Levon Minassian

Lévon Minassian... Le Murmure Des Vents.

Si, en son temps, le grand compositeur Komitas considérait la flûte shevi des bergers comme le plus arménien des instruments, si le hautbois Zurna est l’instrument de plein air par excellence au pays, le doudouk est devenu le marqueur identitaire de la musique arménienne. Ses sonorités plaintives exprimant au plus juste les mélancolies d’un peuple, vieux de 3000 ans, qui, à travers les vicissitudes d’une Histoire compliquée sut forger une civilisation et un patrimoine très particulier. Un héritage gravement mis a mal par le dépeçage territorial de l’Arménie et le génocide 1915-1918 dont seront victimes un millions et demi d’Arméniens de l’Empire Ottoman. Quand bien même les adeptes du doudouk sont légion autour du lac Sevan, les joueurs d’exception sont rares.
L’instrument ne dépasse pas une octave et une tierce et possède peu de notes. Et toutes ses virtualités résident donc dans la virtuosité de l’artiste, l’agilité de ses doigts, la maîtrise d’un souffle, ce qui requiert un investissement quotidien rarement mis en oeuvre par des amateurs. Tous les 10 ans d’ailleurs, devant 100.000 personnes, se tient a Gumri « le Trophée des Maîtres », l’occasion pour un public connaisseurs d’adouber ceux qui entrent dans le cercle très fermé des grands. En 2002, c’est à cette reconnaissance qu’eut droit Lévon Minassian. Une scène qu’il put partager avec Djivan Gasparian, Serguie « Lalig » garabedian ou encore feu Valodia Haroutounian, autrement dit, la fine fleur de l’instrument.
Rappeler cet événement n’est pas anodin si l’on songe au parcours de l’enfant de saint Jérôme, un quartier de Marseille, ou son grand père, Souren, jadis, trouva refuge. Lequel, par ses propres moyens, après avoir ramené, a 16 ans, un instrument d’Arménie, du maîtriser un art dont les secrets ne se transmettent entre initié qu’avec parcimonie. Une famille vivant dans le culte de la musique, une communauté arménienne friande de sons, beaucoup d’abnégation, l’aideront dans sa sollicitude. Au point que son talent le fait repérer par des professionnels. En 1985, le compositeur Georges Garvarentz, le sollicite pour la musique du film « les mémoires tatouées ». Une première collaboration pour le cinéma qui va être suivie de beaucoup d’autres dont les bandes originales de Mayrig, L’odyssée de L’espèce, La terre vue du ciel, la dernière tentation du christ, va vis et deviens, la passion du christ, Amen..
Sur le plan discographique, c’est en 1992 que le travail de Lévon Minassian prend de la dimension, puisque, sollicité par Peter Gabriel, il se retrouve impliqué dans les albums et le « secret world live tour » du patron du label Real world. Un coup de projecteur qui va faire de lui un doudoukiste très prisé par de grands noms de la variété (d’Aznavour à Hélène Segara) ou des personnalités de la world music (Sting, I Muvrini, Simon Emerson, manu katche etc..). Parallèlement Lévon Minassian entreprend un travail plus personnel avec le compositeur de danses et musiques de cinéma Armand Amar, remarqué depuis pour ses B.O de films (Amen, Le Couperet, La terre vue du ciel, vas vis et deviens, Indigènes…)
C’est avec lui, qu’en 1997, il grave un premier album, Lévon Minassian and Friends, conçu a partir de thème et mélodies traditionnelles profanes ou sacrées dans lequel le doudouk dynamise son langage à la rencontre d’autres instruments de la planète, du violon indien a l’oud. Fruit de trois ans de travail du tandem, son nouvel opus, Songs from a world appart, qui vient de paraître, poursuit plus avant l’ambition de donner au doudouk un nouveau statut d’instrument soliste et un espace musical hors du contexte traditionnel. Les deux complices s’employant à inventer un univers s’inspirant moins d’une forme que de l’atmosphère d’une poésie pour imaginer des arrangement, choisir des timbres, qui révèlent de nouvelles couleurs de doudouk. Ce travail de reformulation aboutissant à une écriture pour instrument invités (nickelharpa, viole d’amour, kamantcha, oud, tambours) et grande formation, en l’occurrence le Bulgarian Symphony Orchestra.
De fait, prenant distance avec le doudouk joué a « l’orientale », Lévon Minassian l’a allégé, rendu plus fluide, lui a inventé des rondeurs, sans rien lui faire perdre de ce pouvoir d’évocation qui lui fait dire « qu’il est de souffrance ». Ce travail d’émancipation dont on peut jouer la portée a travers des phrasés inédits, le public pourra juger avec les récitals exceptionnels pour lesquels Lévon Minassian est soutenu par deux doudoukistes venus d’Arménie, Arthur Ghasabian (deuxieme voix) et Armen Ghazarian ( au bourdon). Le répertoire faisant la part belle a deux superbes voix, celle de Roselyne Minassian, voix majeure du chant arménien féminin et celle D’Hamlet Gevorgian « numéro 1 » du chant traditionnel à Erevan, dont la connaissance des pièces des Achoughs et Goussans (troubadours et poètes dont l’apogée renvoie au XVIIIe siècle) est impressionnante.
Franck Tenaille.