Commentaire de Ariel Weinberg
sur Le Sarko-boy et la « secte » : le retour


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Ariel Weinberg (---.---.119.14) 9 octobre 2006 09:34

Excellent article Monsieur Hertoghe ! J’avais aussi suivi cette histoire dans les blogs il y a environ un an et moi aussi j’ai été très étonné que la presse en parle sans faire référence aux nombreuses enquêtes qu’on mené certains bloggeurs comme vous. Mais au moins la presse commence à en parler et c’est déjà une grande victoire pour la blogosphère face à l’omerta médiatique que nous avons eu jusqu’ici !

Moi-même, j’avais essayé de montrer comment Manuel Aeschlimann était en train de transformer Asnières en une sorte de « laboratoire du Sarkozysme » avec un article assez documenté. Il y a quelques semaines, j’ai commencé à rédiger une analyse comparable à la votre que j’ai renoncé à terminer et à publier après un certain nombre de messages assez désagréables que j’ai reçu suite à mon premier article... Du coup, grâce à votre intervention, je (re)trouve l’envie de partager mon ébauche d’article qui est surtout un résumé de comment se sont déroulés les choses dans cette affaire très complexe :

1- LES FAITS

Fin octobre 2005 : le journal Le Monde publie un long article intitulé « Une fondation mystico-religieuse inquiète les services de renseignement ». Dans cet article, le journaliste Gérard Davet reprend pratiquement mot pour mot des extraits d’une note des RG dénonçant les prétendues dérives sectaires d’une fondation reconnue d’utilité publique, la fondation Ostad Elahi.

Dommage collatéral : la société Mayetic, éditeur et provider d’espaces de travail collaboratif sur internet, est mise sur la sellette dans l’article du Monde. Cette start-up serait en effet dirigée par un membre de ladite secte (Bruno de Beauregard) et aurait infiltré ses clients, dont par exemple l’OTAN ou la gendarmerie nationale. Cette « révélation » arrive au moment critique où cette société négocie un apport en cash avec son unique actionnaire financier (Caisse des Dépôts et Consignations), en parallèle d’un accord mondial de distribution de son produit avec un fournisseur d’accès internet (France Télécom-Equant). A la seule rumeur de « secte », la Caisse des Dépôts et France Télécom disparaissent dans la nature à quelques jours d’intervalle, et Bruno de Beauregard et sont associés Miguel Membrado n’ont d’autre choix que de déposer le bilan fin novembre 2005, nombre de clients s’étant eux-aussi nettement refroidis.

2- LA PRESSE COMPLAISANTE

En octobre-novembre 2005, quelques medias se font l’écho des propos du Monde : une dépêche AFP, un reportage sur France 3 IDF, et, un peu plus tard, un reportage du Vrai Journal sur Canal+. Au final peu de retombées médiatiques en comparaison de l’effort déployé par le député-maire Manuel Aeschlimann, conseiller à l’opinion publique de Nicolas Sarkozy à l’UMP, à l’origine de l’affaire : celui-ci n’aurait semble-t-il pas hésité à diffuser en nombre la fameuse note des RG (pourtant confidentiel défense) et à recevoir les journalistes de toutes les rédactions à l’hôtel de ville d’Asnières afin de leur exposer l’affaire et de leur transmettre un épais « dossier bleu ».

Mais bizarrement aucun des media qui rendent compte de l’affaire ne remet en cause la version de Manuel Aeschlimann ni celle des RG. Aucun ne relève, par exemple, que sur le même sujet, Manuel Aeschlimann a été condamné en première instance pour diffamation, à travers son maire-adjoint à la communication, et ce à quatre reprises (voir également ses nombreuses autres condamnations notamment via le juridoscope asniérois).

Aucun d’eux n’enquête pour mettre à jour une éventuelle collusion des services de renseignement avec le pouvoir en place, Manuel Aeschlimann se vantant d’être un proche de Nicolas Sarkozy, ministre de tutelle des RG ; il est en outre la seule personne qui s’en prenne à la société Mayetic, or il est en désaccord avec le président de cette société qui se trouve être aussi le président d’une association de quartier qui lui est activement hostile, et ce de notoriété publique. Pourtant, ni Le Monde, ni l’AFP, ni France 3, ni même le Vrai Journal ne se donnent la peine d’investiguer, et au contraire, ils se contentent de suivre avec un zèle exemplaire les diffamations déjà formulées par la mairie de Manuel Aeschlimann et déjà condamnée quatre fois en première instance.

Pire, en décembre 2005, le journaliste d’investigation Alain Hertoghe révèle sur son blog personnel, Carte de Presse, qu’un journaliste de l’AFP, aboutissant à la version des faits aujourd’hui établie, aurait été censuré par sa hiérarchie sous la pression de Manuel Aeschlimann. Les media « traditionnels » ne se seraient donc pas simplement montrés complaisants devant le pouvoir politique, ils auraient activement participé à la manipulation de l’information.

3- L’ENQUETE CITOYENNE DANS LA BLOGO

Bruno de Beauregard et Miguel Membrado, une fois les actifs de leur société revendus suite à la liquidation judiciaire, engagent alors une contre-attaque médiatique. Selon leur témoignage, aucun media ne s’intéresse à leur affaire (et pour cause, cf. paragraphe précédent). Ils décident à ce moment de porter l’affaire dans la blogosphère, via leur propre blog et un réseau de blogs influents qui décident de s’intéresser à leur affaire. Ce sont plus de trois cents articles qui sont publiés à partir de février 2006 sur la blogosphère ! Un bloggeur suisse, Japarthur, a également décidé de créer une gigantesque base de données en ligne avec des centaines de documents disponibles consacrées à cette affaire. Une mine d’or qui n’a probablement pas encore été complètement exploitée par tous ceux qui s’intéressent aux mystères d’Asnières et de son maire.

Dés le début, le site Scanblog tente d’analyser le phénomène et l’efficacité de la communication menée par MM de Beauregard et Membrado. Malgré ses jolis schémas, l’analyse de Scanblog semble néanmoins très partielle : elle ne replace pas Internet (et la blogosphère) au sein de l’écosystème global de l’information (donc y compris les media traditionnels). Elle néglige donc toute l’adhérence de l’affaire avec le monde dit « réel », comme si Internet était une bulle séparée constituant un monde « virtuel ». Or les deux mondes sont étroitement nterpénétrés, comme l’historique de l’affaire le montre déjà, et que son épilogue provisoire confirme. Quelques mois plus tard, une deuxième étude plus approfondie menée par l’Observatoire des Présidentielles de 2007 (Université de Compiègne) conclut que « l’affaire Mayetic a déjà fait parler d’elle comme un cas idéal typique de stratégie d’utilisation du web pour médiatiser une affaire qui n’aurait sûrement pas, sans cela, fait autant de bruit » !

Il faut souligner, pendant toute cette phase, le silence assourdissant de Manuel Aeschlimann sur Internet et la blogosphère. Silence ponctué par un communiqué hallucinant où la mairie d’Asnières alignent des noms dans un contexte diffamant, réitérant la thèse de « la secte-qui-veut-envahir-Asnières ». Hormis ce communiqué diffamatoire, Manuel Aeschlimann n’a jamais répondu à aucune des accusations dont il a fait l’objet. Il n’a pas ouvert de site ou de blog où il expliquerait clairement sa position. Sans doute Internet n’est-il acceptable par lui que comme lieu de propagande politique (cf. le site de la ville d’Asnières , son site personnel ou une caricature de blog municipal) ? Sans doute répugne-t-il au débat transparent et préfère-t-il les coups de fil au directeur de l’AFP pour obtenir la censure d’un article ? Il n’est pas très loin, en cela, de partager la vision du ministre Donnedieu de Vabre : sans doute aimerait-il, lui, aussi, que l’information sur Internet fut « certifiée » (par lui, on s’en doute).

4- LE REGAIN D’INTERET DE LA PART DE VRAIS JOURNALISTES D’INVESTIGATION

Les « vrais » journalistes commencent à s’intéresser à l’affaire au second trimestre 2006. Fréderic Charpier publie au mois de juin 2006 un livre « Nicolas Sarkozy - Enquête sur un homme de pouvoir », dont les quatre derniers chapitres sont consacrés à Asnières et indirectement à l’affaire Mayetic - dans un sens qui correspond, à la version de l’affaire exposée dans ces lignes.

Début juillet, Philippe Cohen publie un article sur le sujet dans Marianne, toujours en phase avec cette version des faits, qui décidément commence à faire son chemin ! On retrouve sur le site de Membrado une analyse de l’ article de Marianne dont l’auteur n’est rien d’autre que le co-auteur de la « Face caché du Monde ».

Après Alain Hertoghe fin 2005, Fréderic Charpier et Philippe Cohen, tous trois journalistes d’investigation réputés aux profils pourtant très différents, font donc émerger petit à petit la réalité de l’affaire.

Plus récemment, le bloggeur Laurent Bervas fait référence à un article paru dans La Tribune du 26 septembre ainsi que d’un dossier spécial de L’Express sur le système Aeschlimann à Asnières (dossier complet au format PDF).

5- ET MAINTENANT ? QUE FAIT LA BLOGO

Encore beaucoup de zones d’ombres subsistent dans cette histoire. La justice doit suivre son chemin et elle le fera - comme elle l’a fait du reste, avec sérieux, jusqu’à présent.

Mais le temps de la justice est long - aussi les media « traditionnels » comme les media « nouveaux » (blogosphère en particulier) doivent maintenant poursuivre leurs enquêtes, afin que la vérité éclate au grand jour.

Mais surtout, quelque chose de nouveau s’est passé. Internet a contribué, peut-être pour la première fois, et de manière contradictoire par rapport aux forces de manipulation à l’œuvre dans la sphère politico-médiatique, à faire éclater la vérité. Cet événement mérite d’être méditée. Et surtout, c’est comme une sorte d’exemple à suivre - d’espoir aussi pour tout ceux qui ont été victime du mensonge et de la calomnie. C’est là, à mon sens, l’objet et l’intérêt de l’appel « A vos blogs citoyens » de Miguel Membrado, dans lequel il invite chacun d’entre nous à agir pour la défense de la démocratie en utilisant Internet et les blogs.

Ariel Weinberg


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