Commentaire de Naja
sur La Suisse supprime toute prescription pour les crimes pédosexuels
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La prescription de ces crimes témoigne d’une profonde méconnaissance de leur nature et/ou d’une banalisation de leur gravité.
Sa définition juridique est « un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». Selon les fondements du droit, deux raisons justifient la prescription :
- Passé un certain délai, le législateur estime qu’il convient d’accorder à l’auteur d’une infraction le droit à l’oubli, supposant qu’il serait injuste de le condamner pour des faits remontant trop loin dans le passé,
- Pratiquement, elle permet de simplifier l’exercice du droit en évitant la multiplication des procédures (aussi inutiles qu’iniques ?).
Dans le cas qui nous occupe ici, on peut raisonnablement se demander laquelle de ces deux raisons prévaut...
Il semblerait que pour certains ici, un père qui sodomise ses enfants dès leur petite enfance doit pouvoir bénéficier du droit à l’amendement spontané... pendant que ses victimes doivent être soumises au devoir d’oubli et à l’impossibilité de demander justice. D’un côté on aurait un individu qui perdrait injustement son humanité en étant poursuivi pour ses crimes (dixit Cogno1), un "Valjean pédosexuel" (dixit Yannick Harrel) et de l’autre de pauvres victimes qu’il conviendrait de protéger de la réouverture de leurs plaies en justice (dixit Internaute).
Synthèse du propos par Internaute : "ni la victime ni l’accusé ne sont semblables à ce qu’ils étaient au moment des faits". Certes, chacun a veilli. Sans même parler de la perversité de l’accusé, notons que la victime reste une personne qui a subi un très lourd préjudice. Le temps ne suffit pas à refermer les plaies, en revanche la reconnaissance des crimes en justice peut y aider. He non, la prescription ne relègue pas la réalité aux confins de l’espace temps comme certains aimeraient visiblement s’en convaincre...
Le législateur, plus avisé, nous précise de son côté que pour ce qui est des crimes les plus graves, la prescription trouve plutôt sa légitimité dans la difficulté à trouver des preuves relatives aux faits après un trop grand nombre d’années. Or en l’occurrence ici, l’absence de preuves matérielles est la même 1 mois ou 40 ans après. Et dans bien des cas, il n’y a même jamais eu !
Le droit français a opté pour une limitation l’imprescribilité aux crimes contre l’humanité. Ce choix est loin de faire l’unanimité dans les pays démocratiques. Cela étant, j’estime qu’il n’y aurait rien absolument rien d’absurde, outrancier, passionnel ou négationniste à inscrire l’inceste et la pédocriminalité au rang de crimes contre l’humanité.
Mais quoiqu’il en soit, quelques remarques s’imposent :
La prescription protège de fait une multitude de criminels. On pourrait naïvement arguer qu’ils ne le sont plus, repentis et convertis en honnête citoyens par la seule action du temps. C’est n’avoir aucune idée de ce qu’est la perversité que de prétendre une chose pareille. Il est certain que nombre d’entre eux continuent à abuser d’autres enfants auxquels ils imposent le silence, celui là même qui a rendu impossible toute poursuite par leurs victimes précédentes.
A l’heure où N. Sarkozy et R. Dati nous explique que la rétention de sûreté est une mesure d’une telle urgence qu’elle se devrait d’être rétroactive, des milliers de pervers ayant agressé ou violé un ou plusieurs enfants, souvent durant de longues années, jouissent d’une parfaite impunité sans que personne ou presque ne s’en inquiète.
A ce propos, je me suis rendue il y a deux mois à un colloque intitulé « neutraliser les grands criminels » organisé à l’assemblée nationale par le député Garraud (à l’origine de la loi sur la rétention de sûreté). La question de la prescription y a été brièvement évoquée. Il m’a alors été donné d’entendre, de la part de juristes et "experts" l’argument suivant : "La prescription protège les victimes en les empêchant de choisir de s’engager dans une procédure dont l’éventuel échec serait pour elle une blessure supplémentaire."
Ah parce que l’interdiction de ce choix n’en est pas une ?
Quoi de plus cynique et hypocrite que ce mépris masqué derrière la bonne conscience ?
J’invite ceux qui nous assènent que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » à s’interroger sur leurs bonnes intentions.