Jean-Luc Nobleaux : “Les radars sont des machines à sous, mais aussi et surtout un vrai jackpot orwellien !”
Jean-Luc Nobleaux (photo) est journaliste spécialisé dans la presse auto-moto. Il est l’auteur de 2 ouvrages, l’un sur le karting, l’autre sur les radars.
E&D : Les médias se font l’écho en ce moment de l’installation du premier radar mesurant la vitesse moyenne. Pourquoi ce nouveau genre de radar maintenant ?
Jean-Luc Nobleaux : C’est juste le programme prévu qui est appliqué. Ces nouveaux radars mesurent la vitesse moyenne sur plusieurs kilomètres.
Le but pour le gouvernement reste de déterminer quel type de radar “piège” le plus efficacement automobilistes et motards, dans un but de surveillance globale. Ce nouveau matériel diffère des autres dans la mesure où il enregistre absolument TOUTES les plaques d’immatriculation, pas seulement celles des contrevenants. Les gens ne réalisent toujours pas que le but premier du système radars en France est ce que les sociologues appellent : “le contrôle de la société”. Ce projet se met en place très discrètement, mais il n’a jamais été secret. A terme ce maillage numérique doit permettre de tracer et surveiller nos déplacements routiers, tout en améliorant le fichage et la ponction fiscale (reconnaissance biométrique, fichier des gens dits “honnêtes”, etc.). Pour cela il faut multiplier les cabinettes, habituer les gens à être surveillés et photographiés par des machines. Or un radar dit “tronçon” c’est 3 miradors à la suite (un radar pédagogique + 2 autres calculant la vitesse moyenne et enregistrant un max d’infos). Les radars sont des machines à sous, mais aussi et surtout un vrai jackpot orwellien !
E&D : Vous avez démontré dans votre livre Radars le grand mensonge (Tatamis, 2009) que les radars n’étaient pour rien dans la baisse de la mortalité sur les routes. Cela sera-t-il également le cas pour ce nouveau genre de radar ?
Jean-Luc Nobleaux : A l’examen des chiffres (ceux fournis par le gouvernement) il s’avère qu’il est mathématiquement impossible d’affirmer qu’en France les flashes sont un bienfait pour la “sécurité routière”. Mieux, presque partout où des études ont été faites, notamment aux USA, on constate que les radars de feux tricolores provoquent plus d’accidents qu’ils n’en évitent. Tout ceux qui prétendent le contraire sont des crétins ou des malhonnêtes.
Quant aux chiffres qui « prouveraient » que les radars – de “vitesse moyenne” ou autres -, réduisent la mortalité de 50% sur les autoroutes et voies rapides, ils sont bidon. Les autoroutes c’est là où il y a le moins d’accidents, c’est un jeu d’enfant de manipuler les statistiques. Exemple : en 2010 on compte 2 morts sur telle autoroute. En 2011 on compte un mort et deux blessés sur cette même autoroute. Bilan annoncé par Chantal Perrichon et le gouvernement à coups de trompes : 50% d’amélioration de la mortalité ! ça ne veut rien dire surtout dans un contexte de baisse continuelle des accidents depuis 30 ans, et de tripatouillage incessant des statistiques officielles. C’est l’habituelle propagande destinée à berner les faibles d’esprit.
E&D : Vous expliquiez également que les radars avaient été mis en place par Nicolas Sarkozy depuis 2002. Avec le changement de parti au pouvoir, la politique des radars va-t-elle aussi changer ?
Jean-Luc Nobleaux : “Le changement c’est maintenant” mais la répression routière continue. Pire, Frédéric Péchenard, ex-flic très proche de Sarkozy vient d’être nommé par François Hollande à la tête du bureau dit de la “Sécurité routière”, rattaché au ministère de l’Intérieur. Cela peut signifier que les bébés sarkozistes seront bien gardés et/ou que tout le monde va désormais en “croquer” (UMP comme PS). Cela signifie surtout que le projet ultime, qui est de faire du maillage des radars le premier flic de France, a toutes les “chances” d’être mené à son terme. Quel président de la république aurait le courage de se passer d’un outil de flicage si puissant ?
D’ailleurs un consensus droite-gauche règne depuis longtemps sur cette question, comme sur beaucoup d’autres. Le seul vrai chantier “sécuritaire” en France depuis 15 ans, c’est la répression routière. Pendant ce temps-là, des chantiers réellement problématiques pour le pays comme l’évasion fiscale, ou la délinquance urbaine sont délibérément négligés.
E&D : Un autre livre sur les radars vient de sortir, connaissez-vous son auteur et l’avez-vous lu, si oui qu’en pensez-vous ?
Jean-Luc Nobleaux : Je ne l’ai pas encore lu, mais Denis Boulard son auteur – qui ne vient pas de la presse auto ou moto – m’a souvent consulté pour écrire son livre. Son enquête de 100 pages est axée sur le côté “bizness” de la répression routière. Certes mon bouquin est assez complet, mais Denis n’a pas son pareil pour dénicher des chiffres et autres anecdotes croustillantes. Il fait partie d’une race en voie de disparition, les journalistes qui investiguent, encore appelés “fouineurs”. C’est lui par exemple qui avait “sorti” l’affaire du non-vote de Cécilia Sarkozy lors du 2e tour des présidentielles de mai 2007, alors qu’il bossait au JDD. Rappelons brièvement la suite : Arnaud Lagardère, patron du groupe, avait exigé que le “scoop” soit étouffé (il est sorti après dans d’autres titres). Quelques mois plus tard Denis fut viré du JDD, sans compter qu’étrangement depuis lors, il doit répondre à de récurrents contrôles fiscaux… Être black listé et commettre un opus sur le bizness des radars (véritable pépite du pouvoir), voilà une preuve de courage, qualité devenue rarissime dans le métier. A propos, coïncidence (ou pas), j’ai aussi eu droit à mon contrôle fiscal l’année suivant la sortie de “Radars le grand mensonge” (et ma femme aussi !).
De plus en plus de gens méprisent les journalistes, et les traitent de lâches et de larbins. Ils ont raison, mais il ne faut pas oublier qu’en France, révéler une info qui dérange l’oligarchie au pouvoir et/ou la pensée “dominante” ou même simplement un annonceur de votre média, ne vous attire aucune promotion, que des ennuis.
E&D : Les médias ont-ils une chance de s’ouvrir à l’avenir à la critique de la politique des radars telle que vous la formulez ?
Jean-Luc Nobleaux : On peut être admis dans les médias à forte audience, et dire des choses. Mais c’est après que la machine médiatique démarre, ou pas. Si les “autres” relaient vos idées ça peut marcher. Mais dès que votre position est trop « touchy » ils la diabolisent, la moquent ou l’ignorent. Votre point de vue n’étant pas relayé, il n’existe pas.La machine médiatique est aussi complexe que perverse. Avoir un accès aux médias (surtout ponctuel), ne signifie nullement qu’une autoroute s’ouvre devant vous.
Existe en parallèle le problème “économique”. Je sais par exemple qu’au Monde (l’un des journaux qui donnent le “la”), certains journalistes ont compris l’envergure et la nocivité potentielle du projet “radars”. Ils ont compris que ce système visait non pas quelques chauffards, mais l’ensemble de notre société. Mais rien sur le sujet. Zéro la tête à toto. Est-ce étonnant quand on sait que la Sagem, qui fabrique les radars et fait partie du GIXEL (le lobby de la surveillance numérique), est… actionnaire du Monde ?
Ensuite arrive le problème de l’audience (peut-être connexe au délitement de nos médias) . L’opinion publique française baigne dans une incroyable torpeur. Vous pouvez toujours, comme moi, publier une enquête dévoilant les coulisses pourries d’une action publique, dénoncer un empilement sans précédent d’escroqueries et mensonges d’État… Qui s’en soucie en vérité ?
Bref, comme disait Martin Luther King (je crois) : “Ce qui effraie ce n’est pas l’oppression des méchants, mais l’indifférence des bons”
Source : Enquête&Débat