vendredi 13 juillet 2012 - par Bernard Dugué

Plus étonnant que le boson de Higgs, la découverte de la censure épigénétique

La longue série des découvertes épigénétiques ne cesse de s’allonger. On finit par se demander si un biologiste parviendra à rendre clair le fonctionnement des gènes et leur expression, tant les données se multiplient, offrant peu de prise à une compréhension d’ensemble. Les recherches montrent que l’expression des gènes est essentielle mais que tout aussi important sont les mécanismes rendant silencieux de nombreux gènes. On sait que le génome est une structure complexe qui est loin d’être figée et dont l’instabilité participe à différents processus, notamment l’adaptation et l’évolution. Des séquences d’ADN peuvent être incorporées dans des zones déterminantes du génome au risque de le perturber si bien que des mécanismes de protection sont développées. Le « système génétique » reconnaît alors, à l’instar du système immunitaire, un soi (épi)génétique et un non-soi. Il peut se défendre contre une invasion d’informations portée par les transgènes, qu’ils soient d’origine virale ou provenant de transposons, ces fragments d’ADN qui « s’amusent » à sauter d’un endroit à un autre en modifiant le génome. 

Certains types d’ARN jouent des rôles décisifs comme par exemple les ARN interférant dont l’action consiste à rendre silencieux une série de gènes qui ne sont pas « autorisés » à s’exprimer dans la cellule. Progressivement, les biologistes dévoilent des mécanismes et parviennent à trouver quel est le rôle joué par ces innombrables fragments d’acide ribonucléique dont la fonction ne se limite pas à coder des protéines. La découverte de ces ARNi a valu le Nobel à Craig Mello dont l’équipe vient de publier deux articles importants concernant le contrôle de l’information ribonucléique dans les cellules germinales du nématode C. Elegans, un des modèles animaux les plus étudiés. Le noyau cellulaire contient des dispositifs permettant des « séquences étrangères ». Ces voies de contrôles étaient soupçonnées depuis longtemps mais restaient mystérieuses selon les dires de Mello qui dans son article annonce la découverte d’une de ces voies qui met en œuvre des protéines centrales bien connue des épigénéticiens, les argonautes, molécules capables de se complexer avec les ARNi. D’après les conclusions des chercheurs, les données recueillies sont en faveur d’un modèle mnésique où les séquences intrusives ne sont pas détectées par leur signature moléculaire mais par un système de reconnaissance basé sur la comparaison entre ces séquences et la mémoire des gènes précédemment exprimés par la cellule (M Shirayama et all. Cell, 150, juillet 2012). Ainsi, le noyau élabore une mémoire épigénétique où s’élabore un répertoire d’ARN du moi permettant de constituer un autre répertoire, celui des ARN du non moi. En résumé, ce qui s’exprime c’est le moi épigénétique cellulaire qu’on peut comprendre comme la synthèse expressive du génome dans une cellule.

Les mécanismes rendant silencieux les gènes illégitimes sont extrêmement complexes. Un modèle est proposé par les auteurs de cette étude. Il implique trois protéines argonautes. D’abord PRG-1 qui scanne les transcripts pour établir la mémoire du moi épigénétique. Puis WAGO-1 et WAGO-9 dont le rôle est opposé puisqu’il établit la mémoire du non-moi épigénétique. La décision d’exprimer ou de rendre silencieux un transgène dépend alors du résultat final de cet antagonisme entre les deux voies, l’une qui rend silencieuse et l’autre qui rend licite l’information génétique. Cette mémoire épigénétique incite alors, comme le pensent les auteurs, à envisager un mode de transmission de l’information nucléique entre générations. Il est aussi envisageable que ces processus de scannage génétique soient présent chez les mammifères car les ARNi sont largement présents et se prêtent ainsi à une série d’investigations scientifiques pour élucider leur fonction précise.

Une seconde étude menée par Mello et ses collaborateurs confirme l’existence de ces mécanismes permettant aux cellules germinales de scanner les gènes exprimés et de ce fait, d’obtenir une mémoire génétique et de constituer un répertoire d’ARN censés représenter le moi épigénétique (H.-C. Lee et al. Cell, 150, juillet 2012). Ces mécanismes sont d’une complexité extrême, exerçant une surveillance stricte de l’expression génétique. C’est toujours cette énigmatique protéine argonaute du type Piwi, la PRG-1, qui assure cette fonction et qui, comme l’indique cette étude, intervient en initiant les mécanismes rendant silencieux les transgènes tout en étant incapable de maintenir cette fonction qui fait appel à d’autres dispositifs. Cette protéine argonaute fonctionne avec un répertoire d’ARNpi de la classe des 22-G. Son champ d’action est très étendu puisqu’elle permet de rendre silencieux un bon millier de gènes. Ce qu’il faut retenir, c’est la présence d’un système de surveillance de l’expression génétique, autrement dit, un processus de censure très sophistiqué reposant sur ces protéines argonautes et qui a été découvert il y a dix ans chez Tetrahymena, protozoaire cilié proche de la paramécie et servant de modèle pour l’étude des régulations épigénétiques. La particularité de cet organisme réside dans le dimorphisme nucléaire, avec un micronoyau contenant cinq paires de chromosomes impliqués dans la transmission d’un patrimoine génomique aux cellules filles et un macronoyau désigné aussi comme noyau somatique et responsable de l’expression des gènes assurant le métabolisme et la multiplication végétative. Le macronoyau est instable et se réarrange lors de la division cellulaire alors que le dispositif des argonautes est capable de scanner le contenu intégral de deux noyaux. Bien que chez les métazoaires on n’observe pas ces réarrangements massifs de l’information génétique, les protéines argonautes interviennent dans ces mécanismes de surveillance informationnelle comme l’a montré cette étude de Mello portant sur les cellules germinales du nématode C. Elegans et dont le résultat majeur est la mise en évidence des processus permettant se s’assurer que la censure épigénétique s’exerce sur des éléments transgéniques alors que les éléments du moi épigénétique sont protégés de cette censure et peuvent s’exprimer.

Autant dire que ces travaux laissent perplexe, indiquant juste quelques pistes pour comprendre l’évolution et la relation entre génotype et phénotype. Le schéma qui se dessine peu à peu au niveau de la dynamique moléculaire confirme une dualité entre des processus de « jeu informationnel » avec des séquences génétiques mobiles, des réorganisations et des processus de stabilisation qui provenant du vivant lui-même et des mécanismes épigénétiques présents dans le noyau. Ces observations appuient la thèse d’une dérive génétique neutre et d’ailleurs, c’est ce que confirment les premières études comparatives sur les épigénomes d’espèces différentes. Quant à la logique du vivant, il se confirme que la vie cellulaire, comme la vie des espèces, dépend largement de processus cognitifs et qu’au niveau du noyau, on décèle peu à peu cette tendance double, avec une instabilité génétique fondamentale et une série de dispositifs censés contrebalancer cette instabilité et sans doute en jouer. Cette thèse accrédite la proposition précédemment énoncée d’un rôle non pas diversifiant mais stabilisant de la reproduction sexuée (Gorelick et Heng)

Ces recherches épigénétiques donnent peu à peu une autre image de la machinerie cellulaire et du vivant. On pressent quelque changement de paradigme tout en étant plongé dans une expectative car il semble que le schéma soit encore incomplet et insuffisant pour livrer une compréhension consistante du fonctionnement des systèmes vivants.



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