Sur le vivant
Comment pourrions-nous définir ce qui est vivant ?
La vie n’est pas une simple opposition à la mort. Il s’agit d’un phénomène en soi, d’une possibilité, d’une forme d’écueil. Le vivant pourrait se définir comme ce qui agit, ce qui réagit, ce qui s’oppose, ce qui évolue. Le non-vivant évolue lui aussi mais son évolution provient et lui est imposé de l’extérieur. L’évolution du vivant est interne. Il est sa propre modification. Il est un monde en soi. Un monde dans un monde. Le vivant est dans le monde comme une forme d’inclusion, d’excroissance. On parle de matière vivante non pas en opposition à la matière inerte mais comme une autre forme de matière.
Car le vivant est matière. Mais une matière qui s’auto-organise, qui est malléable et dont la forme est gérée par son propre système. A la base, il n’y a que de la matière inerte et le vivant naît ou plutôt apparaît de l’inerte. Les cristaux de par leur étrange construction en sont une forme de préfiguration. La structure organisée et répétitive des cristaux constitue une ébauche de l’organisation informationnelle du génome. Le vivant s’est construit sur de l’inerte mais nous ne pouvons plus retrouver le plan de construction car il a été intégré dans la forme finale. Le vivant c’est de la chimie mais une chimie atomique qui parvient à créer une structure à la fois stable et évolutive basée sur le carbone.
C’est là la grande invention du vivant : avoir su concilier une base stable qui puisse néanmoins se modifier. Car sans modification, il n’y a pas d’évolution et donc pas d’améliorations possibles. Peut-on d’ailleurs parler d’amélioration, plutôt de meilleure adaptation au milieu extérieur, de nouveaux développements sélectionnés par l’environnement par le principe de la sélection naturelle. Et s’il n’y a pas de stabilité, il n’y a pas de durée et sans le temps les modifications ne sont pas possibles. Le stable et l’instable se tiennent donc la main et leur équilibre est la base du vivant. Une rencontre entre deux opposés. Un équilibre entre deux points divergents. La complexification du vivant ne provient pas de l’intérieur mais de l’extérieur, elle lui est imposée par la pression de la sélection qui s’exerce sur lui. Sans danger, le vivant n’aurait pas pu évoluer. Sans changement de milieu, il n’y a pas de modification de la structure.
Revenons en arrière à cette notion de matière vivante. Ne s’agit-il pas finalement d’une forme d’expression de la matière ? Qui ne serait donc pas si extraordinaire que cela. Peut-être allons-nous trouver une multitude de formes vivantes sur un satellite de Jupiter, Europe par exemple et nous réaliserons alors que la matière vivante peut éclore dans bien des milieux différents tout comme elle l’a fait au fond des océans, là où la vie s’est développée en l’absence de lumière grâce à l’énergie des sources chaudes. Car sans énergie, quelle que soit sa forme, il ne peut y avoir de vie. La vie ne peut se développer qu’en se basant sur une énergie. Matière vivante et énergie sont indissociables. Le vivant est peut-être l’expression matérielle de l’énergie, sa manifestation physique. Peut-être le vivant n’est-il qu’une autre forme d’apparence de l’énergie. Nous devons repenser notre approche du vivant. Non plus comme une forme d’opposition à l’entropie de l’univers mais plutôt comme la manifestation de champs énergétiques dont nous n’aurions pas perçu l’influence latente.
C’est peut-être également un champ de recherche pour certaines maladies. La médecine chinoise a déterminé des canaux d’énergie au niveau du corps. Peut-être devrions-nous essayer d’approfondir et d’élargir ces connaissances, de les formaliser et de les rapprocher d’autres types de recherches existantes.
Le vivant s’organise en couche, en structure. Il se construit lui-même à partir de l’information qui est codée en lui. Si vous modifiez ce code ou si vous le détruisez, l’être vivant ne peut pas se fabriquer. Une information n’est pas un élément matériel. Et pourtant le vivant a réussi à intégrer cet élément immatériel dans sa structure. Il a matérialisé l’immatériel. On sait aujourd’hui comment l’information est codée via une structure à double hélice mais on ne comprend pas encore vraiment comment cette information s’exprime pour créer l’être. Nous pensons que l’information codée constitue un plan de construction comme celui d’un bâtiment pour sa réalisation. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse de cela. On devrait plutôt considérer l’information codée comme une forme de bibliothèque avec des livres et des rayons. Il s’agit plutôt d’une base de connaissances. Cette base de connaissance est activée ou désactivée en fonction de paramètres temporels et spatiaux.
La grande partie de la matière vivante est unicellulaire. Ce sont les bactéries. La cellule est une création extraordinaire. Mais c’est une création involontaire liée à des essais infructueux innombrables. A un moment donné, le bon schéma se met en place et la reproduction permet la continuité. L’inverse est vrai également. La reproduction permet peu à peu l’apparition du schéma actuel de la cellule. A force de rater, la nature réussit. Dans une forme de bidouillage de laboratoire. La vie n’est qu’une suite ininterrompue de ratage de la nature et sa plus belle réussite est la cellule qui est la base de tous les êtres vivants quels qu’ils soient. On voit avec les bactéries que la cellule se suffit à elle-même. A un moment donné pourtant, elle se multiplie et crée des êtres multicellulaires. Les éponges, les plantes, les champignons, les arbres, les insectes, les mammifères, nous les humains. Les êtres multicellulaires se mangent les uns les autres et la sélection naturelle permet de développer des compétences, des sens qui donnent l’avantage à certains. Le temps fait son office. Un temps qu’il nous est difficile d’imaginer à notre échelle de durée d’existence. Comme une vague qui détruit le rocher, il transforme, agence, modifie. Nous sommes du temps accumulé. La fin d’une chaîne de 3,5 milliards d’années, une chaîne qui continue à s’étendre. Nos cellules se remplacent au fur et à mesure que nous vivons (hormis les cellules cérébrales) de sorte que nous ne sommes jamais tout à fait identiques d’un jour à l’autre et ce malgré la persistance de notre personnalité.
Le vivant est un processus dû à des phénomènes physiques, à la capacité de la matière de créer des molécules, des molécules qui s’influencent les unes les autres, qui s’associent pour former des systèmes organiques. Le vivant est un processus d’organisation atomique. C’est un assemblage. Le vivant est donc la rencontre entre un système biochimique et de l’énergie. L’un permettant d’utiliser l’autre et réciproquement d’ailleurs, l’énergie trouvant une forme de conversion, de transformation, d’extension, de canalisation grâce à ce système biochimique.
La vie peut donc être perçue comme un système de conversion de l’énergie d’un système à un autre. Il n’est pas envisagé ici un phénomène de force vitale qui serait à la base de la vie, une forme de principe de vie qui serait existant quelque part et expliquant l’émergence de la vie mais bien l’énergie sous toutes ses formes se frayant un chemin au travers des systèmes biochimiques et leur permettant même de s’auto-organiser. De ce point de vue, ce ne sont donc pas les systèmes biochimiques qui arrivent à capter l’énergie pour se développer mais inversement l’énergie qui permet à ces systèmes d’apparaître et qui les utilise pour s’exprimer.
Erwin Schrodinger, grand physicien et prix nobel de physique en 1933 a écrit :
“ L’être vivant ne doit pas se considérer comme une matière animée par de l’énergie : c’est de l’énergie préexistante à la matière organisée qui oriente la matière vers le processus de l’organisation du vivant.”
Autre citation d’Albert Dastre :
“Les phénomènes de la vie sont des métamorphoses énergétiques au même titre que les autres phénomènes de la nature.”