lundi 6 octobre 2008 - par Véronique Anger-de Friberg

Rencontre avec le Pr Ali Saïb. Regard sur la science, la formation des chercheurs et la culture scientifique

« L‘histoire des sciences nous amène à penser que les grandes découvertes ne surgissent pas forcément là où on les attend. Ainsi, on peut investir des millions d’euros sur la recherche contre le cancer et passer à côté d’une découverte majeure. Je pense notamment à l’extinction de l’expression des gènes par des petits ARN interférents qui a été mise en évidence initialement chez le pétunia et qui aujourd’hui a des conséquences majeures en recherche en santé humaine. » Cette observation est celle du Pr Ali Saïb, chercheur, virologiste et professeur titulaire à la chaire de biologie du CNAM.
Véronique Anger : En 2008, le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM[1]) vous a nommé responsable de la chaire de biologie. Vous êtes ainsi devenu l’un des plus jeunes professeurs titulaires d’une chaire au CNAM. Comment obtient-on un poste aussi prestigieux, aussi jeune ?
Pr Ali Saïb : Avant d’obtenir un Diplôme d’études approfondies (DEA) en cancérologie à Paris au début des années 1990, j’ai débuté mon cursus universitaire en biologie et génétique à l’université d’Aix-Marseille. En 1997, j’ai intégré l’Inserm (l’Institut national de la santé et de la recherche médicale) comme chargé de recherches, puis j’ai été nommé professeur à l’université Paris-Diderot en 2004.
Ainsi qu’il est mentionné dans les statuts initiaux du chercheur, ce dernier doit répondre à trois objectifs prioritaires et complémentaires : la recherche, l’enseignement et la culture scientifique. C’est cette définition du métier de chercheur qui m’a amené à l’université. En tant que chercheur, j’enseignais déjà aux étudiants et j’ai tout simplement souhaité concrétiser cette position d’enseignant-chercheur.
À la différence de mon activité à l’université Paris-Diderot qui consistait à enseigner à des étudiants ; au CNAM, mon enseignement est orienté vers des adultes salariés. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à accepter d’y exercer. J’estime, en effet, que la formation des adultes est indispensable pour progresser dans son métier et faire évoluer sa carrière. On sait aujourd’hui qu’il deviendra de plus en plus rare d’exercer toute sa vie durant le même métier. Il est donc indispensable de se former pour pouvoir s’adapter. La formation continue se développe pour répondre à cette nécessité d’évoluer dans son métier et faire progresser sa carrière, mais aussi d’évoluer en dehors de son métier, découvrir d’autres thématiques ou se former à d’autres disciplines.
 
VA : Plus précisément, en quoi consiste votre métier de professeur au CNAM et comment fonctionne la chaire de biologie ?
Pr AS : Articulée autour d’une équipe d’enseignants-chercheurs, de techniciens, d’ingénieurs..., la chaire de biologie du CNAM est composée d’une activité de recherche et d’une activité d’enseignement. Mes fonctions consistent à orienter et à animer l’enseignement et la recherche. Pour cela, j’essaie d’être à l’écoute des entreprises et des salariés afin de déterminer quelles formations sont susceptibles de les intéresser aujourd’hui et dans le futur. Il est possible de proposer des enseignements sur mesure pour répondre à des besoins particuliers. Mon rôle est d’aller sur le terrain, de visiter les « biotechs », les sociétés et les laboratoires pharmaceutiques en région parisienne, en province et dans les différents pays où le CNAM est implanté. Il ne faut pas oublier que le CNAM possède des antennes en province et à l’étranger. Mon équipe et moi sommes basés à Paris et les équipes pédagogiques des centres régionaux associés de province relaient notre activité dans les principales villes de France et à l’international.
Conformément aux directives inscrites dans les statuts du CNAM, il est également demandé de développer une activité de culture scientifique vers le grand public. C’est un aspect très important que je souhaite développer avec mon équipe. En effet, le chercheur se doit d’être non seulement un enseignant, mais aussi un vecteur de culture scientifique. C’est à lui, entre autres, qu’il appartient de diffuser, dans un langage compréhensible pour le grand public, les principaux résultats de sa recherche. Au cours des siècles, les scientifiques ont progressivement rendu leur discours « opaque », à nous de le rendre à nouveau plus accessible pour le plus grand nombre.
 
VA : Quel regard portez-vous sur la science, la formation des chercheurs et la culture scientifique ?
Pr AS : Je dirais qu’il existe d’importantes lacunes dans la formation des scientifiques. Elle est loin de répondre à tous les objectifs fixés initialement. Je pense en particulier à ce qui concerne l’enseignement et la diffusion du savoir scientifique auprès du grand public. Je regrette que les chercheurs ne soient pas préparés à cela. Nous sommes essentiellement formés pour réfléchir à une thématique, à devenir de plus en plus spécialisés alors qu’il faudrait, au contraire, ouvrir l’enseignement aux autres disciplines, pour avoir une vision transversale d’une question.
Par ailleurs, l’histoire des sciences, qui est extrêmement importante car elle permet d’éviter certains écueils, n’est pas enseignée. Je tiens également à souligner la faiblesse des moyens déployés pour encourager les chercheurs à diffuser les résultats de leurs recherches et les mettre à la portée du grand public. De la même manière, l’évaluation des chercheurs ne tient pas nécessairement compte de leurs efforts en ce sens.
 
VA : Cette faiblesse ne pourrait-elle pas être corrigée ?
Pr AS : Il est tout à fait possible d’ajouter plusieurs volets au programme de formation des scientifiques, notamment l’histoire de la science, la communication de la science et la philosophie des sciences. C’est ce que nous tentons de mettre en place avec l’Association pour la promotion des sciences et de la recherche (l’APSR. Cf. encadré), une association que nous avons créée avec Dominique Vitoux et des chercheurs de l’Institut universitaire d’hématologie. Cette association vise initialement à mieux faire connaître les métiers de la recherche aux plus jeunes, collégiens et lycéens. Je ne parle pas seulement du métier de chercheur, qui reste une représentation réductrice du monde scientifique. La science est également l’affaire des ingénieurs, des techniciens, des étudiants, des post-doctorants, des administratifs... Le chercheur seul dans son laboratoire est une vue de l’esprit, du moins en sciences du vivant. Il est important de faire connaître aux plus jeunes les différents métiers de la recherche, mais aussi en quoi consiste la démarche scientifique. Plus récemment, nous avons pensé qu’il serait important de proposer aux scientifiques en poste des conférences sur l’histoire et la philosophie des sciences.
 
VA : Selon vous, quelle devrait être la place du scientifique dans la société civile ?
Pr AS : Vous abordez une question que je me pose depuis toujours... Une question grave, qui en entraîne bien d’autres. Depuis la Seconde Guerre mondiale et la mise au point de la bombe atomique par des physiciens, le scientifique est au centre de plusieurs préoccupations comme l’environnement, le réchauffement climatique, le clonage ou les OGM. Le scientifique fait partie de la société. Il est également un être social et son activité doit être pensée dans ce sens. Il est utopique de croire qu’il existe une cloison hermétique entre le scientifique et le citoyen, la science n’est pas neutre.
Une question qui en découle est de savoir qui décide des enjeux scientifiques et, par conséquent, des priorités de recherche ? Le scientifique, le politique, les industriels ? La recherche doit-elle se focaliser obligatoirement sur les pathologies, le cancer ou sur le sida par exemple et mettre de côté l’étude de la fourmi ou tout autre sujet apparemment éloigné de la santé humaine ou des problèmes environnementaux ? C’est une problématique à l’ordre du jour dans la recherche française dont le budget n’est pas en adéquation avec ses ambitions. Que ce budget soit important ou non, que décide-t-on de faire avec ce budget ? Et qui décide de l’affectation de ce budget ?
Je vous avoue que je n’ai pas la réponse... Je me permets cependant cette observation : l‘histoire des sciences nous amène à penser que les grandes découvertes ne surgissent pas forcément là où on les attend. Ainsi, on peut investir des millions d’euros dans la recherche contre le cancer et passer à côté d’une découverte majeure. Je pense notamment à la découverte de la régulation de l’expression génique par des petits ARN. L’observation initiale a été effectuée par des chercheurs qui ne travaillaient pas en santé humaine, mais sur le pétunia ! Les Américains Andrew Fire et de Craig Mello en ont compris le mécanisme, ce qui leur a valu le prix Nobel de médecine 2006. Cette découverte a des conséquences majeures en santé humaine.
 
VA : On peut parler de serendipity...
Pr AS : Oui... Initialement, la recherche visait le pétunia et cette découverte fabuleuse a ouvert un nouveau pan en biologie ! Dans ce contexte, comment définir des priorités, et qui doit les définir ?
 
VA : Quel devrait être le rôle du scientifique dans ce cas ?
Pr AS : Le scientifique se doit, entre autres choses, via la diffusion de la connaissance auprès du grand public et de la formation des étudiants, de participer à la prise de position sur des grandes questions scientifiques. Lorsque j’ai créé l’association APSR, le but n’était pas de former des scientifiques pour répondre à une pénurie de scientifiques dans les pays européens. L’objectif initial était de mieux faire connaître la démarche scientifique et l’esprit critique au grand public, en particulier aux plus jeunes afin qu’ils ne se laissent pas abuser par les discours scientifiques ou pseudo scientifiques diffusés dans les médias. Mon but était de leur donner les moyens d’acquérir un minimum de connaissances scientifiques pour les aider à développer un esprit critique. Je pense que les scientifiques aussi ont un rôle à jouer en ce sens auprès des jeunes.
J’ai découvert la science et le milieu scientifique vers 20 ans. Avant cela, je croyais tout ce qu’on me disait ! Comment aurait-il pu en être autrement ? Dans le cadre de l’APSR, les enfants visitent des labos, y développent un projet de recherche et peuvent poser leurs questions directement aux scientifiques tout au long de l’année scolaire. Par la suite, ils entretiennent une correspondance, principalement par courriel, avec les chercheurs et peuvent leur demander conseil à propos de ce qu’ils ont lu ou entendu, mais également sur leur orientation. Il est certain que le fait d’échanger avec plusieurs scientifiques dans divers instituts de recherche protège de la « mono-vérité » scientifique.
Le travail du scientifique consiste aussi à transmettre les « fondamentaux » au grand public afin que chacun puisse participer à des débats sur des questions scientifiques de société, par exemple les OGM, la procréation assistée, etc. Bien que les médias en parlent constamment, faites l’expérience de demander à des passants choisis au hasard dans la rue ce qu’est un organisme génétiquement modifié. Vous constaterez que 90 % d’entre eux n’en savent rien... Quand on invite les élèves dans les labos, les scientifiques leur expliquent en quelques minutes ce qu’est un OGM. Les enfants repartent avec des notions justes. Nous sommes vigilants afin que les scientifiques n’orientent pas leurs choix ; ils leur donnent simplement les bons outils qui leur permettront de comprendre, de se faire une opinion. Et pour se faire sa propre opinion, il faut se cultiver scientifiquement. Je parle des OGM, mais ce pourrait être un autre sujet. On leur apprend également à trier l’information scientifique sur le net.
 
VA : Que pensez-vous de la faible représentation des « minorités », des femmes notamment, dans les métiers scientifiques ?
Pr AS :Vous touchez là à un problème extrêmement important. Observez les milieux scientifiques. Prenez la filière « biologie », pour évoquer un exemple que je connais bien. On trouve une majorité de filles dans les cycles d’études supérieures et dans les laboratoires et, pourtant, au niveau de la direction de ces labos ou des instances d’évaluation et de décisions, les femmes sont largement sous-représentées.
La raison n’est pas leur incapacité à diriger, mais le fameux mirage du « plafond de verre[2] ». Ce mirage est pourtant une réalité pour les femmes, mais aussi pour les minorités ethniques ou sociales : les castes féminines ou d’origines ethniques ou sociales sont tenues éloignées des postes à responsabilités.
 
VA : Comment expliquez-vous cela ?
Pr AS :Cette situation est compliquée car elle est le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs. La tradition est un de ces facteurs. Dans un pays conservateur, on retrouve « traditionnellement » les mêmes personnes aux mêmes endroits. La cooptation fonctionne à plein. De plus, quand il n’existe pas d’antécédents dans la communauté - qu’il s’agisse de la communauté civile ou de la communauté ethnique - il est difficile pour un individu d’accéder à des postes à responsabilités faute de modèles, de références au sein de sa propre communauté. Le modèle qui jouera un rôle de moteur permettant d’accéder à ces postes de direction est donc plus difficile encore à trouver pour une femme issue de l’immigration ou d’un milieu populaire...
Pour faciliter l’accès des minorités aux postes à responsabilités, certains préconisent d’instaurer des quotas. Les quotas existent aux États-Unis depuis longtemps, mais ils n’ont pas permis jusqu’à présent de régler la situation des minorités. S’il est vrai qu’il y a davantage de minorités « visibles » dans des postes à responsabilités aux États-Unis, pour autant, la société civile ne fonctionne pas mieux. En France, certaines multinationales commencent à recruter des directeurs du bureau de la Diversité rattaché à leur département Ressources humaines. Il existe un véritable problème de diversité chez nous. Il me semble qu’une des façons de le régler est encore l’éducation et l’exemplarité. Jouer la carte de la diversité, c’est possible. Il faut le dire aux élèves, très tôt, et l’enseigner aux jeunes comme aux adultes.
Certaines sociétés se préoccupent sérieusement de ce problème. L’un des pionniers en la matière est la société de cosmétiques L’Oréal. Il y a dix ans, la Fondation d’entreprise L’Oréal et l’Unesco ont créé une Bourse récompensant l’excellence et le talent de femmes scientifiques partout dans le monde. Peut-être pensera-t-on qu’il s’agit là d’une goutte d’eau ? Mais cette goutte d’eau verse dans l’océan depuis plus de dix ans et, au fil des ans, une quinzaine de Bourses d’excellence et une dizaine de Prix[3] ont été décernés chaque année.
L’opération me semble intéressante également parce que L’Oréal assure un suivi des scientifiques qu’elle a récompensées, notamment dans les pays émergents.
Il me paraît évident que favoriser la diversité dans les instances de décisions et d’évaluations aura certainement des conséquences sur la définition des priorités de recherche.
 
VA : Selon vous, est-il possible de faire cohabiter éthique avec recherche et découverte scientifique ?
Pr AS : À mon sens, la réflexion sur l’éthique devrait faire partie intégrante du travail du scientifique. J’ai dit précédemment que les scientifiques n’étaient pas formés à l’histoire, ni à la philosophie des sciences, encore moins à la communication. Le quatrième point sur lequel ils ne reçoivent quasiment aucun enseignement, c’est l’éthique. Pourtant, parler d’éthique en science est fondamental.
Il existe bien un Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, qui siège, se prononce sur des questions précises et communique sur des points essentiels. Mais l’éthique ne devrait pas être focalisée sur le seul Comité national. Chaque chercheur devrait pouvoir bénéficier d’une formation en éthique et, mieux encore, être régulièrement invité à réfléchir sur l’éthique de sa propre recherche. Comme le psychanalyste doit suivre une analyse et avoir un référent analyste, le scientifique devrait pouvoir se pencher régulièrement sur son éthique, suivre périodiquement une formation ou un séminaire en éthique, réfléchir et prendre la parole devant ses confrères sur l’aspect éthique de son travail.
Il est facile de se laisser dériver et de s’éloigner de l’éthique parce que le chercheur est attiré par la découverte scientifique qui fait tout oublier... Pourtant, le volet éthique ne fait pas partie de la formation universitaire. Plus grave encore, aucun travail n’est effectué pour tenter de sensibiliser les scientifiques en poste.
L’éthique est une réalité dans la vie des scientifiques comme dans la vie de n’importe quel individu : chacun d’entre nous est obligé de « faire de l’éthique » au quotidien en plaçant des garde-fous dans sa vie de tous les jours. Les scientifiques n’y pensent pas nécessairement dans l’exercice au jour le jour de leur profession parce que le moteur du scientifique n’est pas l’éthique, mais le questionnement et la découverte scientifique. L’éthique n’arrive qu’en aval et, si elle venait en amont, une majorité de scientifiques pense qu’elle pourrait constituer un frein à la recherche.
 
VA : Que pensez-vous de l’avenir de la recherche fondamentale en France ?
Pr AS : En France, les maladies cardiovasculaires et le cancer représentent les premières causes de mortalité. Pour autant, doit-on se focaliser uniquement sur ces thématiques ? Le chercheur de la fonction publique (je ne parlerai pas ici des instituts privés qui ont des contraintes budgétaires différentes) doit-il se focaliser sur ces seules thématiques parce qu’elles touchent à la santé humaine ou peut-il aussi développer des thématiques éloignées, en apparence, de la recherche appliquée[4] ?
Tout le monde semble s’accorder (même le gouvernement français) sur le fait que la recherche fondamentale doit demeurer une priorité. Aujourd’hui, nous récoltons la moisson de ce qui a été planté ces trente dernières années. La recherche fondamentale permet de semer des graines qui germeront dans deux ou trois générations. Pour cette raison, il est important que la recherche fondamentale continue à se développer afin de planter ces graines pour les générations à venir.
Hélas, malgré les beaux discours, il est devenu de plus en plus difficile d’appliquer cette théorie dans la pratique. En effet, dès qu’un chercheur travaille sur une thématique éloignée d’une application particulière, son budget de recherche (renouvelable chaque année ou tous les deux ans) est quasi impossible à trouver car la plupart des appels d’offre de recherche se focalisent sur les pathologies humaines : Alzheimer, cancer ou sida, pour ne citer qu’eux. En très peu de temps, la recherche académique a connu un bouleversement majeur. Les dotations de l’État suffisaient il y a quelques années encore à financer la recherche d’un laboratoire. Aujourd’hui, celles-ci permettent de payer les locaux, l’électricité et les factures téléphoniques ! Pour fonctionner en termes de recherche, un laboratoire doit trouver ses propres financements. Du coup, une grande partie du temps de travail est consacré à la recherche de ces financements. C’est une réelle préoccupation car les organismes financeurs privés ne sont pas nombreux et la plupart d’entre eux soutiennent des recherches appliquées à une pathologie. 
En France aujourd’hui, un scientifique travaillant sur une thématique fondamentale (une protéine cellulaire dont il veut connaître le fonctionnement par exemple) qui publierait beaucoup (sachant que la qualité internationale d’un scientifique est fonction de la qualité de ses publications évaluée par ses pairs) risque pourtant de se retrouver très vite sans budget si sa protéine n’est pas impliquée dans un quelconque processus pathologique. Par conséquent, ce chercheur brillant va devoir se diriger soit vers une thématique qui lui permettra de trouver des fonds (le cancer par exemple) soit essayer de trouver un nouveau projet où il pourra impliquer sa protéine dans un processus pathologique.
 
Je pense qu’il est nécessaire d’avoir des scientifiques se focalisant sur des thématiques appliquées et d’autres s’attachant à développer des recherches bien en amont. À mon avis, le rôle du chercheur est également d’élargir le champ de nos connaissances (au sens de : science = connaissance) et donc d’accumuler des savoirs, indépendamment de tout enjeux national ou international. Les scientifiques qui le souhaitent - et en sont capables - sont libres d’appliquer les découvertes à des pathologies, comme ça a été le cas pour le pétunia que j’ai évoqué précédemment : dans ce cas précis, d’autres scientifiques ont repris les travaux pour les appliquer à l’homme et aux animaux.
Avant de quitter la présidence, M. Chirac a lancé son « Plan cancer ». Depuis, il y a eu le « Plan Alzheimer » et bien d’autres Plans. S’il est indispensable de lutter contre les pathologies humaines, mon point de vue est que cette lutte ne doit pas se faire au détriment de la recherche fondamentale. Car, en décidant politiquement d’arrêter certaines thématiques de recherche fondamentale, la France perd une partie de son savoir-faire.
Si on ambitionne de se diriger vers une société de la connaissance, l’enveloppe budgétaire dédiée à la connaissance devrait augmenter chaque année. Des équipes brillantes ne trouvent plus de budget pour la recherche fondamentale. Pourtant, nul ne peut prédire dans quelle voie émergera une découverte majeure... La recherche fondamentale est hors marché, risquée, imprévisible et nécessite de ce fait un investissement à long terme, majoritairement fourni par l’État.
 
VA : Voulez-vous dire que les autres pays allouent davantage de moyens à la recherche fondamentale ?
Pr AS : Je pense que les chercheurs rencontrent à peu près les mêmes difficultés partout, mais ailleurs c’est généralement l’excellence qui prime. Actuellement, l’Asie du Sud-est, en particulier Singapour, mise des milliards de dollars pour devenir leader dans les biotechnologies. Le pays s’est donné dix ans pour atteindre cet objectif. Il privilégie l’excellence scientifique et met les moyens pour recruter les meilleurs scientifiques du monde en recherche fondamentale comme en recherche appliquée. Et je pense qu’ils vont gagner ce pari...
 
*Le Pr Ali Saïb a publié près d’une centaine d’articles scientifiques ou de vulgarisation scientifique. Il a obtenu de nombreuses distinctions et récompenses. Il a reçu un « EMBO Award » en 2007 pour son implication dans le domaine de la communication scientifique. Son documentaire Dr Virus et Mr Hyde (coréalisé avec Jean Crépu) a reçu le Grand Prix du Festival international du film scientifique Pariscience 2006. Il a également été nommé « Prix de l’Information scientifique » du Festival international du scoop et du journalisme en 2006. Enfin, le Pr Ali Saïb est lauréat de nombreux prix dont le « Prix Recherche » de l’Académie nationale de médecine en 1998 et le « Prix Dandrimont-Bénicourt » de l’Académie des sciences en 2002. A paraître en 2009 : Dr Virus et Mr Hyde un livre d’Ali Saïb publié aux éditions Fayard.
 
Pour en savoir plus :
- « Des savants dans les classes et des élèves apprentis-chercheurs ». Le Monde de l’éducation (Rubrique Société/enquête. Octobre 2005)
- « Carte blanche à Ali Saïb » sur le site de Futura Sciences
 
Ce qu’il faut savoir sur l’association APSR-L’Arbre des Connaissances

A l’origine de l’APSR- l’Arbre des Connaissances il y a une idée toute simple « partager une passion, un univers ». Cette idée est passée par bien des phases, pour aboutir à une action concrète, l’accueil de collégiens et de lycéens dans les laboratoires de recherche au cours de l’année scolaire.
Encadrés par les principaux acteurs de la recherche, chercheurs, techniciens et doctorants, ces « Apprentis-Chercheurs » appréhendent le questionnement et la démarche scientifiques, mais aussi la vie du laboratoire. Les professeurs de SVT quant à eux jouent le rôle de « passeurs » indispensables entre ces deux univers.
La transmission du savoir scientifique vers le grand public, et plus particulièrement vers les plus jeunes, est un enjeu important pour mieux comprendre les apports de la science dans notre vie de tous les jours en évitant les écueils d’une fausse information, mais également pour prendre part, lorsque cela est nécessaire, aux débats soulevés par les nouvelles avancées scientifiques.

 


[1] Le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) établissement d’enseignement supérieur et de recherche fondamentale et appliquée, à vocation pluridisciplinaire, a été fondé le 10 octobre 1794 par l’abbé Henri Grégoire. Il est présent dans une centaine de villes en France et à l’étranger. La chaire de biologie du CNAM s’appelait « chaire de biologie végétale ».
 
[2]L’expression désormais consacrée pour désigner un objectif impossible à atteindre : on voit le plafond de verre, mais on ne l’atteint jamais…

[3] « Pour les femmes et la science », une Bourse pour les doctorantes offerte par L’Oréal et l’Unesco. Cette Bourse est destinée à promouvoir la science, soutenir la cause des femmes et changer l’image de la science dans le monde. Le Pr Ali Saïb est membre du comité d’évaluation des dossiers. Plus d’infos sur : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=42018&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

[4]
La recherche appliquée vise à résoudre des problèmes spécifiques d’usage pratique selon un modèle économique déterminé. La recherche fondamentale n’a pas, en principe, de finalité économique, mais a pour objectif d’accroître les connaissances scientifiques.


19 réactions


  • Christophe Christophe 6 octobre 2008 20:01

    Il reste une question qui est très difficile à résoudre de prime abord concernant la diffusion au grand public.

    Les sciences utilisent, globalement, une symbolique (qu’elle soit linguisitique ou mathématique) qui n’est pas toujours à la portée d’un large public.

    Si je ne m’abuse, la diffusion au grand public consiste à vulgariser la science, donc à faire usage d’une symbolique qui tend à se transformer en symboles linguistiques qui doivent être disponibles au plus grand nombre afin que leur représentation soit la plus proche possible du message exprimé. Nous nous heurtons, même si cela est possible, à la force expressive des symboles. Lorsque nous tentons de vulgariser une science, même si ses modèles et résultats sont démontrés soit par l’expérience, soit par des formulations mathématiques, le langage naturel permettant de transmettre au plus grand nombre ne repose que sur la faculté à convaincre, sur la force de conviction que mettra un eméteur à son large public.

    N’y a-t-il pas risque de confusion entre connaissance et croyance dans ce contexte ?


    • 000 6 octobre 2008 21:19

      Christophe,

      Sous-entendez-vous que le grand public ne peut pas se faire une opinion parce qu’il ne dispose pa de la capacité de juger de l’exactitude, ni de comprendre car seul le langage mathématique est suffisament (complètement ?) explicite pour décrire la vérité ?

      Moi je suis persuadée qu’un scientifique qui maîtrise son sujet est forcément passé par une modélisation mentale avant de passer à la symbolisation mathématique...
      Les calculs sont à un cetain niveau très difficiles même pour des initiés, mais l’idée reste accessible, non ?

      Sinon, cela voudrait dire que les financeurs sont convaincus par les calculs et qu’ils sont tous des bêtes en mathématiques à mon avis... Si les scientifiques bénéficient d’une reconnaissance du grand public, ce n’est pas seulement par les résultats qui prouvent leur théorie, sinon, peu de théories auraient pu être prouvée (enfin je crois).


    • foufouille foufouille 6 octobre 2008 22:46

      un autre exemple est stephen hawking. ou encore hubert reeves
      toutefois un scientifique peut panser totalement en math. ds ce cas c’est peu transposable
      quand on plafonne a 150 de QI des fois, on a du mal a se mettre au niveau du simple citoyen
      ce qui semble semble simple peut etre tres complexe pour certains


    • Christophe Christophe 7 octobre 2008 00:07

      @000,

      Sous-entendez-vous que le grand public ne peut pas se faire une opinion parce qu’il ne dispose pa de la capacité de juger de l’exactitude, ni de comprendre car seul le langage mathématique est suffisament (complètement ?) explicite pour décrire la vérité ?

      Non, au contraire. Mais se faire une opinion me semble plus proche de la croyance que de la connaissance. Imaginons simplement deux théories qui s’opposent dans le même domaine scientifique ; dès lors que vous les vulgarisez toutes les deux, comment un néophite en la matière peut-il prendre partie ? Certes il peut comprendre les tenants et les aboutissants des deux théories, mais il ne peut faire valoir la primauté de l’une au regard de l’autre ; sauf si il perçois, donc subjectivement, qu’une présentation a été plus convaincante que l’autre.

      Quant au langage mathématique, si il est souvent suffisant pour démontrer, voir prouver qu’une théorie se vérifie, cette vérité (c’est un mot que je n’utilise jamais en science ; la vérité n’existe pas en science puisque toute théorie est vouée à évoluer ou à être remise en question) n’est applicable que dans le contexte relatif à la force expressive de nos mathématiques qui possèdent leurs propres limites.

      Moi je suis persuadée qu’un scientifique qui maîtrise son sujet est forcément passé par une modélisation mentale avant de passer à la symbolisation mathématique...
      Les calculs sont à un cetain niveau très difficiles même pour des initiés, mais l’idée reste accessible, non ?

      Tout scientifique doit passer par une modélisation mentale avant de passer à la symbolisation usuelle de sa science. Ce n’est pas là, à mon avis, que réside le problème ; il est surtout de savoir le restituer en différents langages : le formel pour la modélisation, le semi-formel en cas de présentation à des initiés, l’informel en cas d’exposé devant des non initiés. J’aborde là différents langage dans la même lanh=gue naturelle car ils sont à des niveaux symboliques différents.

      Le problème qui se pose, à mon sens, est donc de savoir l’exprimer de façon exacte sur plusieurs plans. Il y a plusieurs difficultés qui ne sont pas liées au modèle mental que nous possédons en nous, mais qui sont inhérents à la communication avec autrui ; de mon expérience des systèmes experts, comme de mes études sur les modes de communication, il en ressort que l’exercice est en fait plus complexe que nous pourrions le penser intuitivement.

      Nous savons qu’une restitution formelle est conforme aux schémas de pensées ; ces derniers ayant été construit sur ces bases. Le semi-formel comme l’informel (langage naturel) pose le problème de la restitution des schémas par approximation (à un concept ne correspond pas un et un seul terme ; vous pourrez utiliser un terme qu’un initié serait en capacité de comprendre mais un ou plusieurs autres pour qu’un non initié puisse le comprendre), certaines informations étant implicites et non explicites, ... Il existe donc un décalage entre la pensée et les propos qui ne peuvent être comblé que par les connaissances intrinsèques à chaque individu ; ce qui est appelé l’incommunicabilité.

      Cela suppose que si communication il doit y avoir, elle ne peut se faire que dans un contexte de communication orale ouvrant la possibilité aux interlocuteurs d’intervenir pour tenter de rapprocher au mieux les schémas mentaux qu’ils déduisent du discours de ceux qui leur sont proposés. Cela permet tout autant à l’interlocuteur de mieux comprendre tout en permettant au locuteur d’aborder des questions qui lui semblent, à lui, sans grand intérêt a priori (cela permet parfois de comprendre le cheminement de la pensée d’autrui et parfois même de la sienne smiley )

      Sinon, cela voudrait dire que les financeurs sont convaincus par les calculs et qu’ils sont tous des bêtes en mathématiques à mon avis... Si les scientifiques bénéficient d’une reconnaissance du grand public, ce n’est pas seulement par les résultats qui prouvent leur théorie, sinon, peu de théories auraient pu être prouvée (enfin je crois).

      La question en suspens est : Sont-ce des gens qui connaissent ou des gens qui croient ? Dans la croyance, il y a une confiance qui peut aussi friser l’aveuglement. Dès lors que vous présentez des modèles de façon informelle qui correspondent à des schémas mentaux attendus ou correspondant à une tendance acceptée a priori par l’interlocuteur, ce dernier sera certain d’avoir compris même si ses schémas mentaux ne sont pas accordés à ceux qui lui ont été présenté par le biais de la communication. La conscience est aussi un lieu d’illusion.

      J’admets introduire certains éléments complexes, mais le raisonnement naturel humain est assez intuitif, alors que le langage des sciences est plutôt à tendance contre-intuitif. J’aborde cette problématique dans un article de TTO.


    • 000 7 octobre 2008 23:02

      Oui, se faire une opinion est une croyance, mais l’opinion est beaucoup plus souple/libre que la croyance.

      Vous ne pouvez pas prouver ce que vous avancez, même de façon formelle, donc vous y croyez vous même pour l’exprimer.

      Que pensez vous de l’expession "je ne crois que ce que je vois" ou alors ce dont la preuve a été admise par moi ?

      Dans un tel contexte, en quoi peut -on croire ?

      Cela reviendrait à en conclure que les sciences et les mathématiques ne sont qu’un culte ?

      Finalement, selon vos dires, j’en comprends que ce culte se compose en au moins 2 catégories :


      - Les initiés qui ont le pouvoir d’émettre une appréciation

      - Le grand public, les "croyants"

      Héhéhé, je comprends bien que c’est l’interprétation qui guide mes pensées.

      Heureusement que vous avez bénéficié d’un enseignement qui vous a conduit à vouloir accéder à une certaine connaissance du domaine, sinon, vous ne seriez qu’un "croyant". Maintenant, est-ce que vous étiez, sincèrement, un "croyant", ou est-ce que vous disposiez d’une libre pensée dont vous vous êtes servit : Un cerveau qui fait des calculs et des déductions tellement complexes que vous ne savez pas comment il arrive au résultat de vos pensées ?

      Je crois, et je’utilise ce terme car je crois que l’on n’est jamais sûr de rien, que vous avez certainement bénéficié d’une liberté de vos pensées car vous ne subissiez pas un endoctrinement qui aurait pu fausser vos conclusions intellectuelles.

      L’enseignement scientifique n’est pas à la portée de tous ? Cela dépend de la motivation certes, sans pour autant en faire une religion : cf. définition de la science, ou des mathématiques...

      Penser que ces domaines ne sont pas accessibles au grand public, c’est lui en fermer les portes et le pousser vers une croyance où il est valorisé, manipulé, endoctriné...

      Mais je ne pense pas que c’était le sens de votre réponse... Et puis je n’ai pas les mots "scientifiques", ni le formalisme pour prouver ce que j’avance et je suis pour la liberté de penser, alors... Cela dépend si vous y croyez ou non smiley

      Et puis je vous lis toujours avec beaucoup d’intérêt et ça n’a rien d’une croyance, croyez moi smiley


    • Christophe Christophe 8 octobre 2008 12:51
      @000,

      Oui, se faire une opinion est une croyance, mais l’opinion est beaucoup plus souple/libre que la croyance.
       
      En cela nous sommes d’accord. La croyance peut être contenue dans un intervalle compris entre l’incertitude et la doctrine.

      Vous ne pouvez pas prouver ce que vous avancez, même de façon formelle, donc vous y croyez vous même pour l’exprimer.
       
      La preuve est une volonté de recherche de la vérité. Existe-t-il une vérité immuable ? La vision du tiers exclu est une tournure de l’esprit, je ne suis pas certain que cela soit une réalité. Pour tenter de modéliser le monde, la logique du premier ordre est totalement insuffisante, c’est pour cela que dans certaines recherches, nous développons des logiques plus ouvertes, sans parvenir à tout modéliser sans restreindre le champ d’application d’une théorie ; principe des postulats posés a priori.

      Que pensez vous de l’expession "je ne crois que ce que je vois" ou alors ce dont la preuve a été admise par moi ? Dans un tel contexte, en quoi peut -on croire ?
       
      Nous ne pouvons croire qu’en ce que nous jugeons acceptable, plausible. Le jugement reste une action déterminée par notre intuition, il est donc fortement subjectif. Les sciences tentent, quant à elles, d’annuler l’effet subjectif de l’homme en proposant des approches objectives ; ces approches étant elles-mêmes une émanation de l’homme subjectif qui s’impose une rigueur de raisonnement.

      Cela reviendrait à en conclure que les sciences et les mathématiques ne sont qu’un culte ?
       
      Les sciences ne sont pas un culte (sauf la croyance absolue en la science appelée scientisme), c’est un domaine dans lequel nous tentons de comprendre le monde en s’imposant une vision formelle contre nature. Les mathématiques ne sont qu’un langage, une symbolique qui ne fait qu’imposer la rigueur de raisonnement. C’est un outil contre-inductif, lui aussi, contre nature, c’est un outil extensionnel alors que la nature des raisonnements humains est intentionnel. A ma connaissance, seul Richard Montagu a tenté de développer une logique intentionnelle, il y a passé une grande partie de sa vie et il a échoué.

      Finalement, selon vos dires, j’en comprends que ce culte se compose en au moins 2 catégories :
      Les initiés qui ont le pouvoir d’émettre une appréciation
      Le grand public, les "croyants"
      Héhéhé, je comprends bien que c’est l’interprétation qui guide mes pensées.
       
      Il ne me semble pas que ce soit aussi simple. Les initiés connaissent le domaine dans lequel ils exercent. Ils en connaissent les limites, mais un initié d’un domaine ne connaît pas toutes les limites de tous les domaines de la science. Et qu’est-ce qu’un scientifique si ce n’est un croyant au sens où il considère que les outils qu’il manipule (formels ou non) permettent de définir une approche de la vérité ou de la réalité. Ne sommes-nous pas tous des croyants, bien que ce soit à des niveaux différents ? La connaissance n’est-elle pas une croyance permettant de donner la primauté aux raisonnements contre-intuitifs ?
       
      Si nous posons l’hypothèse que la connaissance est le résultat d’informations sur lesquelles nous avons appliqués un processus de raisonnement, alors tout est connaissance. Si nous restreignons l’hypothèse uniquement à des raisonnements rigoureux, ou même formel, nous écartons tout raisonnement naturel humain ; nous écartons tout humain n’ayant pas eu la possibilité de posséder l’approche contre nature des sciences, la rigueur objective.

      Heureusement que vous avez bénéficié d’un enseignement qui vous a conduit à vouloir accéder à une certaine connaissance du domaine, sinon, vous ne seriez qu’un "croyant". Maintenant, est-ce que vous étiez, sincèrement, un "croyant", ou est-ce que vous disposiez d’une libre pensée dont vous vous êtes servit : Un cerveau qui fait des calculs et des déductions tellement complexes que vous ne savez pas comment il arrive au résultat de vos pensées ?
       
      Cela concerne ma propre vision, mais je peux peut-être tenter de l’exposer. Tout d’abord, explicitons les méta-connaissances. J’accepte l’approche de bien des chercheurs et philosophes sur la façon qu’ont les êtres humains à se construire : c’est parce que je vois l’autre comme autre c’est à dire comme différent que je prends conscience par différence de moi. Dès lors, nous sommes en construction permanente par confrontation avec les autres. Le piège que je tente d’éviter consiste à adhérer aux idées d’une et une seule personne ; chaque point doit être mesuré et jugé. In fine, je pense que je suis pour une part relativiste puisque ce type de processus ne peut conduire qu’à : pour l’individu, il n’existe qu’une seule réalité, la sienne propre, intérieure, son être.
       
      Partant de ces principes fondamentaux, apprendre par les autres nécessite une volonté de connaître, non pas dans un domaine particulier des sciences, mais dans la recherche de compréhension de soi et de ce que nous sommes. Certes, j’ai d’abord été éduqué par les sciences et les techniques à forte tendance formelle. Ce sont les sciences cognitives qui m’ont permis d’entrevoir d’autres approches, d’autres possibilités d’ouvrir ma réflexion. Pour faire un rapprochement avec les sciences dites dures, je rapproche les états de savoir, les schémas mentaux que nous possédons, comme différents états en équilibre instable soumis aux fluctuations de nouvelles entrées sensorielles ; cela ressemble à la thermodynamique non linéaire des processus irréversibles de Prigogine. Une impression qui pousse aussi à savoir est que plus nous apprenons, plus nous nous rendons compte de notre inconnaissance, il manque toujours des pièces dans la construction des schémas mentaux.

      Je crois, et je’utilise ce terme car je crois que l’on n’est jamais sûr de rien, que vous avez certainement bénéficié d’une liberté de vos pensées car vous ne subissiez pas un endoctrinement qui aurait pu fausser vos conclusions intellectuelles.
       
      Sur ce sujet précis, nous semblons bien être en accord parfait.

      L’enseignement scientifique n’est pas à la portée de tous ? Cela dépend de la motivation certes, sans pour autant en faire une religion : cf. définition de la science, ou des mathématiques...
       
      Il existe aussi des phénomènes psychologiques que j’ai pu remarquer chez certains jeunes élèves ; j’ai longuement aidé des élèves en difficulté en mathématiques. Les mathématiques qui sont un pendant du raisonnement scientifique, poussent les élèves à faire abstraction de leur être naturel ; certains parviennent à passer le cap en se laissant guider par des raisonnements contre-intuitifs, mais d’autres ont des difficultés car leur intuition s’y oppose (peut-être est-ce une caractéristique plus développé chez certains ?). C’est avant tout un travail sur soi qu’il faut réaliser, il ne sert à rien de faire entrer des formules formelles dans une tête si le raisonnement ne suit pas. Mais n’est-ce pas là une forme de conditionnement ?

      Penser que ces domaines ne sont pas accessibles au grand public, c’est lui en fermer les portes et le pousser vers une croyance où il est valorisé, manipulé, endoctriné...
      Mais je ne pense pas que c’était le sens de votre réponse... Et puis je n’ai pas les mots "scientifiques", ni le formalisme pour prouver ce que j’avance et je suis pour la liberté de penser, alors... Cela dépend si vous y croyez ou non.
       
      Je suis plutôt favorable à la vulgarisation des sciences au plus grand nombre. Mais je suis aussi favorable à ce que nous prônions une véritable émancipation permettant à chacun de se faire une opinion sur des fondations qui sont propres à chaque individu (jusqu’à présent, l’émancipation me semble être un échec). Je réfute qu’un spécialiste d’un domaine possède une connaissance suffisante qui lui permette de faire valoir son raisonnement sur un néophyte. Tout raisonnement doit pouvoir s’expliquer et doit être soumis à la polémique.
       
      Le manque actuel d’émancipation, voir les formes de conditionnement que nous subissons tous depuis le plus jeune âge me semble nous fragiliser vis-à-vis de la manipulation et de l’endoctrinement.

    • 000 8 octobre 2008 21:08

      Super, finalement vous n’êtes pas si élitiste qu’on pourrait le penser...

      C’est bien, car dans cet article il est question du CNAM : Une organisation qui ne fait pas de filtrage au niveau des étudiants... Quel que soit l’âge, quel que soit le niveau scolaire.

      Les étudiants comme les enseignants ont bien souvant une activité professionnelle en plus de l’enseignement qu’ils reçoivent ou qu’ils dispensent.

      "Malgré" un "grand public", les résultats sont uniquement basés sur la qualité de l’enseignement et la persévérence des étudiant.

      Si le CNAM a acquis une reconnaissance et est devenu une référence auprès des recruteurs, ce n’est pas pour rien.

      Je ne peux toujours parler que de mon point de vue, je reconnais une admiration envers les grands génies de notre humanité, mais je suis aussi très respectueuse du travail qui tente à élèver toute l’Humanité car je trouve qu’il est bien plus satisfaisant de vivre dans un monde qui favorise l’accès à la connaissance afin de vivre avec des semblables qui partagent une certaine culture (et là je ne parle pas de l’héritage), et surtout avec une sorte d’espoir que l’esprit Humain tends vers une sorte d’amélioration...

      Mais bon, je n’y ai pas bien réfléchit, je m’indigne seulement de ceux qui me font perdre l’espoir. Et puis c’est un point de vue personnel.

      Merci de votre attention, des commentaires qui conduisent au raisonnement sont certainement constructifs.

      Et merci à l’auteur, cet article prouve qu’il y a quand même de bonnes choses dans notre société.


    • Christophe Christophe 8 octobre 2008 23:40

      @000,

      Super, finalement vous n’êtes pas si élitiste qu’on pourrait le penser...
      C’est bien, car dans cet article il est question du CNAM : Une organisation qui ne fait pas de filtrage au niveau des étudiants... Quel que soit l’âge, quel que soit le niveau scolaire.
      Les étudiants comme les enseignants ont bien souvant une activité professionnelle en plus de l’enseignement qu’ils reçoivent ou qu’ils dispensent.
      "Malgré" un "grand public", les résultats sont uniquement basés sur la qualité de l’enseignement et la persévérence des étudiant.
      Si le CNAM a acquis une reconnaissance et est devenu une référence auprès des recruteurs, ce n’est pas pour rien. 

      J’ai vécu moi-même une formation CNAM (en informatique). 11 années d’études en cours du soir, à un rythme de sénateur, il ne sert à rien de chercher la saturation, pour me mener aux recherches en sciences cognitives. Le CNAM m’a beaucoup apporté, tant au niveau des connaissances qu’au niveau du raisonnement ; il ne suffit pas d’apprendre, mais il faut aussi se former à apprendre par ses propres moyens pour étendre son champ d’investigation. Mes formations scientifiques de base s’élevaient à bac + 2 en mécanique, en électronique et en informatique industrielle. De mes souvenirs le plus difficile à passer dans le cursus ingénieur est le probatoire (passage obligé avant le cycle C menant au diplôme d’ingénieur) ; 6 semaines pour aborder un sujet dont vous ne connaissez rien au départ, le tout en travaillant la journée. Mais la difficulté est stimulante.

      Certes, les formations CNAM s’adressent à un large public, mais la formation est graduelle et dépend de la formation initiale au début. Les premiers cours que j’ai suivi ont laissé quelques étudiants sur le carreau, principalement dans des matières à haut niveau d’abstraction (tout dépend des apprentissages acquis).

      Mon travail a aussi consisté, lors de mon mémoire, à vulgariser les sciences que j’ai abordé dans le cadre des sciences cognitives. Pour les sciences de l’homme (anthropologie, psychologie, ...), ce fût un exercice assez simple. Pour les sciences à forte tendance formelle (langages de représentation de connaissance, logiques, ...), l’exercice est plus complexe. Ce n’est pas un problème de capacité du public (dans le jury, il y a plusieurs néophytes et des chercheurs des domaines), mais un problème de transcription de son savoir ; il faut se mettre au bon niveau pour que tout le monde comprenne. Si le message ne passe pas, ce n’est pas le public qu’il faut blâmer, mais admettre que c’est celui qui transmet qui n’a pas su vulgariser. C’était le sens de mon premier propos ; j’ai perçu que le professeur Ali Saïb abordait cette difficulté sous cet angle.

      Je ne peux toujours parler que de mon point de vue, je reconnais une admiration envers les grands génies de notre humanité, mais je suis aussi très respectueuse du travail qui tente à élèver toute l’Humanité car je trouve qu’il est bien plus satisfaisant de vivre dans un monde qui favorise l’accès à la connaissance afin de vivre avec des semblables qui partagent une certaine culture (et là je ne parle pas de l’héritage), et surtout avec une sorte d’espoir que l’esprit Humain tends vers une sorte d’amélioration...

      Que je soit globalement en accord ou pas avec les génies, les penseurs, il n’en reste pas moins qu’ils m’inspirent le respect. C’est par l’émulation et l’échange que nous progressons ensemble, et l’exercice n’est pas toujours facile. Quant au fait que l’esprit humain puisse tendre vers l’amélioration, c’est un ouvrage, voir un combat, de tous les jours, c’est un objectif que nous devrions tous avoir.


    • 000 8 octobre 2008 23:56

      @Christophe

      Et bien je suppose que vous allez continuer à y contribuer smiley

      Moi j’essaye déjà par mon grand entourage proche à un niveau... A mon niveau.

      Je pense que je retournerai un jour au CNAM, dès que j’aurai un peu plus de libertés, mais tout cela me rends bien nostalgique... Enfin, l’important c’est de vivre en harmonie avec ses propres principes quelque part et je n’étais pas en accord avec votre commentaire initial, me voici en paix.

      Merci smiley


  • Véronique Anger-de Friberg Véronique Anger-de Friberg 9 octobre 2008 23:18

    A propos du prix Nobel de chimie décerné au Japonais Osamu Shimomura et aux Américains Martin Chalfie et Roger Tsien :

    "Pour le biologiste Antoine Triller (Ecole normale supérieure), ce Nobel ne récompense pas seulement "une avancée majeure en biologie, qui permet de visualiser les mécanismes dynamiques à l’intérieur même des cellules vivantes". Il illustre aussi "une très jolie morale", dans la mesure où l’origine des recherches - des travaux proches des sciences naturelles portant sur une simple méduse - semble fort éloignée de ce que commanderait une gestion "bêtement marchande et immédiate" de la science.".

    Cet article du Monde.fr d’aujourd’hui est très intéressant et en rapport avec notre sujet . A lire :
    http://www.lemonde.fr/planete/article/2008/10/09/prix-nobel-la-fluorescence-d-une-meduse-primee_1105007_3244.html#ens_id=1103748

     


  • Rodica 12 octobre 2008 19:29

    Félicitations pour la clarté de cet entretien, juste et pertinent. La préparation des jeunes scientifiques à la fois à la recherche et à l’enseignement est primordiale. L’importance du développement de la recherche fondamentale en France est absolument vitale. L’analyse correspondant à la faible représentation des femmes et des minorités aux postes de responsabilité est très bonne.
    Qui doit décider des priorités de la recherche ? Comment éviter la cooptation ?Ces questions épineuses posées ,il serait souhaitable que des personnes ayant les idées d’Ali Saïb puissent intervenir dans ces décisions !


  • Véronique Anger-de Friberg Véronique Anger-de Friberg 7 novembre 2008 00:14

    Le célèbre magazine "Science" consacre un article au Pr Ali Saïb (daté du 31/10/08) :
    "A virologist with contagious enthusiasm"
    A lire en ligne sur :
    http://sciencecareers.sciencemag.org/career_magazine/previous_issues/articl es/2008_10_31/caredit.a0800160


  • Dickin 4 janvier 2009 12:57

    "Nous sommes vigilants afin que les scientifiques n’orientent pas leurs choix ; ils leur donnent simplement les bons outils qui leur permettront de comprendre, de se faire une opinion."

    Un chercheur engagé dans le développement des OGM, par exemple, peut-il réellement être "objectif " sur la question des OGM ? N’a-t’il pas déjà pris parti sur ce sujet, sinon il ne ferait pas cette recherche ?

    L’honnêteté en la matière ne consisterait-elle pas plutôt à exposer les motivations de cette prise de parti au public, plutôt que de donner l’apparence hypocrite de l’objectivité ?



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