Théodore Six

 DU PEUPLE AU PEUPLE
Un jour m'élançant sur la place publique
J'ai dit  : vivre en travaillant, mourir en combattant.
J'ai dit : l'air de ma mansarde m'étouffe
Je veux respirer.
J'ai dit : les hommes sont égaux
J'ai dit : république universelle.
Alors ils m'ont saisi
Ils m'ont enfermé dans de noirs cachots,*
Ils m'int laissé pendant de longues semaines
Couché sur la paille infecte,
Et puis une nuit, ils m'ont enchaîné ;
Ils m'ont emmené dans un entrepont de vaisseau,
Rempli de vermine
Côte ç côte avec les enfants du crime,
Les forçats de leur société  ;
Après ils m'ont emmené bien loin,
Bien loin de mon pays,
De la terre où j'étais né,
Où vivaient ma femme et mes petits enfants.
Bien loin,
Dans le pays où le soleil brûle,
Où la terre brûle,
Où l'air brûle l'âme du prisonnier ;
Puis ils ont mis dans mes mains une pioche,
Ils m'ont dit en ricanant :
Forçat, tu veux le droit au travaille ?
Travaille !
Forçat, l'air de ta mansarde t'étouffe ?
Respire !
Ils m'ont battu à coups de pied, lls m'ont insulté,
Ils m'ont appelé pillard, bandit.
Mon âme séchée par la douleur, l'incertitude, la torture
Demanda justice.
Ils ont ri.
Alors, la douleur, l'incertitude, la torture, la transportation
Lentement, bien lentement, m'ont donné la mort.
Loin de ceux que j'aimais
Et qui m'aimaient.
Dis, ne m'ont-ils pas assassiné ?
...
Tout autour de moi, demandait l'égalité ;
Tout me démontrait
Que ma chair était semblable à la chair du riche.
Tout me démontrait que
Riche et pauvre voulait dire usure et esclavage,
Voulait dire : Pauvre, moi capital,
Je poserai les bases de ton salaire,
Pauvre, tu mangeras selon mon bon plaisir,
Je te pressurerai
Comme le pressoir pressure la grappe
Pour lui faire rendre tout le sang de la terre.
Alors j'ai dit :
Abolition de l'explotation de l'homme par l'homme.
J'ai dit :
La terre à celui qui la cultive.
J'ai dit :
Celui qui ne produit pas n'est pas digne de vivre.
C'est alors qu'ils m'ont assassiné
...
J'ai publié ceci pour pouvoir dire : à tous par tous.
Peuple, médite et souviens-toi
Que tu es force et nombre,
Mais que
Tant que tu seras force et nombre sans idée
Tu ne seras qu'une bête de somme.
J'ai publié ceci pour te dire, peuple,
Que ton émancipation réside dans ta solidarité ;
Pour te dire que l'heure la plus sombre
Est celle qui précède l'aurore.
 
Ouvrier tapissier, Théodore Six, combat en juin 1832, au cloître Saint6merri, puis sur les barricades en février et juin 1848. Il participe à la résistance au Coup d'Etat du 2 décembre 1851 et, pour ce fait est condamné à la transportation en Algérie. C"est au bagne de Dellys qu'il compose le poème Du peuple au peuple (juin 1852) qu'il publie en affiche le 24 février 1871, à la veille de la Commune.
Propagandiste et organisateur de coopératives ouvrières, Six combattit pendant la Commune dans les rangs de la VIIè Legion.
"Vivre c'est produire...produire c'est vivre !"