mardi 4 octobre 2005 - par Jean-Michel Billaut

Une intelligence non biologique ?

Aprés avoir inventé le feu, la boussole, l’imprimerie, le microprocesseur et l’internet ; aprés avoir domestiqué la nature (agriculture), les animaux (élevage) et le feu du ciel (l’atome) ; après avoir envoyé l’un des leurs sur la Lune, les Homo Sapiens Sapiens se préparent à inventer une intelligence non biologique... Enfin... il paraît. Car peu d’entre eux en sont aujourd’hui informés, croyant qu’ils seront les rois de la Création jusqu’à la fin des temps...
Peu de gens le savent, en effet, aujourd’hui, mais un petit nombre de scientifiques sont en train de faire le "reverse engineering" du cerveau humain... Quand ce travail aboutira-t-il ? Probablement dans les 15 ou 20 ans qui viennent... Comment ? Grâce aux ordinateurs (le hardware) d’une part, et au software d’autre part (la modélisation que le "reverse engineering" va permettre...)

Aujourd’hui, les supercomputeurs effectuent 100 trillions de calculs par seconde, soit 100 mille milliards (10 puissance 14)... Vers 2.010 ils en effectueront 10 puissance 16. Ce qui est, selon les scientifiques de la chose, l’estimation - toute chose égale par ailleurs - de la puissance de calcul du cerveau de l’homo sapiens sapiens (pour un polytechnicien énarque c’est naturellement bien davantage...). Et, en 2.020, le hardware nécessaire pour effectuer 10 puissance 16 calculs/seconde aura un prix de l’ordre de... 1.000 $... 2.020 : c’est bientôt...
Voilà pour le hardware.

Reste le logiciel nécessaire pour imiter le cerveau... Pour comprendre exactement comment fonctionne cet organe, il faut en faire un "reverse ingineering"... et là, les progrès sont beaucoup plus avancés que ne le croit le commun des mortels.. Les instruments de scanning du cerveau sont aujourd’hui au point (le fMRI par exemple) et permettent de voir non seulement les neurones qui composent le cerveau, mais aussi les interconnections entre ces neurones... Et le plus important, on peut même voir le tout fonctionner en temps réel.
A partir de là, les scientifiques essaient d’en modéliser le fonctionnement à l’aide de modèles mathématiques... De tels modèles existent déjà pour une bonne douzaine de régions du cerveau, et notamment pour la région du cerebellum, qui renferme plus de la moitié des neurones du cerveau. IBM, par exemple, est en train de mettre sur pied un modèle de simulation du fonctionnement de 10.000 neurones de la région du cortex, avec une dizaine de millions d’interconnections entre eux. Le première version de ce modèle simule l’activité électrique de ce réseau. Une version ultérieure simulera aussi l’activité chimique. On pense que vers l’an 2.020, nous aurons des modèles de fonctionnement complet du cerveau de l’homo sapiens sapiens (estimation jugée conservatrice par les quelques spécialistes de la chose).

Certes, allez-vous me dire, un cerveau humain ne fonctionne pas comme un ordinateur traditionnel. Les informations, par exemple à l’intérieur du cerveau, circulent à des vitesses très lentes - de l’ordre de quelques centaines de mètres par seconde- relativement à celles d’un ordinateur où la vitesse de circulation des informations est des millions de fois plus rapide. Par ailleurs, le cerveau est "massivement parallèle". Il y a, au total, environ 100 milliards de neurones, chacun ayant une connection avec 1.000 autres.. Tout cela fonctionnant en même temps. De plus, le cerveau traite des informations analogiques et digitales... Et il est capable de modifier les interconnections entre neurones très rapidement... (j’ai lu quelque part que 70% des inteconnections changeaient chaque jour...)
De ce chaos - enfin ce qui nous semble aujourd’hui un chaos - émerge la conscience, le comportement, l’intelligence... mais aussi, s’il y a un bug... l’imbécillité, l’irrationalité... la démence, etc. Mais aussi des choses courantes, comme "Mais où ai-je pu mettre mes lunettes ?" (phrase favorite de Madame Billaut 1.0)...

Donc, avec un modèle exhaustif du cerveau, et des ordinateurs très puissants, il sera probablement possible, dans une quizaine d’années, de modéliser complétement l’organe qui nous a permis, avec la bipédie, la descente du larynx pour le parler, le pouce en face des autres doigts, etc... de conquérir la Terre... On notera toutefois que le Néandertalien - un cousin hominidé - avait un cerveau 20 à 25% plus gros que le nôtre... Donc avec davantage de neurones... Mais c’est pas pour autant qu’il était plus intelligent, le bougre... Car il lui manquait quelque chose d’important : le hardware pour parler, à savoir le larynx qui n’était pas descendu comme chez nous (en contrepartie il pouvait respirer et avaler en même temps.. essayez de le faire...) Il ne pouvait donc pas transmettre son expérience et son savoir, et ainsi acquérir et emmagasiner de la connaissance, et faire fonctionner ses neurones à plein rendement ... Il n’a pas pu s’adapter à la fin de l’ère glaciaire... Il a disparu avec sa nourriture favorite de gros bestiaux (mammouths, etc.)

Mais revenons à nos moutons... Le bénéfice de tout ce bazar ? Probablement une meilleure connaissance de nous-mêmes... La possibilité d’améliorer l’homo sapiens qui pourrait devenir very sapiens... Par exemple : une machine nanométrique pourra aller réparer le neurone B22 de Madame Billaut qui disjoncte de temps à autre (je parle du neurone naturellement), ce qui fait qu’elle saura toujours où sont ses lunettes - si tant est d’ailleurs qu’elle puisse encore en avoir besoin... Une version 2.0 parfaite... (mais la 1.0 n’est pas mal...).
Et puis, et surtout, la possibilité de créer des intelligences non biologiques beaucoup plus évoluées que les nôtres...
Des dérives ? C’est toujours à craindre chez les Homo Sapiens Sapiens...
Ray Kurzweil - un scientifique qui ne fait pas dans la science-fiction - appelle cela le "principe de singularité"... C’est comme les trous noirs : on ne sait pas ce qu’il a derrière, on ne sait pas où l’on va avec nos technologies...

Je pense comme le professeur Christia ses Tables de la Loi...

PS.. Au fait... au cas où, par le plus grand hasard, vous vous intéresseriez au reverse ingineering de l’orgasme féminin : un bonn de Duve (interview très intéressant dans le Point du 24/9
- merci à M’sieur Duclaux et autres de me l’avoir signalé... titre de l’interview : un jour l’homme disparaîtra...) qu’il nous faudrait grandement cultiver une vertu peu courante dans notre espèce : l’humilité... Que Dieu le père aurait probablement dû mettre en premier dans article ici... (en anglais)...



8 réactions


  • marsu (---.---.143.239) 4 octobre 2005 13:31

    Pour ceux qui se posent la question d’une cohabitation entre les humains et des intelligences non biologiques, cet aspect est abordé dans Hyperion de Dan Simmons. Ce n’est qu’un seul des multiples bons côtés de ce bouquin.

    Concernant la question de l’article, je dirais que tout ce qui peut amener un progrès scientifique est le bienvenu. Certes pour retrouver les lunettes, c’est pas crucial d’opérer votre femme, mais s’il s’agit de Parkinson ou d’un cancer, ça vaut peut-être le coup de modéliser, non ?

    Et il y aura toujours des gens pour faire mauvais usage des découvertes scientifiques... est-ce une raison suffisante pour arrêter de chercher ? on peut relire Ravage de Barjavel ou Les derniers hommes de Bordage sans pour autant savoir à quel moment le progrès doit s’arrêter...


  • billaut (---.---.7.56) 4 octobre 2005 14:46

    non non rassurez vous il n’est pas question d’opérer Me Billaut pour qu’elle retrouve ses lunettes... une toute petit injection d’une machine nanométrique suffira trés largement... (pour moi c’est pareil mais avec mes clefs...) J’ai recu beaucoup de commentaires a propos de cet article sur mon blog (http://billaut.typepad.com) et surtout en direct... certains me disent que ce n’est pas possible : on ne peut pas créer d’intelligence non biologique... moi je dis que l’homo sapiens sapiens est un teigneux de premiere... c’est d’ailleurs pour cela qu’il a conquis la terre... certains se sont mis en tete de le faire... on le fera...


  • jb guennec (---.---.228.108) 4 octobre 2005 23:44

    L’homme, ayant déjà changé le monde dans lequel il est né et il vit, il n’y a aucune raison logique, historique, etc à ce qu’il ne se change pas lui-même un jour.

    La question n’est donc pas : le fera-t-il, mais quand et comment.

    Sur le « quand », nul ne sait. Sur le « comment », 3 voies s’ouvrent à lui : l’intelligence biologique, l’intelligence non biologique ou un mélange subtil des deux. Personnellement, je penche pour cette dernière voie. (Mais il est tard, je continuerai une autre fois)


  • billaut (---.---.198.67) 5 octobre 2005 07:44

    personnellement je pense qu’il y en aura deux... l’homo sapiens sapiens « augmenté », et le robosapiens...


  • (---.---.228.57) 7 octobre 2005 17:54

    Peut être. Mais bonjour les dégâts.

    Un territoire ne se partage pas (cf. sapiens-sapiens et néanderthal ou « Time ans again » de Clifford Simak)


  • Billaut (---.---.102.86) 8 octobre 2005 11:52

    Peut être... C’est peut être la fin de l’homo sapiens... Votre comparaison avec le Neandertal... certains scientifiques pensent que le Neandertalien n’a pas eu à combattre l’Homo Sapiens... Il a disparu parce qu’il n’a simplement pas pu s’adapter à la fin de l’ere glaciaire.. Certains scientifiques pensent de même que l’Homo Sapiens est « né » d’un accident climatologique/géologique (le rift africain combiné avec une sécheresse)... Un autre accident climatique/géologique ou cosmique pourrait aussi très bien nous rayer du cosmos... C’est en ce sens où je pense il nous faudrait une grande humilité...


  • Adam (---.---.43.1) 18 octobre 2005 18:05

    Qu’en est-il de l’apprentissage, de la personnalité, des émotions, du surmoi ?


  • Alexandre Santos Alexandre Santos 18 octobre 2005 20:37

    La puissance de calcul des ordinateurs croit toujours de façon faramineuse, et on se prend à rêver d’intelligences artificielles.

    Mais je pense que plus qu’un changement quantitatif des capacités des ordinateurs, il faudra un changement qualitatif pour commencer à mimer l’intelligence.

    Comment se fait-il que les ordinateurs arrivent à battre les plus grands champions d’échecs, mais qu’aucun ordinateur ne peut contrôler le déplacement d’un robot dans un environnement naturel aussi bien qu’une mouche ?

    Le problème n’est plus la puissance de calcul, ni la vitesse d’execution, mais probablement une question d’architecture. C’est du côté de l’architecture du système nerveux qu’il faut chercher des réponses, et surtout de son évolution au cours du temps.

    Il est vrai que le système nerveux est massivement parallèle. D’ailleurs ce mode de fonctionnement suggère que plutôt que d’essayer de comprendre des systèmes très complexes, comme un cerveau humain, il vaudrait beaucoup mieux essayer de comprendre des systèmes nerveux bien plus simples, comme les mouches ou les vers. C’est peut être moins « sexy » comme approche, mais sans doute plus prometteur.

    “ j’ai lu quelque part que 70% des inteconnections changeaient chaque jour”

    Ça m’étonnerait beaucoup, mais avant d’en discuter, il faudrait savoir ce que vous entendez par changer : faire et défaire des connections, ou changer la qualité de ces connections ?

    Les recherches actuelles indiquent que dans un système nerveux mûr, environ 7% des connections se forment et se défont en quelques jours (ce qui est déjà énorme).

    Bien sûr d’autres connectiosn restent stables pendant des années, sinon il serait impossible d’avoir un fonctionnement stable du cerveau.

    D’un autre côté, même si on ne crée pas encore des intélligences artificielles telles que décrites dans les livres de science ficion, d’autres formes sont déjà à l’oeuvre :

    Les moteurs de recherche sont des exemples, et toute sorte de tâches intellectuelles qui sont maintenant executées par des ordinateurs.

    Et même si on n’arrive pas encore à augmenter artificiellement notre intelligence biologique, l’accés permanent à un réseau massif d’informations et de capacité de calcul nous permet de disposer de « facultés cognitives » augmentées. On peut ainsi consulter immédiatement tout un tas d’informations que l’on n’a pas en mémoire, mais qui sont disponibles sur le réseau, etc.


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