biologie génétique...mais c’était avant ma reconversion en informatique pour raison ... alimentaire )


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