Commentaire de Cauvin
sur L'Odyssée d'une espèce
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technocrate à mèche rebelle
Ferme Ta Gueule
et laisse moi raconter mon histoire (note de l’auteur)
Pendant des années, Homo Zyva s’est contenté de chasser les voitures en stationnement, abandonnées par leur famille. Il lui a donc fallu apprendre à leur ouvrir le ventre. C’est le temps des premières découvertes, des premiers outils, rudimentaires bien sûr (années 1980/1990). La fierté est déjà là. La famille sera nourrie. Mais on imagine le désarroi du chasseur assistant, impuissant, au spectacle des troupeaux de véhicules en transhumance, trop rapides, trop difficiles à attraper. Puis ses techniques se sont améliorées et il en est venu à chasser des voitures en marche, allant même jusqu’à poursuivre leur propriétaire à leur domicile pour leur dérober les clés. Nous sommes aux environs de l’an 2000. Son appétit n’a pas reculé devant la taille des bestioles. A l’instar de ses ancêtres qui apprirent à piéger les mammouths, Homo Zyva a fait des 4X4 son gibier préféré. C’est l’époque de la grande chasse organisée. Pistage, affût, approche silencieuse : il a tout inventé. D’ailleurs certains éléments permettent même d’avancer l’hypothèse selon laquelle Homo Zyva aurait pratiqué la technique ancestrale du caillou tranché contre les gros monstres qui viennent pour l’écraser, le dévorer. Il comprend qu’il faut se regrouper, parce qu’on est plus efficace à plusieurs, alors il apprend à maîtriser sa peur devant le chauffeur de bus et ses formidables défenses en forme de casquette (Safèvinminutkonlatten Diplotobus). Pourtant, avec ses 4 tonnes c’est le genre de bestiole à qui il suffit de foncer droit devant pour vous pulvériser et vous réduire en bouillie. Notre ami comprend qu’il peut maîtriser sa terreur devant le hululement du camion de pompiers, sa couleur rouge au moment où il charge. Les pompiers (Sapaur Pompiécantus) sont des monstres sans pitié, qui ne reculent devant rien pour assouvir leur soif de sang, et cela à l’aide d’une trompe démesurée qui leur permet d’attaquer à distance. La partie supérieure du crâne comprend une armure indestructible et sa peau est aussi épaisse que celle d’un dinosaure. Alors Zyva s’arme de cailloux coupants et de projectiles divers, et il monte à l’assaut. Merveille d’inventivité et de courage. Il se regroupe et passe à l’attaque, Zyva a compris que la meilleure défense c’est l’attaque. Toute son action est tendue vers un seul objectif : ses proies.
Les monstres seront chassés du territoire, on pourra repartir en quête d’un gibier. La capture est au bout et le clan viendra profiter de la manne. Le repos maintenant, on va faire cuire la viande de voiture : cette maîtrise de la cuisson a été attestée les fouilles, de manière irréfutable, à travers notamment la découverte de foyers remplis de restes métalliques calcinés. Les états de service d’Homo Zyva dans la chasse à toutes les espèces de véhicules à moteur sont admirables et le situent au meilleur niveau des espèces connues à ce jour.
Par contre les spécialistes se sont longtemps partagés sur la capacité d’Homo Zyva à émettre un langage articulé. Il semble maintenant acquis qu’Homo Zyva avait développé un proto-langage constitué d’une douzaine de sons, bon d’accord, disons dix. Ce catalogue sonore permettait de désigner les éléments de son environnement qu’il était parvenu à individualiser. Il est difficile pour nous d’imaginer la somme d’efforts nécessaire pour parvenir à ce résultat. Rien de tel ne pourrait se faire sans une vraie capacité de mémorisation. Oserons-nous dire que nous avons affaire à un intellectuel ? La comparaison peut faire sourire, mais reconnaissons tout de même que cette douzaine de sons articulés constitue une admirable prouesse. Quant au bonjour, nous savons qu’il ne s’exprimait pas par des mots mais par une série de gestes de bienvenue formant un rituel assez élaboré, véritable signal de reconnaissance entre Zyvas à base de petits coups sur le dos de la main. Flap, flap.
Bipédie, langage, culture, maîtrise du feu : le portrait idyllique que nous venons de tracer ne doit pas faire illusion. Les merveilleuses performances décrites ci-dessus s’inscrivent dans un contexte beaucoup moins positif. Si l’objet de notre étude nous fascine tant par certains côtés, il ne faut pas oublier, par souci de rigueur scientifique, que l’arrivée d’Homo Zyva marque une régression globale dans le processus d’évolution. C’est la grande découverte de ces dernières années. Jusqu’à présent toutes les théories sur l’évolution de l’homme et de ses ancêtres s’accordaient au moins sur l’idée d’un progrès continu. A travers toutes les époques et sous tous les climats depuis des millions d’années nos ancêtres n’ont eu de cesse de s’affranchir de leur bestialité originaire : du moins c’est ce que l’on croyait jusqu’à ces dernières années. La découverte d’Homo Zyva a réduit ce postulat à néant. On découvre aujourd’hui que les choses ne sont pas si simples. Toutes les hypothèses des grands paléontologues, Yves Coppens et consorts, sont à revoir.
Les quelques éléments positifs font figure de poudre aux yeux, en comparaison des tares immondes de cet Homo. Car le Zyva marque un tournant, négatif, dans l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, un hominidé tire l’évolution en arrière. Quelques faits avérés suffisent à la démonstration.
Tout d’abord Homo Zyva pratique un mode d’alimentation abandonné depuis la préhistoire, le charognage. Il ingurgite notamment de grosses éponges appelées Mokda. La science a permis de reconstituer cette nourriture. Il s’agit d’un gastéropode gras qui se reproduit dans des cages vitrées et bien éclairées appelées Rapid’Bouffes. Dès l’arrivée, une épaisse odeur vous enveloppe, douceâtre et un brin salée. La partie comestible du Mokda se trouve dans une coquille de carton ou de polyester qui s’ouvre comme une huître ou une moule. La bête spongieuse est à l’intérieur. De forme cylindrique et haute de quelques centimètres, elle déborde d’une bave jaunâtre. Une calotte de couleur marron se soulève facilement, ce qui permet d’observer les viscères. On y trouve des disques de plastique rejetés par la fabrique de pneu la plus proche et pour le reste il s’agit de tout ce que le Mokda n’a pas eu le temps de digérer. Normalement la bestiole ne bouge pas car elle est morte (pour s’en assurer il est possible de lui asséner un grand coup de gourdin, c’est plus prudent... VLAN !). Homo Zyva mangeait cette chose, ce qui n’est pas le signe d’un quelconque progrès... Il devait fouailler là-dedans comme un vautour, avec le nez, en tenant le Mokda à deux mains. On imagine la mâchoire grande ouverte tâtonnant puis se refermant un peu au hasard pour découper les matières et s’en repaître. Comme les cages à singes de nos zoos, un Rapid’Bouffe était toujours jonché de paille, déposée par les gardiens du lieu sous forme de petites bottes serrées dans des cornets rouges. Son Mokda avalé, Homo Zyva devait probablement se vautrer sur la petite table couverte de paille elle aussi, et en picorer quelques brins qui restaient pendouiller sur le coin de la bouche. Espiègle, il jouait avec la paille, et il n’était pas rare qu’il reparte avec quelques brins collés à ses vêtements.
Heureusement les gardiens passaient régulièrement dans la cage pour donner un coup de balai et ramasser les coquilles vides. Ils servaient aussi à boire. Le Mokda était arrosé de bile de caco-laco, un brontosaure froid pourvu de plusieurs canaux excréteurs. Il s’en écoulait une bile sombre dont le goût saumâtre était habilement dissimulé par un gaz naturel directement extrait des intestins du caco-laco. Ce breuvage était ensuite recueilli dans des poches à encre attachées au Mokda. Zyva plantait une paille dans l’anus situé, de manière surprenante, sur la partie supérieure de la poche (ce qui a donné le verbe « encaculer » pour désigner ce geste légendaire). Certains prétendent que la bête ainsi pénétrée émettait un petit cri grinçant. Homo Zyva pouvait ainsi sucer le liquide... particulièrement apprécié (des découvertes récentes semblent indiquer que d’autres espèces venaient également à la cueillette des mokdas... une théorie surprenante...).
On constate sans peine que toute trace de civilisation a été balayée. Les avancées au demeurant incontestables d’Homo Zyva dans différents domaines ne pèsent pas lourd face à ces pratiques alimentaires. Mais je m’aperçois que je n’ai rien dit de l’appareil reproducteur du Mokda
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