mercredi 25 février 2009 - par Charles Bwele

Quand la prothèse devient victime de la mode

Dans sa conception primaire, une prothèse reproduit autant que possible les formes et les fonctions du membre biologique perdu, ou absent. Aux yeux de Hans Alexander Huseklepp, étudiant en design industriel, la prothèse doit élargir les capacités du membre initial et revêtir un style fort voire un côté « tendances » très marqué. C’est dans cette optique qu’il a développé Immaculate, prothèse esthétique faite de Corian (1), connectable au système nerveux central du porteur, dotée d’articulations sphériques omnidirectionnelles, intégrant une interface tactile d’optimisation gestuelle ... Et offrant consécutivement plus de possibilités qu’un bras normal.  

Verra-t-on Karl Lagerfeld ou Viviane Westwood créer à son tour une ligne bionique ou apposer sa griffe sur des modèles de prothèses esthétiques ?

Avec son slogan « Form beyond function », le designer Colin Matsco dévoile d’emblée ses desseins. Grâce aux apports novateurs de l’impression 3D, il a conçu Air Jordan Prosthetic, prothèse aisément customisable destinée à l’athlète handicapé mâle urbain. La recherche & développement de prothèses sportives - combinant ergonomie, légereté et esthétique - intérèssent vivement les athlètes paralympiques. En effet, ces substituts contribuent énormément à réduire pas à pas les écarts de performances avec les athlètes olympiques... Et « en jettent » sur les écrans de télévision et aux yeux des sponsors.

D’ores et déjà, la vision d’un athlète paralympique rattrapant ses compagnons olympiques au 200 mètres ou au 400 mètres ne relève plus de la science-fiction. Pensons au coureur sud-africain Oscar Pistorius – alias Blade Runner - dont les prothèses restituent plus de vitesse à chaque impact au sol (+30% selon le biomécanicien Gert-Peter Brüggeman mandaté par l’IAAF) que les jambes d’un athlète valide.

Sensibilité et interfaces tactiles, neuro-contrôle, optimisation automatisé du signal myoélectrique, articulations omnidirectionnelles... Aux États-Unis plus qu’en Europe, le marché de la prothésie est à la fois porté et submergé par la ruée vers l’or bionique, savamment expliquée par The New Scientist dans We have the technology to rebuild ourselves. Ce rush est du essentiellement à trois facteurs :

  • un 	taux de diabète élevé (maladie causant souvent 	des dommages nerveux et vasculaires),

    	

  • la 	multiplication des blessures graves et des amputations subies par 	les Boys durant leur mobilisation sur le front irakien ou afghan,

    	

  • l’intégration 	de micro-composants électroniques et d’éléments 	robotiques dans des membres artificiels neuro-contrôlés,

    	

  • l’utilisation 	de biomatériaux et de matériaux intelligents,

    	

  • et 	l’émergence de productions connexes et d’opportunités 	afférentes imbriquant prothésie, bionique, marketing 	et design.

Inspiré par le modèle de l’open source, Open Prosthetics Project – « la prothèse ne doit pas coûter un bras ou une jambe » - permet aux utilisateurs, aux concepteurs, aux designers, aux chercheurs, aux donateurs et aux investisseurs de partager et d’exploiter librement des concepts et des compétences, et ce, afin de favoriser les synergies entre prothésie, bionique et design et de doper une innovation bon marché. Les premiers résultats de cette ruée vers l’or bionique impactent d’abord la prothésie qui, à l’image de la chirurgie réparatrice, comporte également une vertu esthétique et s’enrichit peu à peu de capacités extra-fonctionnelles.

Dans quelques décénnies, le porteur d’un bras bionique mettra à jour sa couche logicielle - grâce une connexion wi-fi ou avec son PDAphone, téléchargera de nouveaux skins immédiatement activables, commandera un composant biomécatronique additionnel (barres-témoins d’effort et de fatigue intégrées) sur PimpMyArm.com... Et déploiera simplement son membre téléscopique dans une bibliothèque pendant que son compagnon « 100% pur muscle et os » emprunte l’escabeau.

(1) Utilisé 	pour les plans de cuisine et dans le design mobilier, le Corian est 	une matière composée de minéraux naturels et de 	résine, agréable au toucher, facile d’entretien, 	résistante chocs et aux rayures, aisément réparable 	et rénovable mais dont le défaut principal est de 	brûler à forte chaleur.

En savoir plus :

  1. Le 	Figaro : Oscar 	Pistorius n’ira pas aux Jeux Olympiques

    	

  2. Sports 	Technology : Biomechanics 	of double transtibial amputee sprinting using dedicated sprinting 	prostheses (inscription + 	paiement)

    	

  3. Sports 	Technology : Lower Extremity Leg Amputation : an advantage 	in running ? (inscription + paiement)

 



30 réactions


  • faxtronic faxtronic 25 février 2009 10:04

    Excellent. Les prothesistes avanceent a grand pas. C est vraiment un grand pas pour l humanite. Je me souviens en 1992 dans mon lycee une prof qui avait une prothese en plastique, qui ressemblant a une main, mais moche, et assez inutilisable. C etait moche franchement. C est un bonheur de voir des folies protheses.
    Neanmoins je trouve grotesque la photo de cette femme avec cette prothese. Ce n est pas un article de mode. Cel ;a doit etre beau et fonctionnelle, mais ce n est un accessoire trendy.


    • Traroth Traroth 25 février 2009 12:15

      Et pourquoi pas ? Je pense que le risque pour que des gens se fassent amputer volontairement, pour avoir le privilège de porter une telle prothèse, reste faible....


    • jacques jacques 25 février 2009 14:02

      reste faible....Vu le comportement de certain j’y mettrais pas ma main au feu !(même s’il y a une prothèse après).


  • Francis, agnotologue JL 25 février 2009 10:20

    Bien sûr, il n’y a aucun lien entre ces progrès et certaines armes que l’on a vu à l’oeuvre à Gaza, rassurez moi ?


  • ZEN ZEN 25 février 2009 10:29

    @ JL
    Bonjour,
    L’homme bionique, c’est pour demain
    Non, je ne te rassure pas. Il y a bien un rapport avec la guerre...
    Pendant la guerre de 14 , on a fait des progrès dans ce domaine...
    La guerre d’Irak a donné aussi des idées smiley

    J’ai une magnifique prothèse en titane (Quand on a les moyens ... smiley
    Mais elle ne se voit pas , elle permet à ma hanche de fonctionner
    Je l’ai oubliée
    Le propre d’une bonne prothèse ,c’est de se faire oublier


    • Francis, agnotologue JL 25 février 2009 10:37

      @ Zen et aux autres : j’ai omis de préciser que ce lien que je pressens serait de la même nature que celui qui relie la poule et l’oeuf.


  • Halman Halman 25 février 2009 10:41

    Excellent.

    Tant que cela peut faire évoluer les prothèses et orthèses vers une plus grande majorité de patients.



  • MagicBuster 25 février 2009 10:58

    Avez-vous des informations concernant les prothèses de cerveaux ?
    Nicolas S. (Paris)

     smiley


  • Traroth Traroth 25 février 2009 11:56

    Je connaissais le projet Open Prosthetics. Merci d’en faire la promotion, il en vaut la peine.


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 25 février 2009 13:35

    J’en profite pour rappeler l’excellent livre de Bernard Wolfe : Limbo, quasiment introuvable actuellement, qui décrit un monde où il est devenu très chic de se faire remplacer les membres par des prothèses plus efficaces. Un peu démoralisant, mais passionnant.


  • MagicBuster 25 février 2009 14:39

    Excellent article Charles, en plus on peut bien se marrer.

    A ce propos, j’ai découvert que l’on pouvait incruster des implants dans les talonnettes.
    http://www.infobebes.com/bebe/actualites/l-equilibre-jusqu-au-bout-des-pieds/(gid)/6727

    Merci la science.

    Nicolas S. (Paris)


  • Nathan Nathan 25 février 2009 16:04

     Bien que jolie sur l’image, je pense que le but d’une prothèse est avant tout de cacher et non de simplement remplacer un membre ou autre partie du corps. Ainsi votre illustration est en quelque sorte un fantasme. Ca l’est moins pour celles des sportifs permettant des exploits surhumain... Cela pose d’ailleurs un grave problème déontologique : que feront nous lorsque les handisports auront de meilleurs performances que les sportifs "normaux" ?


    • Nathan Nathan 25 février 2009 16:06

       Très bon article, encore une fois, au passage... smiley


    • Yannick J. Yannick J. 25 février 2009 16:31

      @ Nathan :

      marrant, depuis que j’ai lu cet article (très intéressant au demeurant), c’est exactement la réflexion que je suis en train de me faire......
      va-t-on de plus en plus vers le remplacement de simples membres par des prothèses plus "fonctionelles" ?
      .........

      lire l’oeuvre de william gibson.........ça refroidit net les ardeurs, mais on y arrive de plus en plus a l’univers cyberpunk......


    • Charles Bwele Charles Bwele 25 février 2009 17:21

      Entre Ghost In The Shell et la série bd HK ?  smiley

      Il est clair que maintes questions philosophiques et éthiques surgiront lorsque les aptitudes et/ou les performances des handicapés "super-bionisés" surpasseront celles des valides. Ces derniers pourraient être tentés de recourir à leur tour à ces merveilles. Un peu comme les hormones de croissance qui, d’abord censées aider "les petits" à grandir, ont ensuite séduit "les moyens" et même "les grands" qui se sont dit "why not  ?"...


    • Nathan Nathan 25 février 2009 19:19

       J’aime beaucoup ces 2 séries, l’une japonaise l’autre française, vous seriez Geek que ça ne m’étonnerait pas smiley.

      @Yannick J : Il est clair que l’on touche là à un milieu qui rapporte beaucoup d’argent pour une clientèle VIP qui en a les moyens... Ca doit être sympa aux Etats-Unis les roller-ball et compagnie... Avec des filles... Il est clair à nouveau que si nous ne sommes pas informés et que les jeux olympiques deviennent une bouffonerie pour prototypes, toujours, pour cette même clientèle, alors ce forum ne sert à rien, la démocratie ne sert à rien, et il n’y a plus qu’à jouer au loto, ou à la bourse en espérant de ne pas se faire renverse par une voiture "noire".


  • MagicBuster 25 février 2009 16:45

    Quand les handi-sportifs iront plus vite que les valides , on pourra tous se faire amputer.
    ... C’est pour bientôt en athlétisme.


  • loco 25 février 2009 16:50

     Au niveau des athlètes, qu’ils soient munis ou non de prothèses ne change rien à leur statut de machine.


  • Tetsuko Yorimasa Tetsuko Yorimasa 25 février 2009 18:07

    J’avais déja vu ces photos de prothèses dans un site internet Américain de design, elles se marient incroyablement bien avec le corp humain, elles permettront peut-être aux personnes diminués de se sentir plus valorisées, de ne plus masquer leur problèmes, de se sentir entière...


  • ilian amar 25 février 2009 19:12

    j’espere qu’il sera gentil iron-man


  • TALL 25 février 2009 19:55

    Salut Charles

    Le principal défi, c’est l’interface neuronale.
    Même si théoriquement, c’est jouable, vu que le mode de propagation des influx nerveux est bien connu.
    L’influx est un changement de polarité de 2 millisecondes et de 0,1 volt.
    Toujours le même, ce qui en fait un signal binaire en fait.
    Les neurones pouvant en pulser des trains de plusieurs centaines.


    • Sandro Ferretti SANDRO 25 février 2009 21:09

      Salut, Tall
      J’ai guetté ta jument dans la 4 eme, casque rose, toque verte, et j’avais méme sorti mes jumelles. Mais les book n’ont pas voulu. Paris truqués... Au grand Prix , il parait que Cybion s’est trouvé un nouveau Jules...

      A l’auteur : fin du message personnel, merci.


    • TALL 25 février 2009 22:39

      Salut Sandro
      Ouaip, mais l’accumulation de conneries, ça finit toujours par se payer
      Le romain est un con, et il le payera un jour. C’est inévitable


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