mercredi 3 décembre 2008 - par
La Suisse supprime toute prescription pour les crimes pédosexuels
La Suisse vient, par référendum, de supprimer toute prescription pour les crimes pédosexuels. Si le projet adopté semble imparfait, voire imprécis c’est une victoire surprenante pour la cause des défenseurs des victimes de pédocriminalité. Que l’imprécision du texte fasse débat est une bonne chose car, pour la première fois en Europe, un peuple décide d’initier un débat sur un thème qui le concerne. Voilà pourquoi la classe politique suisse est plutôt sonnée par ce résultat.
La Suisse vient d’approuver, par référendum d’initiative populaire, un projet de « La Marche Blanche » pour rendre les actes pédocriminels imprescriptibles.
La presse suisse s’interroge néanmoins sur l’adaptation dans la loi d’un texte jugé « imprécis » et les juristes demandent que le terme « puberté » inscrit dans le projet soit défini rapidement sous peine d’embarrasser les juges qui ne sauront pas comment la définir.
Une discussion est déjà largement engagée dans la presse, à la télévision et sur Internet. On comprend que le résultat inattendu de ce référendum fasse débat. C’est ce qui importe : que le public s’empare du sujet en dépit des avis experts, des manipulations intéressées des politiques et des archaïsmes moraux.
Lire le dossier de Ch.ch
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En France le délai de prescription de l’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 (viol, agressions sexuelles) et commis contre des mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-30 et 227-26 (le crime est commis par un ascendant ou un proche) est de vingt ans. Ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de la victime. Ce qui revient à dire que, passé ce temps, soit au-delà de l’âge de 28 ou 38 ans, plus aucun recours n’est possible. Que peut-il advenir si la victime parvient à se remémorer les atrocités et actes barbares subis bien plus longtemps après ce temps ? C’est fréquent et l’altération de la mémoire est d’autant plus durable que les faits interviennent très tôt dans la vie de l’enfant.
Auteur d’une pétition pour abolir la prescription, dans l’article – La prescription des crimes sexuels commis sur les enfants – Dan écrivait :
« • Parce qu’un crime contre l’humanité qui se construit dans le corps et le psychisme fragile d’un enfant est un crime contre l’humanité tout entière.
• Parce que la révélation de l’abus se fait dans l’immense majorité des cas très tardivement, seul un infime pourcentage des crimes sexuels commis sur des enfants est jugé (moins de 1%) en raison de la prescription qui équivaut à une quasi impunité des criminels.
• Parce que la reconstruction de la victime, quel que soit le temps écoulé, passe par la reconnaissance de ce qu’elle a subi et la désignation du criminel qui doit être puni.
• Parce que l’imprescriptibilité, dans la menace qu’elle constitue pour les abuseurs, protégera les enfants. »
Dans le même article, l’auteur insistait à juste titre sur les dégâts causés par de tels traumatismes dont les séquelles se révèlent souvent insidieuses, sapant la personnalité de manière sourde et indirecte et durant la vie entière si rien n’est fait pour accueillir cette souffrance muette.
De nombreuses associations, en France et en Europe, se battent pour rendre imprescriptibles ces crimes sauvages, atteintes barbares à l’intégrité et à la personnalité d’enfants, voire de nourrissons.
La cécité sociale à l’encontre de ces crimes fait tolérance et ce ne sont pas quelques grands crimes très rares mais fortement médiatisés qui changent les choses. Pendant que quelques politiques profèrent leurs incantations devant une forêt de caméras, la violence sexuelle ordinaire persiste et s’amplifie, ce sont les victimes qu’on instrumentalise, ce sont les victimes que l’on offense au nom d’une plus grande équité et d’une protection accrue. Cela au profit d’une politique populiste de répression qui sert d’autres desseins.
En dépit d’une apparente imprécision du projet, la Suisse devient donc le premier pays d’Europe continentale à inscrire l’imprescriptibilité de la pédocriminalité dans son code civil. Rappelons qu’en France, les textes demeurent très flous et, en dehors des grands crimes largement couverts par la presse, la pédocriminalité intrafamiliale demeure sinon ignorée, souvent banalisée. Le crime d’inceste est même inconnu du législateur, il a disparu du code pénal en 1791 (si mes souvenirs sont exacts). Cette absence de qualification des crimes sexuels commis sur des jeunes enfants rend difficile la tâche des enquêteurs et elle induit de nombreuses approximations, des errances, de multiples dénis de justice et des « déqualifications » aussi opportunistes que scandaleuses. En juillet 2007, je rapportais comment un procureur avait admis en public que le Parquet de Perpignan déqualifiait souvent des crimes de viol en attouchement sexuels qui, eux, relèvent de la correctionnelle et coûtent moins cher.
Évoquons également le cas des enquêteurs qui, recevant une plainte pour viol dans l’enfance d’une personne majeure, demandent des preuves.
Notons les remarques outragées des défenseurs de la vertu judiciaire qui évoquent les faux souvenirs, les manipulations de parents divorcés, les fausses allégations pour justifier les retards et les excessives prudences de la justice.
C’est ignorer ce que Dan soulignait, à savoir les graves conséquences de ces traumatismes dont certains, dans le cas d’inceste par exemple, sont perpétrés des années durant. Parfois la victime est tenue en esclavage bien au-delà de la puberté.
Face à un tableau clinique bien repérable ; l’accusation de fausses allégations ne tient pas. Mais combien sommes-nous à être formés pour cette approche ?
Est-il nécessaire de rappeler que d’autres pays ont pris des mesures drastiques pour faire face à la pédocriminalité – inceste, viols sur mineurs, tourisme sexuel, pédopornographie, etc. ? Le Canada, pour ne citer que ce pays où je rencontre de nombreux collègues, a inscrit le crime d’inceste dans son code pénal. Il existe, là-bas, de nombreux centres spécialisés qui accueillent les jeunes victimes. En France ces centres se comptent sur les phalanges d’un doigt. Ce sont des associations qui assurent, le plus souvent le suivi et le soutien des victimes.
(À Toulouse, avec quelques amis, nous assurons bénévolement l’accueil, le soutien de victimes et le suivi des dossiers de signalement, souvent en dépit des lenteurs de la justice)
Plus de répression ?
On entendra très vite les protestations de ceux qui dénonceront un artifice supplémentaire dans la longue liste des instruments de surveillance et de répression qui se mettent en place dans nos pseudo-démocraties.
Le brouillage médiatique ne fait que détourner l’attention des vrais problèmes des victimes. Et ceux qui orchestrent ce brouillage ne sont ni naïfs, ni innocents de ces manipulations. Et les journalistes doivent reconnaître qu’ils consomment les dépêches comme nous consommons leurs papiers.
Concernant les grandes affaires de crimes pédosexuels associées à un enlèvement, à des actes de barbarie, à une récidive, etc. l’arsenal juridique était déjà largement étoffé. Fallait-il encore que les moyens soient à la hauteur. Et les imprécations actuelles de nos politiques ultraconservateurs ne donneront pas plus de moyens à la justice. Laquelle est déjà largement investie dans la vaste campagne de reconduite aux frontières menée par ces mêmes politiques. Leurs vociférations servent un autre but que la protection des victimes qui n’est que paravent.
On évoque souvent les fausses allégations pour renvoyer les rescapés de l’inceste ou de la pédocriminalité domestique à leurs chères souffrances hystériques. En France, il y eut Outreau dont on a surtout retenu les dégâts causés par un petit juge arrogant et sûr de lui mais on a oublié les enfants victimes et il y en eut bel et bien. Qui s’en souvient et qu’a-t-on retenu de cette gigantesque et macabre foire ? L’institution judiciaire a oublié combien elle s’était comportée en un instrument arbitraire coupé du monde, révélant la superbe arrogance de ses édiles qui ont attendu que le boulet passe pour reprendre leurs petites affaires quotidiennes, plaintes jamais instruites, enfant violés contraints de subir de multiples expertises des mois après un signalement, interrogatoires conduits par des enquêteurs stagiaires ou en pré retraite, salles d’accueil proche des toilettes, et j’en passe...
Ce dont une victime a besoin pour se réparer, ce n’est pas de vengeance mais de la capacité de la société de prendre à sa charge la sanction contre le crime qu’elle a subi. C’est un des principes fondamentaux du droit. La justice rendue au nom du peuple signifie ainsi qu’elle reconnaît à la victime son appartenance au groupe social et qu’elle prend collectivement en charge sa blessure.
Ni vengeance, ni commisération, une principe fondamental : l’équité.
Ni vengeance, ni commisération, une principe fondamental : l’équité.
Avec cette bonne conscience qui caractérise les groupes dominateurs, nous ne nous privons pas de stigmatiser ces peuples chez lesquels la femme violée est bannie ou contrainte de se suicider. Croyons-nous être différents ?
Si la méthode « civilisée » est plus subtile que celle de ces peuples barbares il n’en demeure pas moins que l’effet réel est le même. La personne rescapée ne se suicide pas mais elle demeurera prisonnière de ses tourments sa vie durant, la saleté du viol lui collant à la peau ; la société ne la bannit pas comme impie mais demeure sourde à sa plainte...
En ces temps où il est très bien vu de se décompexer, il se trouvera bien du monde pour dire que je joue sur le registre de la culpabilité et du sentiment. On peut, si on le veut se détourner du problème, je ne fais que témoigner. Cela existe et d’autres me diront que je ne dis pas tout, pas assez car la réalité est souvent bien pire que celle que vous soupçonnez à travers ces lignes.
Tel est l’indicible.
Si la méthode « civilisée » est plus subtile que celle de ces peuples barbares il n’en demeure pas moins que l’effet réel est le même. La personne rescapée ne se suicide pas mais elle demeurera prisonnière de ses tourments sa vie durant, la saleté du viol lui collant à la peau ; la société ne la bannit pas comme impie mais demeure sourde à sa plainte...
En ces temps où il est très bien vu de se décompexer, il se trouvera bien du monde pour dire que je joue sur le registre de la culpabilité et du sentiment. On peut, si on le veut se détourner du problème, je ne fais que témoigner. Cela existe et d’autres me diront que je ne dis pas tout, pas assez car la réalité est souvent bien pire que celle que vous soupçonnez à travers ces lignes.
Tel est l’indicible.
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