mardi 22 mai 2007 - par David Fayon

Pour une politique numérique française et européenne

Lors de la campagne présidentielle, les candidats employaient des termes hi-tech parfois à des fins d’accroche marketing. Parallèlement, le site www.candidats.fr militait en faveur du logiciel libre et recueillait les opinions des présidentiables, le rapport Rocard « Vers une société de la connaissance ouverte » fut remis à S. Royal le 5 avril, l’association Renaissance numérique a publié un livre blanc « 2010 - l’internet pour tous », un Pacte numérique a été rédigé par Club Sénat. Enfin le nouveau président compte « faire de la France une grande nation numérique ». Quinze propositions sont ici exposées, lesquelles pourraient être reprises par le gouvernement.

Nous sommes actuellement trente millions d’internautes en France dont 90 % équipés en haut débit (essentiellement via ADSL) et nous devrons continuer à rattraper notre retard et aussi à innover.

Les évolutions induites par les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) sont légion : outils collaboratifs qui changent les façons de travailler, enrichissement mutuel résultant du partage de l’information, coût marginal tendant vers zéro pour la production des biens numériques, destruction créatrice de Schumpeter qui permet le développement d’emplois dans des nouveaux secteurs, frontière vie professionnelle/vie privée qui s’estompe et pas seulement pour les cadres, progression du nombre de télétravailleurs, augmentation globale des connaissances des Français avec des fortes disparités (fracture numérique), environ 50 % du temps de travail des cadres est passé devant un ordinateur, etc.

Au-delà des mots et des effets d’annonces, il convient à présent de relayer une véritable politique des NTIC qui repose sur une approche globale. La société du partage de la connaissance dans laquelle nous entrons bouleverse les organisations, les pouvoirs, les façons d’interagir. Les enjeux sont de taille car ils peuvent se traduire par au moins un point de croissance annuel de notre PIB. Et ils constituent un levier important pour le désendettement de la France. Avec les services à la personne par exemple, nous avons des pans entiers de développements inexploités. Combien, par exemple, de personnes âgées apprécieraient une surveillance médicale à distance comme il existe au Japon ? Combien aimeraient pouvoir échanger des e-mails avec des photos de leurs petits-enfants pour rompre l’isolement ? L’un des vecteurs essentiels réside dans le développement des usages présents et à venir et la détermination du modèle de financement associé.

Pour réussir une politique de développement du numérique harmonieuse et ambitieuse et réduire la fracture numérique, il est nécessaire de développer une approche qui intègre les trois dimensions interdépendantes technique, humaine et organisationnelle.

Quelques propositions sont exposées :

Proposition 1

Avoir une approche européenne pour donner à chacun des projets la taille critique à l’image d’Airbus et Ariane. Au-delà de quelques réussites comme DailyMotion, PriceMinister, Netvibes, il est nécessaire de s’allier pour des projets novateurs et éviter des écueils : retard du projet Galileo concurrent du GPS américain, moteur de recherche Quaero devenu franco-français. De surcroît, il est nécessaire de créer un terreau d’innovation via des pôles de compétitivité car les start-up ont besoin d’infrastructures, de conseils, et surtout d’interactions.

Proposition 2

Adapter la législation de façon efficace et dans des délais raisonnables. La loi DADVSI a suscité de longs débats parlementaires où les clivages traditionnels à l’Assemblée nationale se sont montrés quelquefois dépassés. Des modèles seront à imaginer en mettant en commun des approches transdisciplinaires (juridique, économique, technique et sociale) pour traduire les évolutions de société (logiciel libre, téléchargement, garantie de la propriété intellectuelle dans une société du partage, etc.).

Proposition 3

Aménager la fiscalité pour notamment encourager la création de start-up (exonération d’impôt sur les sociétés les premières années, exonérer les redevances de licences de brevets pour les entreprises et les particuliers), inciter les banques à prêter aux entrepreneurs avec création d’un fond de garantie, stimuler l’investissement et le financement de la R&D par des mécanismes de crédits d’impôts. Tenir compte des revenus générés sur Internet (par ex. sur Second Life), légiférer sur les paris en ligne, etc.

Proposition 4

Etablir une péréquation tarifaire pour assurer le développement d’Internet très haut débit y compris en zone rurale (par ex. FTTH). Ceci pourrait être réalisé par un reversement des opérateurs qui oeuvrent majoritairement en zone urbaine dense. Participer à l’aménagement du territoire pour notamment favoriser le télétravail et l’installation des citoyens en zone rurale où le prix de l’immobilier est moindre. Le rôle des régions est ici essentiel (par exemple le cas de Manche Numérique).

Proposition 5

Adapter les formations en informatique et Internet dispensées au collège, lycée et dans le supérieur. Les connaissances doivent également reposer sur la capacité à traiter de l’information.

Développer les taux de connexion des écoles, des universités, en verrouillant l’accès à des sites qui ne seraient pas en rapport avec la formation.

Proposition 6

Recycler les ordinateurs via des dons, notamment lorsque les entreprises renouvellent leurs parcs. Ceci permettrait de vendre les ordinateurs équipés à Internet à des personnes ayant des ressources modérées et ne pouvant se doter de moyen de connexion au réseau ou encore pour des pays en voie de développement. Ceci aurait aussi le mérite de contrôler le recyclage des matériaux dont certains sont très polluants.

Proposition 7

Créer des pôles de compétitivité dans le domaine des logiciels et les développements de services Web en stimulant l’industrie du logiciel libre (aide à la création d’entreprise, développement des incubateurs) mais aussi du logiciel protégeable lorsqu’il satisfait aux critères légaux européens et français de protection (Convention sur le Brevet européen).

Un juste équilibre doit être trouvé entre logiciels libres et la protection par brevet d’inventions mises en œuvre par ordinateur. Car l’informatique intervient dans d’innombrables inventions technologiques sans pour autant les exclure des règles de la brevetabilité internationalement reconnues et de la protection par brevets. Cette protection légale est indispensable au développement des start- up et des PME et fondamentale pour la recherche et le développement de l’innovation industrielle.

Proposition 8

Assurer un plan de développement des connaissances auprès des catégories qui sont plus fortement exclues du numérique (seniors et personnes à très faibles revenus) en intensifiant les missions du type http://www.internetaccompagne.fr/.

Proposition 9

Développer la pétition électronique en s’assurant de l’unicité, de la confidentialité et de l’intégrité du vote. Permettre le groupement d’acheteurs en ligne notamment pour engager des actions de recours collectives par exemple en cas de dol de la part d’une entreprise.

Proposition 10

Augmenter les moyens de la CNIL pour refléter les évolutions des besoins (contrôles des informations personnelles - la déclaration préalable n’est plus obligatoire, déclaration de sites, etc.). 90 agents y travaillent contre 400 en Allemagne et 240 au Royaume-Uni.

Proposition 11

Moderniser l’Etat, l’administration en ligne. Aller au-delà du portail www.administration24h24.gouv.fr pour permettre une réelle complémentarité entre Internet et les rendez-vous avec des agents administratifs qui verront leurs compétences spécialisées et accrues.

Proposition 12

Mesurer le retour sur investissement des politiques publiques en matière de politique numérique avec des objectifs quantifiés et qualifiés tant au niveau national qu’au niveau régional avec des initiatives prises localement et qui pourraient être reproduites ailleurs. Développer des initiatives comme MAREVA, par exemple.

Proposition 13

Dispenser via l’ANPE des formations pour les demandeurs d’emplois : dépôt de CV en ligne, maîtrise des moteurs de recherche et autres compétences numériques utiles à l’embauche.

Inciter les entreprises à former davantage leurs salariés pour lutter contre l’obsolescence des savoirs. Aller vers une formation continue pour tous et un rafraîchissement des connaissances tout au long de la vie en favorisant un mixte entre la formation à distance et la formation en présentiel.

Proposition 14

Renouveler le contenu des B2I et C2I. Assurer la formation des formateurs et éviter un « tout numérique » qui se focaliserait uniquement sur l’achat d’outils ou le nombre d’ordinateurs connectés. Les plans 100 000 micros ou informatique pour tous ont coûté cher et pour des résultats mitigés (obsolescence du matériel et des connaissances et absence de projets pédagogiques autour des NTIC). Enseigner en tenant compte des concepts réutilisables et transposables plutôt que l’utilisation des outils propriétaires. Développer l’enseignement des outils du libre.

Proposition 15

Faciliter et stimuler la création de contenu sur le Web sous tous les aspects multimédia. La France est l’un des tout premiers pays par habitant en termes de blogs. Viser à l’amélioration du contenu, du partage et favoriser la promotion des talents.

Etant donné le grand nombre d’acteurs impliqués (Education nationale, ministère de l’Emploi, ministère de la Culture, ministère en charge des Affaires européennes, entreprises, administration, salariés et citoyens), pour conduire cette politique numérique, une mission transverse intergouvernementale avec les moyens adéquats semble indiquée.



3 réactions


  • Forest Ent Forest Ent 23 mai 2007 04:17

    Moi, je suis d’accord avec la proposition n°10.


  • esverlive 26 mai 2007 17:16

    Ne pas oublier, une politique européenne en faveur de la fibre obtique. C’est indispensable au developpement d’internet


  • David Fayon David Fayon 3 juillet 2007 18:21

    En complément et pour aller dans le sens d’une « mission transverse », l’Atelier a publié le 02/07/2007 une réflexion d’une Commission du Sénat.

    Une commission du Sénat préconise la mise en place d’un commissariat au numérique pour mieux coordonner les initiatives publiques et envisager sereinement les nouveaux défis du numérique.

    A l’occasion des dix ans de l’ARCEP, la Commission des affaires économiques du Sénat recommande la mise en place d’un commissariat au numérique. Ce commissariat rattaché au Premier ministre aurait comme but de chaperonner les initiatives menées par les différents ministères. C’est en tous cas une des préconisations du rapport d’information sur la régulation concurrentielle des télécoms à l’ère du numérique. « Il est urgent de donner un pilotage politique aux services de l’Etat, concernés par le numérique, mais éclatés entre des ministères aux logiques concurrentes », explique Bruno Retailleau, rapporteur du texte.

    Un régulateur félicité pour ses initiatives

    La nouvelle structure permettrait de coordonner les forces et de mener une meilleure politique d’investissement pour rattraper le retard que la France a pris dans le secteur. Selon la Commission, cela ne remet pas en cause le travail effectué par l’Arcep, jugé globalement positif. « La régulation sectorielle a acquis une crédibilité certaine auprès des acteurs économiques ; en outre, cette régulation a été efficace puisqu’elle a permis au régulateur de remplir convenablement ses missions, parfois délicates à concilier », est-il indiqué dans le rapport. Celui-ci souligne ainsi le rôle joué par le régulateur en matière de dégroupage et de couverture du territoire en réseaux mobiles.

    De nouveaux défis en perspective

    Mais aujourd’hui, la convergence du secteur des télécoms et de l’audiovisuel posent de nouveaux enjeux que le régulateur sectoriel ne peut résoudre seul. Ce à quoi il faut ajouter la question de l’attribution du « dividende numérique », qui concerne l’affectation des fréquences libérées à partir de 2008 en raison de la fin de la diffusion de la télévision en analogique. Le rapporteur, qui se prononce contre une fusion entre le CSA et l’ARCEP, envisage plutôt une réorganisation de l’Etat numérique. En effet, pour le moment, l’architecture institutionnelle est trop éclatée. Une meilleure coordination et un rassemblement des forces - chaque ministère dispose de sa cellule orientée nouvelles technologies - permettrait « d’exploiter le manque à gagner de 0,7% de croissance annuelle du PIB dû au retard français dans le numérique ».


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