vendredi 28 mai 2010 - par vogelsong

Sur Internet, on n’envisage pas l’anonymat

Une autre saillie contre le net. Cette fois-ci contre les blogueurs. L’attaque est portée par J.L. Masson, sénateur mosellan de son état qui souhaite ni plus ni moins, réviser la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique. Son objectif : mettre un terme à l’anonymat des blogueurs en obligeant ces derniers à se plier aux mêmes contraintes que les éditeurs de sites professionnels. Nom, prénom, numéro de téléphone, toute cette batterie d’infos devra désormais être visible si cette proposition de loi passe

La croisade d’un allumé de première

La charge est rude et l’on peut légitimement s’interroger sur les raisons d’une telle croisade. J.L. Masson souhaiterait-il se faire un nom ? Décrit comme un “allumé de première”, un franc-tireur manifestement capable de s’engouffrer dans ce genre de combat en solo. Soit, après tout pourquoi pas, il est vrai que depuis 2004, J.L. Masson n’appartient plus à l’UMP et à plusieurs reprises il n’a pas hésité à faire entendre une voix discordante au sein de la majorité. Néanmoins étant donné le ramdam qu’a provoqué cette proposition de loi, on ne peut que s’étonner du mutisme qui règne au sein des rangs de l’UMP. Surtout que volontairement ou non, cette polémique s’inscrit dans un processus plus large de dénigrement systématique du web. Bien que l’on voie mal comment un tel dispositif pourrait être réalisable (héberger son blog à Palo Alto est désormais à la portée de n’importe quel internaute quelque peu débrouillard), des élus de la République, responsables, continuent de fantasmer sur le contrôle total de la société. Ici le vieil adage :”on a peur de ce que l’on ne connaît pas” prend tout son sens.

Pour les gens de pouvoir, il s’agit ici de mettre un visage sur une menace potentielle. Une menace qui déclenche une lubie (encore une) d’un sénateur incompétent sur le sujet. Récemment E. Kaspersky s’était prononcé pour la création d’un passeport digital pour lutter contre l’anonymat sur le web, J.L. Masson n’en est malheureusement pas au même stade de réflexion.

On peut donc s’interroger sur les raisons de cette attaque contre une activité non constituée, versatile, et finalement si peu influente ? Une Erreur, sans doute.

Presse/Blog analogie inepte

Au comble de l’ignorance, le député Masson fait l’analogie avec ce qui lui tombe sous la main, c’est-à-dire la presse. Comme si ce modèle de droits et de devoirs pouvait s’appliquer aux blogs. Lorsqu’un journaliste gagne de l’argent avec sa signature (son nom), le blogueur peut, lui, en perdre. Ce que monnaye le journaliste c’est sa plume, son réseau, contre un salaire dans une entreprise qui lui permettra de publier ses articles (modèle théorique parfait). Il en va tout autrement pour le citoyen internaute. Décrire la réalité crue et ennuyeuse d’un open-space peut lui coûter son poste. Pointer les turpitudes de ses élus pour un électeur de base peut avoir certaines répercussions domestiques. Dans ce cadre, l’anonymat (supposé) du blogueur est la dernière défense face à l’arbitraire des groupes constitués. Si le journaliste, normalement, dispose d’une structure économique et légale pour faire paraître l’information en s’affranchissant des pressions (encore le modèle théorique), le blogueur n’en bénéficie pas. Mais le sénateur J.L. Masson semble l’ignorer.

Sélection naturelle

Le pleutre se camoufle pour commettre ses méfaits. C’est un peu en ces termes que les tenants du “bon sens” s’attaquent au problème. C’est encore très mal connaitre l’écosystème du net. Si le cas C. Bruni / B. Biolay fut une dérive de la rumeur, il reste circonscrit, précis. Mais au contraire J.L Masson érige ces micro-exceptions en cas d’école. Au micro de J. Martin de Rue89, il affirme que : “régulièrement, on a affaire à des gens qui se livrent à des propos diffamatoires, injurieux sur le web…

Mais c’est très mal connaître la blogosphère qui fonctionne cruellement par sélection naturelle. Diffuser une fausse information une fois peut passer. Ensuite c’est l’éjection. Avec ou sans anonymat. D’autre part, c’est oublier que la fausse rumeur est relayée par des médias de masse. Sans eux elle serait circonscrite au microcosme. Se pose alors la question de savoir, qu’est-ce qui coince ? La peur de la rumeur diffamatoire, pour la mise en exergue d’informations déplaisantes, mais vraies comme le cas Hortefeux ?

L’anonymat, une furtivité

L’anonymat sur internet est une entreprise éprouvante. Il faut du matériel, des connaissances pointues et être méticuleux. Un travail à plein temps. Ce qui est en jeu relève plutôt de la furtivité. La faculté de rester discret et de dire des choses avec l’impression (seulement) qu’une certaine difficulté à être identifié désinhibe. L’expérience montre que les dispositions contre la diffamation existent déjà.

Mais il ne faut pas se méprendre, dans le cas (extrême) de l’atteinte à la sécurité nationale, le débat sur l’anonymat relèvera du folklore. Il est hautement probable qu’il faudra moins d’une demi-heure par localiser précisément le rédacteur d’un blog “dangereux”.

Et c’est encore mal connaitre cet univers paradoxal fait de discrétion et d’ego démesurés. Garder l’anonymat, tout en voulant être influent. Les blogueurs participent à des évènements politiques, mondains, investissent certaines fois l’Assemblée nationale ou le Sénat. Ils s’érigent en influents, se gargarisent des classements. Aiment être connus. De cet univers nombriliste, certains en ont fait un business. Dès lors, ses marchands du temple n’ont pas mis longtemps à s’élever pour protéger l’anonymat des blogueurs. À défaut de pouvoir se fédérer, les blogueurs s’en remettent à des boucliers mercantiles.

Finalement J.L. Masson répond involontairement à une aspiration inassouvie, la quête d’influence. Un fantasme qui perdure depuis des années auquel cette loi répond de la plus belle manière. La blogosphère se réjouit, si le pouvoir se met à craindre les blogueurs, c’est qu’ils ont donc une influence, une légitimité. Le web ayant pour vocation de devenir tôt ou tard le lieu central du débat public

 

Reversus & Vogelsong – Paris – 26 mai 2010
 


3 réactions


  • dup 28 mai 2010 13:25

     

    Censure : Un livre vous déplaît-il, réfutez-le ; vous ennuie-t-il, ne le lisez pas. »

    « Quand on doute de sa pensée, on veut censurer celle des autres »

    cette fois je vais diffamer : ce sénateur est un sinistre con , et il aura bien cherché les crituques qu’on lui adresse. Il a donc rien d’autre à foutre par ces temps de débacle ? il faut afficher ce texte en fond d’écran sur tous les pc :


    INDEPENDANCE CYBERSPACE

    Par John


    Hier, le grand invertébré qui loge à la Maison Blanche a apposé sa signature au bas du texte de la loi de 1996 sur la « réforme » des télécommunications, pendant que Tipper Gore prenait des photos numériques de l’événement afin de les publier dans un livre qui sera intitulé « 24 Hours in Cyberspace » (24 Heures dans le cyberspace).

    J’avais également été invité à contribuer à ce livre en écrivant un texte d’actualité. Mais étant donné le caractère infâme des contrôles que cette loi cherche à imposer sur le Net, j’ai pensé qu’il était temps de déverser quelques balles de thé sur les quais du port virtuel [Allusion à la « Boston Tea Party » (1773), émeute au cours de laquelle ont été détruites des cargaisons de thé appartenant à la Compagnie des Indes en réponse aux taxes instituées par le gouvernement britannique. Cette émeute fut un des premiers incidents de ce qui devait devenir la guerre d’indépendance des États-Unis - NdT].

    Car la loi sur la « réforme » des télécommunications, adoptée par le Sénat à une écrasante majorité (avec seulement 5 voix contre) rend en fin de compte illégal, sous peine d’une amende de 250 000 dollars, le fait de dire « merde » sur le réseau. Ou, d’ailleurs, de dire n’importe lequel des 7 gros mots interdits d’antenne à la radio et à la télévision. Ou de discuter au grand jour de l’avortement. Ou de parler des autres fonctions corporelles autrement qu’en utilisant un vocabulaire médical aseptisé.

    Elle tente de placer sur les échanges qui se mènent dans le cyberspace des contraintes plus restrictives que celles qui existent à la cafétéria du Sénat, où chaque fois que j’ai eu l’occasion d’y prendre un repas j’ai entendu des sénateurs utiliser des expressions gratinées.

    Cette loi nous a été parachutée par des gens qui n’ont pas la moindre idée de qui nous sommes ou de ce qu’est ce territoire où ont lieu nos échanges. Ainsi que le dit mon ami Louis Rossetto, rédacteur-en-chef du magazine Wired, c’est comme si « les illettrés pouvaient vous dire ce qu’il faut que vous lisiez. »

    Eh bien, qu’ils aillent se faire foutre.

    Ou plutôt, profitons de l’occasion pour prendre congé d’eux, maintenant. Ils ont déclaré la guerre au cyberspace. Montrons-leur l’étendue de notre pouvoir, de notre ruse et de notre capacité à surprendre lorsqu’il s’agit pour nous de nous défendre.

    Avec le sens de la disproportion qui me caractérise, j’ai écrit un texte dont j’espère qu’il sera un des nombreux moyens qui nous permettront de nous défendre. Si vous le trouvez utile, j’espère que vous le diffuserez aussi largement que possible. Vous pouvez en retirer ma signature si vous le souhaitez, car je n’accorde aucune importance au fait qu’on m’attribue ou non sa paternité. Vraiment aucune.

    Mais j’espère que ce cri se fera entendre à travers tout le cyberspace, qu’il croîtra, qu’il se clonera, qu’il mutera jusqu’à ce que son volume égale celui de l’idiotie qu’on vient de nous infliger.

    Je vous offre une...


  • dup 28 mai 2010 13:26


    Déclaration d’indépendance du cyberspace

    Gouvernements du monde industrialisé, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberspace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande, à vous qui appartenez au passé, de nous laisser en paix. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucune souveraineté sur le territoire où nous nous assemblons.

    Nous n’avons pas de gouvernement élu, et il est peu probable que nous en ayons un un jour : je m’adresse donc à vous avec la seule autorité que m’accorde et que s’accorde la liberté elle-même. Je déclare que l’espace social global que nous construisons est naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. Vous n’avez aucun droit moral à nous gouverner, et vous ne possédez aucun moyen de faire respecter votre autorité que nous ayons de bonnes raisons de craindre.

    Les gouvernements trouvent le fondement de leur pouvoir légitime dans le consentement des personnes qu’ils gouvernent. Vous n’avez ni sollicité ni obtenu le nôtre. Nous ne vous avons pas invités. Vous ne nous connaissez pas, et vous ne connaissez pas non plus notre monde. Le cyberspace ne se trouve pas à l’intérieur de vos frontières. Ne pensez pas que pouvez le construire comme s’il était un de vos Grands Travaux. Vous n’y arriverez pas. C’est un phénomène naturel qui croît de lui-même, par nos actions collectives.

    Vous n’avez pas pris part aux grands débats qui nous ont réunis, et vous n’avez pas non plus créé la richesse de nos marchés. Vous ne connaissez ni notre culture, ni notre éthique, ni les codes non-écrits qui ordonnent déjà notre société mieux que ne pourraient le faire n’importe lequel des règlements que vous prétendez nous imposer.

    Vous dites qu’il existe chez nous des problèmes que vous devez résoudre. Vous prenez prétexte de cela pour faire intrusion dans notre espace. Beaucoup de ces problèmes n’existent pas. Là où il y aura de véritables conflits, là où des torts seront effectivement causés, nous les identifierons et nous les traiterons avec nos moyens. Nous sommes en train de mettre en place notre propre Contrat Social. Nous nous gouvernerons en fonction des conditions qui prévalent dans notre monde, pas dans le vôtre. Car notre monde est différent.

    Le cyberspace est fait de transactions, de relations et de pensée, circulant en un flot ininterrompu sur nos canaux de communication. Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il ne se trouve pas là où vivent les corps.

    Nous sommes en train de créer un monde ouvert à tous, sans privilège ni préjugé qui dépende de la race, du pouvoir économique, de la puissance militaire ou du rang à la naissance.

    Nous sommes en train de créer un monde où chacun, où qu’il soit, peut exprimer ce qu’il croit, quel que soit le degré de singularité de ses croyances, sans devoir craindre d’être forcé de se taire ou de se conformer.

    Les concepts de votre droit en matière de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement et de circonstances ne s’appliquent pas à nous. Ils ont leur fondement dans la matière, et il n’y a pas de matière ici.

    Nos identités n’ont pas de corps : donc, contrairement à vous, nous ne pouvons pas faire régner l’ordre au moyen de la force physique. Nous pensons que c’est à travers l’éthique et l’intérêt bien compris de chacun et de la communauté dans son ensemble que va surgir notre mode de gouvernement. Nos identités sont probablement dispersées à travers un grand nombre de vos juridictions. La seule loi que toutes les cultures qui nous constituent seraient prêtes à reconnaître est la Règle d’Or de l’éthique. Nous espérons que nous serons capables de construire nos propres solutions sur cette base. Mais nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous essayez d’imposer.

    Aux États-Unis, vous venez aujourd’hui de créer une loi, la loi sur la réforme des télécommunications, qui renie votre propre Constitution et qui est une insulte aux rêves de Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et Brandeis. C’est nous qui devons maintenant faire renaître ces rêves.

    Vous avez une peur panique de vos propres enfants, car ils sont nés dans un monde où vous serez à jamais immigrants. Parce que vous avez peur d’eux, vous confiez à vos bureaucraties les responsabilités parentales que vous êtes trop lâches pour exercer vous-mêmes. Dans notre monde, tous les sentiments et toutes les expressions de l’humain, du plus dégradant au plus angélique, font partie d’un tout inséparable, l’échange global des octets. Il n’est pas possible de séparer l’air qui peut éventuellement étouffer certains de ceux qui le respirent de celui qui permet aux oiseaux de voler.

    En Chine, en Allemagne, en France, en Russie, à Singapour, en Italie et aux États-Unis, vous essayez de tenir à l’écart le virus de la liberté en érigeant des postes de contrôle sanitaire aux frontières du cyberspace. Peut-être que ceux-ci empêcheront la contagion un certain temps, mais ils ne fonctionneront pas dans le monde de l’omniprésence des médias transporteurs d’octets.

    Vos industries de l’information, de plus en plus obsolètes, cherchent à se perpétuer en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui ont la prétention de confisquer à leur profit jusqu’à la parole même à travers le monde. Ces lois cherchent à transformer les idées en un produit industriel comme les autres, au même titre que les lingots de fonte. Dans notre monde, tout ce que l’esprit humain peut créer peut être reproduit et distribué à l’infini sans que cela ne coûte rien. Le transmission globale de la pensée n’a plus besoin de vos usines pour se faire.

    Ces mesures de plus en plus hostiles et colonialistes nous placent dans la même position que les amoureux de la liberté et de l’auto-détermination qui lors d’époques précédentes ont dû rejeter l’autorité de pouvoirs distants et mal informés. Il nous faut déclarer que nos identités virtuelles ne sont pas soumises à votre souveraineté, alors même que nous continuons à consentir à ce que vous gouverniez nos corps. Nous allons nous disperser sur toute la planète de manière à ce que personne ne puisse arrêter nos idées.

    Nous allons créer une civilisation de l’esprit dans le cyberspace. Puisse-t-elle être plus juste et plus humaine que le monde qu’ont construit vos gouvernements auparavant.

    Davos, Suisse, le 8 février 1996

    - Publié en français par le webzine « Cybersphere », aujourd’hui disparu. Traduction par Diogène.

     

     


  • Numero 19 Numero 19 28 mai 2010 13:59

    Des lois faites par des gens qui ne sont ni acteurs, ni mêmes spectateurs du net, et donc qui n’y comprennent rien, ces lois plaisent à quelques industries, gonflent l’ego de celui qui les propose, et déplaisent au peuple qui est acteur et spectateur du net.
    Lorsque le législateur est en décalage complet avec le citoyen, peut-on encore parler de démocratie ?

    Quand on manque de jugeotte et que l’on n’y comprend rien, on fait des lois qui ne corrigeront rien (déjà, prouvez-moi que l’IP qui a écrit le message xxx est bien la mienne et pas une IP falsifiée/spoofée), voire pire : légiférer, c’est pousser l’internaute à se cacher plus profondément dans le net, à se forger des outils de plus en plus furtifs, de mieux crypter ses flux, à apprendre à se servir des proxies.
    Ces outils, créés par des gens honnêtes pour esquiver la loi et garder une petite liberté, servent très bien les pédophiles et autres haineux de tous bords.

    Grâce à ce type d’ignare, j’ai à ma disposition une bonne panoplie d’outils pour accéder aux darknets. Et dieu sait ce que je peux en faire. Mais le législateur, non.

    Sur les imageboards *chan, on est anonymes. On dit ce qu’on veut. Le résultat ? Des gens cultivés qui disent ce qu’ils pensent, un humour parfois potache, une sincérité à toute épreuve. Du racisme ? Bah oui, mais il faut être complètement abruti pour nier les différences entre les gens, et puis ça reste de la blague bien lourde. Le racisme disparaît quand le sujet devient sérieux.
    Être sincère avec soi même et les autres, décrire la réalité des choses, rire sans tabous, se moquer des conventions, pouvoir parler de ses problèmes et avoir des interlocuteurs qui ne vous jugeront pas personnellement.
    Un soir, un type nous annonçait qu’il allait se suicider parce qu’il avait perdu pas mal de choses peu avant (sa copine a dû déménager, sa grand mère qui est son seul semblant de famille est morte, il venait de perdre son boulot). Alors on a un peu essayé de le dissuader. Puis on lui a dit au revoir. Le genre de confidence et de discussion qui n’est permis que par l’anonymat.


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